Pour article Nath escales zéro fumées
L’électricité est amenée au navire par une potence. Photo NP altermidi DR.

Renaud Muselier a présenté les prochaines étapes de raccordement pour le branchement électrique des navires à quai dans le port de Marseille, le plan « Escales Zéro Fumée ». La Région entend mobiliser 30 millions d’euros pour soutenir ce dispositif. Une démarche indispensable pour préserver l’environnement et la santé des habitants.


 

Il faut mettre un coup d’accélérateur : c’est en résumé le sens de la présentation faite par le président de la région Sud Paca, lors de la visite des installations existantes et des chantiers en cours, pour permettre à terme le raccordement électrique de tous les navires et paquebots qui entreront dans l’enceinte du Grand port maritime de Marseille (GPMM). Cette présentation à la presse s’inscrit dans le Plan Climat régional « Une Cop d’avance » qui  depuis 2019 s’engage pour la qualité de l’air dans les trois ports, Toulon, Nice et Marseille, avec la mise en place d’un dispositif d’électrification à quai des navires, le projet « Escales Zéro Fumée ».

Pionnière dans ce domaine, la compagnie La Méridionale a opté dès 2016 pour le branchement de ses ferries, en partenariat avec le GPMM. Grâce à des financements de l’ADEME1, la Région, l’État et l’Europe (via le Fond européen de développement régional), elle a développé la Connexion électrique des navires à quai, CENAQ2. Depuis janvier 2017, les trois navires mixtes (transport marchandises et passagers) vers la Corse sont alimentés depuis le quai en électricité.

Durant chaque escale, qui dure environ 12 heures, un navire nécessite l’équivalent de la consommation électrique de 300 logements. Il faut donc de la haute tension pour couvrir ces besoins. Le réseau électrique terrestre fournit une alimentation de 20 000 volts. Il convient de passer par un poste de transformation, situé sur le port, pour l’amener à 11 000 volts, puis une liaison câble amène par une potence l’électricité au navire, qui à son tour opère une nouvelle transformation en 380 volts pour être utilisée à bord. Si le procédé paraît simple, « il a fallu relever de nombreux défis techniques », souligne Marc Reverchon, président de la Méridionale. Mais il met en avant les nombreux avantages de cette solution : suppression du bruit et des vibrations des moteurs, ce qui facilite le travail à bord, réduction de carburant, des coûts de maintenance et d’entretien. Mais surtout, pour chaque ferry branché, cela supprime les émissions d’environ 7 000 tonnes de particules fines (PM10) et de CO2 par an, « soit l’équivalent de 1,6 million de voitures pour un trajet aller-retour entre Aix et Marseille », précise-t-il, et des oxydes d’azote correspondant à l’émission de 65 000 véhicules par jour3. Un avantage certain pour les habitants.

 

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Amenée à bord par une potence, l’électricité est raccordée à un transformateur pour distribuer du 380 Volts. Crédit photo : NP altermidi DR.

De nombreuses maladies respiratoires

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’émission des fumées, particulièrement des navires de croisières, est dans le collimateur de nombreuses associations environnementales et de collectifs de riverains, qui supportent de moins en moins cette pollution atmosphérique. Une enquête effectuée par AtmoSud, ainsi que des dossiers réalisés par France Nature Environnement ont révélé en 2018 l’ampleur des risques sanitaires liés à l’utilisation des fiouls lourd (non raffinés) dans les moteurs. Leur combustion est responsable des émissions de dioxyde d’azote (NOx), d’oxyde de soufre et de particules fines et très fines qui pénètrent profondément dans les poumons. Ce cocktail polluant entraîne de nombreuses maladies respiratoires, et serait responsable de 60 000 morts dans le monde, dues a des AVC, des maladies cardio-vasculaires ou des cancers. « Il y aurait, sur l’ensemble des côtes françaises, environ 2 200 décès prématurés liés au trafic maritime », reconnaît pour sa part Jean-François Suhas, président du Club de la Croisière Marseille-Provence4.

Si maintenant les navires utilisent un carburant « plus propre » (proche de celui des voitures) lorsqu’ils sont amarrés au port, la crise sanitaire a mis en avant un autre problème : c’est « le grand paradoxe des paquebots à l’arrêt », déplore France Nature Environnement. Ils sont obligés de continuer à tourner. Or, « la plupart des navires utilisent des moteurs auxiliaires pour produire de l’électricité à quai. Ces moteurs constituent la première source d’émission de polluants dans le port », poursuit l’association. Une étude menée en 2020 montre que les émissions des paquebots ont été près de 6 fois supérieures à celles calculées avant le confinement, et celles des bateaux de marchandises en légère hausse. Des faits qui ont alerté le président de la Région : « Dans un monde ou la préservation de l’environnement devient la priorité, il semble difficilement concevable de rester inactif face à un tel constat ».

 

« Nos ports ne peuvent pas mettre nos vies en danger »

Il est donc urgent d’agir, si on ne veut pas que le port devienne un risque trop grand pour les Marseillais, mais aussi pour les personnels navigants, les touristes et les croisiéristes eux-mêmes. Ce qui serait un renversement de l’histoire, puisque depuis l’an 600 av. J.-C. et la fondation de Marseille, puis Toulon et plus tard Nice, « notre prospérité et nos richesses sont étroitement liées à la réussite de nos trois ports », se plaît à rappeler Renaud Muselier. 120 000 emplois (soit 6 %) sont directement liés à la mer, Marseille est le 2e port de la Méditerranée en tonnage marchand, 4 millions de passagers sont transportés chaque année entre la Corse et le continent, et les enjeux en termes d’emplois et de retombées économiques sont considérables. Pour le président de la Région, « la force de nos ports n’est pas seulement une affaire de bilans comptables. Ils sont des artères sociales et humaines qui irriguent tous nos territoires. Ils sont des lieux d’échange, de transit et souvent d’aventures humaines ».

