Contestée par la gauche, les associations et les représentants de salariés, la réforme gouvernementale de la sûreté nucléaire française est soumise mardi après-midi au vote du Sénat, bien parti pour approuver la fusion entre l’ASN, gendarme du nucléaire, et l’IRSN, expert du secteur.


 

Les uns défendent une réforme nécessaire pour « regrouper les savoir-faire » et « s’adapter aux enjeux de notre décennie », les autres dénoncent un « manque de transparence » et des « salariés laissés pour compte » : deux visions opposées se heurtent sur ce projet de loi réformant la gouvernance nucléaire française.

La chambre haute, dominée par la droite et les centristes, y est cependant majoritairement favorable. Le texte sera ensuite transmis à l’Assemblée nationale, là-même où le gouvernement avait tenté, sans succès, de l’introduire par simple voie d’amendement en mars 2023, un procédé qui avait choqué plus d’un parlementaire à l’époque.

Dans le contexte national d’un vaste plan de relance de l’atome, le texte gouvernemental entend mettre fin au système dual actuellement en place, en regroupant l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), une sorte de police scientifique du secteur, et l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN), le gendarme des centrales.

Ces deux entités fusionnées formeront l’« Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection » (ASNR), et ce, dès le 1er janvier 2025. Un calendrier jugé « ambitieux mais réaliste et nécessaire » par le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu.

Porté initialement par l’ex-ministre déléguée à l’Énergie, Agnès Pannier-Runacher, puis récupéré à la hâte par M. Béchu, le projet entend fluidifier le secteur et réduire les délais dans les processus d’expertise, d’autorisation et de contrôle.

 

Transparence

 

Cette réforme « adapte la sûreté nucléaire aux enjeux de notre décennie, tout en garantissant un niveau d’exigence et de transparence maximal », a appuyé le rapporteur centriste Pascal Martin lors des débats, estimant nécessaire de « regrouper les savoir-faire (…) pour adapter les parcs au dérèglement climatique ».

La droite sénatoriale et ses alliés centristes assurent néanmoins avoir « rééquilibré » le texte en renforçant la transparence à l’égard du grand public et la distinction dans la gouvernance entre expertise et prise de décision, deux enjeux majeurs de la réforme.

Ainsi, le Sénat a prévu d’imposer la publication des résultats d’expertise ou encore de créer une « commission d’éthique et de déontologie » chargée de « prévenir » d’éventuels conflits d’intérêt.

Plus symboliquement, les sénateurs ont aussi décidé de rebaptiser la future entité en Autorité « indépendante » de sûreté nucléaire et de radioprotection (AISNR), un choix que l’Assemblée nationale devra encore approuver à son tour.

Ces ajustements n’ont pas suffi, loin de là, pour convaincre les groupes de gauche, vent debout contre la réforme qu’ils contestent sur le fond comme sur la forme, alors que celle-ci est née dans le huis clos d’un conseil de politique nucléaire à l’Élysée en février 2023.

« La répétition en boucle des termes “fluidification” et “simplification” sonne creux, car notre système dual fonctionne », s’est insurgé l’écologiste Daniel Salmon. « Fusion est souvent synonyme de confusion. Cela déstabilise et prend du temps, sans succès garanti. Ainsi, le texte vise la relance à marche forcée du nucléaire, au détriment des contre-pouvoirs et de la sûreté », a-t-il ajouté.

Beaucoup, des communistes aux socialistes, craignent des reculs sociaux pour les salariés de l’IRSN, eux aussi mobilisés contre la réforme. Jeudi, plusieurs centaines d’entre eux, aux côtés de salariés de l’ASN et d’associations de défense de l’environnement comme Greenpeace, ont manifesté à Paris.

Dans une lettre ouverte publiée lundi soir, l’intersyndicale de l’IRSN a appelé les sénateurs à ne « pas construire une organisation contre son personnel », épinglant une réforme qui « déstabilisera durablement le système de gouvernance des risques nucléaires ».