Comment apprécier la question du genre dans le secteur de l’économie sociale et solidaire ? Les études réalisées par la CRESS Occitanie démontrent que les inégalités femmes/hommes pointées dans l’économie classique se retrouvent aussi dans l’ESS.


 

Entretien avec Sandrine Carême, directrice de la CRESS Occitanie

 

La Cress1 a pour fonction de représenter les acteurs de l’ESS, quelles sont ses principales missions ?

Notre première mission, c’est la représentation et la défense des intérêts des entreprises de l’économie sociale et solidaire issues de toutes les familles de l’ESS : associations, fondations, coopératives, mutuelles et entreprises commerciales. Donner davantage de visibilité à l’ESS, accentuer son rôle politique dans la société et dans le monde économique. Il existe une Cress dans chaque grande région administrative. Les autres missions consistent en une fonction d’observatoire régional. L’idée consiste à disposer d’une analyse à partir des bases de données de toutes les entreprises de l’ESS et de pouvoir en tirer des photographies de la présence de l’ESS sur un territoire donné ou sur des filières. Lorsqu’il existe des filières identifiées comme stratégiques, nationales ou régionales, il s’agit de pousser un peu plus loin, d’établir des diagnostics à partir d’études. Dès lors, on peut enchérir en décidant de mener des actions afin de faire bouger un peu les lignes.

 

Quelles étaient les questionnements de la CRESS Occitanie à l’origine des indicateurs produits en termes d’égalité professionnelle ?

Nous avons en effet conduit une étude sur ce thème en 2019. Le but était de caractériser la thématique femme-homme dans l’ESS à partir de la question de l’égalité professionnelle, dans le sens du salariat mais également dans les instances de gouvernance. On pouvait avoir deux idées en opposition, l’une étant de dire « dans l’ESS il y a une forte égalité parce que cela fait partie des principes et des valeurs qui sont défendus », et l’autre versant que l’on entend aussi, « vous, entreprises de l’ESS, vous voulez donner une bonne image mais vous n’êtes pas si vertueux que ça ». Nous avons mis en place une enquête à la fois quantitative et qualitative pour disposer de chiffres afin de mieux qualifier et appréhender les problématiques sur ce sujet.

 

Les résultats tendent-il à démontrer une singularité vertueuse de l’ESS dans le domaine de l’égalité femmes-hommes ou retrouve-t-on les grandes inégalités de l’économie classique ?

Globalement on retrouve les grandes inégalités parce que le secteur de l’ESS est très tiré par le secteur du médico-social avec une forte proportion de femmes et donc plus d’inégalités salariales liées au bas niveau de salaire, au travail à temps partiel notamment dans l’aide à domicile ou le secteur du soin. Si l’on se base sur d’autres filières comme la banque par exemple, on est dans les mêmes proportions. Nous ne sommes pas plus ou moins vertueux que dans l’économie classique. Parfois dans les petites structures, du type association, comme les salaires sont plus bas que dans le privé, on retrouve aussi des salaires plus bas dans l’ESS. Finalement, il y a moins d’inégalités tout simplement parce qu’il y a moins d’argent. Et aussi parce qu’il n’y a pas tout l’aspect des primes, des parts variables, qui restent généralement plus à la main des hommes.

 

La spécificité de l’ESS, c’est son mode de gouvernance, les femmes ont-elles plus de facilité pour accéder aux postes à responsabilité dans l’économie sociale et solidaire ?

Il est difficile de comparer les structures de l’économie sociale et solidaire avec les entreprises du CAC 40, même si certaines entreprises de l’ESS disposent aussi d’un conseil de surveillance2. On trouve dans les entreprises de l’ESS un peu plus de femmes dans les CA qu’avant mais à des postes de secrétaire du conseil d’administration ou membre du bureau et moins à des postes de trésorière ou de présidente.

 

Une fois l’analyse établie, la Cress met-elle en place des actions susceptibles de corriger le tir ?