Cependant, « nous ne pouvons pas vivre sans nos ports, mais nos ports ne peuvent pas mettre nos vies en danger », relève l’élu : ce constat est donc la base d’une nouvelle dynamique pour l’électrification du port phocéen. C’est la société Enedis qui est chargé de ce chantier innovant, car ce raccordement est une première en France. Une nouvelle liaison électrique de 20 000 volts, constituée de quatre câbles de forte section, devrait transporter une puissance supplémentaire de 38 MW.

La solution choisie est le fonçage, une technique de forage sans tranchée, utilisée pour éviter des obstacles sur le trajet du raccordement. Dans ce cas, le fonçage horizontal se fera sur 100 mètres, passera sous la voie ferrée et l’autoroute A55, pour une profondeur allant de 5 à 7 mètres. Il permettra de positionner les câbles souterrains dans des fourreaux par le biais d’une tête dirigeable suivie par un détecteur portatif. Une technique qui a l’avantage d’éviter des tranchées sur la longueur du réseau et de maintenir la circulation sur l’autoroute et la voie ferrée, détaille l’entreprise. À terme, de nouvelles installations offriront une capacité de 68MW (contre 18MW actuellement) pour connecter tous les navires.

 

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Chantier du fonçage sous l’autoroute A55. crédit  photo NP altermidi DR

 

Le GPMM à la manœuvre

Pour le Grand Port maritime de Marseille, ces prochaines années sont donc importantes pour que la transition énergétique ne soit pas qu’un concept, ce qu’affirme Hervé Martel, président du directoire : « C’est un défi entre économie et écologie, et nous avons une ambition forte pour le raccordement électrique. Nous sommes le port le plus avancé dans cette démarche en Méditerranée et un des plus performants au monde. » Depuis 2019, trois ferries de la Méridionale et trois de la Corsica Linéa se raccordent au réseau électrique, et sur 1 100 escales corses à l’année, 90 % sont connectées. Prochainement la connexion sera possible pour les escales internationales. L’équipement de 4 bateaux d’Algérie ferries et de 2 à 3 bateaux de la Compagnie tunisienne de Navigation sont prévus. Enfin, après les travaux, les paquebots de croisière pourront à leur tour accéder au réseau électrique dès 2025. En tant qu’aménageur, le GPMM est à l’œuvre pour mener à bien ce projet. Les démarches auprès des armateurs seront décisives afin qu’ils équipent leur bateau pour se brancher : « c‘est leur responsabilité », précise Hervé Martel.

Si le problème des fumées dans les ports est en bonne voie de résolution, il reste la question de la pollution des navires au large. Là encore il y a des avancées et des pistes sont à l’étude. Leader en transport de marchandises, la CMA-CGM a fait le choix du GNL (gaz naturel liquéfié) qui permet de réduire de façon importante les émissions de CO2 et les particules de soufre. D’ici 2022, 32 navires de sa flotte seront propulsés au GNL. Elle s’est tout récemment engagée à soutenir la production de biométhane et affirme vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

La Méridionale annonce qu’avec l’aide de la Région (500 000 euros) elle va équiper son bateau — Le Piana, qui fait la liaison vers Ajaccio — d’un filtre à particules « inédit dans l’univers maritime ». Il devrait éliminer les particules fines, ultra-fines et les dioxydes de soufre, particulièrement durant les manœuvres d’entrées et de sorties des ports.

Pour Renaud Muselier, la clé de la réussite passe par le « jouer collectif ». GPMM, associations de riverains, défenseurs de l’environnement, armateurs, place portuaire, collectivités territoriales: « On a une obligation de résultat ! Et ce sont des résultats qu’on obtiendra ensemble ».

 

                                                                                                        Nathalie Pioch

 


Le plan « Escales Zéro Fumée » est doté d’une enveloppe globale de 30 millions d’euros.

  • 20 millions pour les infrastructures portuaires de connexion électrique des navires mises en place par les autorités portuaires (GPMM, Métropole Toulon-Provence Méditerranée, Métropole Nice-Côte d’azur).
  • 5 millions pour l’équipement électrique des navires des compagnies maritimes.
  • 2 millions pour encourager le mix énergétique des ports, notamment par la production d’énergie renouvelable d’origine photovoltaïque.
  • 1 million pour la mise en place de filtres à particules sur les cheminées des navires.
  • 1 million pour le développement d’une filière d’approvisionnement GNL en Méditerranée.
  • 1 million pour les associations de défense de l’environnement et les actions de concertation avec les citoyens.

Notes:

  1. ADEME : Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
  2. CENAQ : Connexion Électrique des Navires A Quai.
  3. Chiffres fournis par AtmoSud (ex-AirPaca). L’organisme est chargé de la surveillance de la qualité de l’air et dispose de plusieurs antennes dans la région Sud Paca
  4. Dans une interview accordée à la chaine YouTube Environnement TV
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Reprend des études à chaque licenciement économique, ce qui lui a permis d'obtenir une Licence en Histoire de l'art et archéologie, puis un Master en administration de projets et équipements culturels. Passionnée par l'art roman et les beautés de l'Italie, elle garde aussi une tendresse particulière pour ses racines languedociennes.