Oui, tout à fait, en 2020 nous avons donné suite à cette étude réalisée en 2019 en mettant en place une formation-action avec deux réseaux dont l’ARACT, l’Agence régionale des conditions de travail, et l’UDES l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire. Cela a permis d’accompagner une quinzaine d’entreprises de l’ESS de toutes tailles et toutes familles dans l’amélioration de l’égalité femmes-hommes et par la-même, de faire gagner la structure à la fois sur le principe de qualité de vie au travail, d’amélioration des conditions de travail, de meilleure harmonie vie professionnelle/vie privée, en respectant ces équilibres. Et puis de gagner en performance en démontrant que ce n’est pas parce qu’on investit sur les qualités et égalités salariales que l’on va perdre en performance, bien au contraire.

 

Propos Recueillis par Jean-Marie Dinh

 


Résumé de l’étude

Égalité Femmes-hommes dans l’économie sociale et solidaire en Occitanie

 

Répartition des effectifs par CSP selon le sexe des salarié.e.s et les champs économiques en Occitanie. Source Cress Occitanie

 

Cette étude avait pour objet de rendre compte de la situation de l’égalité entre les femmes et les hommes au sein des entreprises de l’ESS en Occitanie, aussi bien sur le volet de l’égalité professionnelle, qui concerne donc les salarié.e.s, que sur le volet de la parité au sein des instances de gouvernance, relatif aux élu.e.s. Il apparaît que les effectifs de l’ESS régionale sont très fortement féminisés, ce qui est révélateur d’un phénomène de ségrégation horizontale, qui fait que certains secteurs et métiers sont, avant tout pour des raisons culturelles, essentiellement exercés par des salarié.e.s du même sexe. En l’occurrence, il s’agit ici des activités et métiers dit du Care, très majoritairement occupés par des salariées de sexe féminin. Ce phénomène n’est pas plus marqué dans l’ESS qu’ailleurs, mais il y ressort nettement en raison de sa spécialisation sectorielle. En revanche, l’ESS régionale est plus marquée que les autres champs de l’économie par la ségrégation verticale, qui fait que les femmes ont moins accès que les hommes aux postes à responsabilité, alors même qu’elles sont largement majoritaires dans les effectifs. Les disparités entre les femmes et les hommes ont tendance à être moins prononcées dans l’ESS que dans les autres champs économiques, mais les faibles rémunérations y sont, globalement, plus fréquentes qu’au sein de ces derniers. Il n’en reste pas moins que des disparités de salaires significatives entre les femmes et les hommes existent aussi au niveau de l’ESS. Différents résultats laissent penser que la prise de conscience des enjeux autour de cette question de la parité et de l’égalité dans les instances de gouvernance s’avère encore très limitée au niveau des entreprises de l’ESS régionale. De substantielles marges de progrès demeurent en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au sein de l’ESS en Occitanie, ce qui contribue à justifier le portage politique fort dont fait l’objet ce sujet, aussi bien de la part des pouvoirs publics que des réseaux de l’ESS.

Télécharger l’étude complète

Quelques pistes de travail et bonnes pratiques formulées par la Cress Occitanie

Nombre d’établissement employeurs de l’ESS en Occitanie. Source Cress Occitanie

 


La Cress Occitanie formule des propositions pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, favoriser l’accès des femmes aux postes à responsabilité et assurer la parité dans les instances élues des entreprises de l’ESS. Elle propose un certain nombre de pistes pour aider les entreprises à passer à l’action sur le sujet de l’égalité femmes-hommes, aussi bien sur le volet professionnel que celui des instances de gouvernance.


 

Afficher un portage politique clair en respectant les engagements pris par l’ESS dans son ensemble, élément clé de la réussite des actions. Aller plus loin en utilisant l’égalité professionnelle comme un levier d’attractivité de son entreprise.

Faire évoluer les modes de management, de gestion des ressources humaines et de gestion d’entreprise, prendre en compte les impacts différenciés, sur les femmes et sur les hommes, des modes de management. Repenser les modèles RH pour qu’ils participent à la construction de l’égalité professionnelle. Produire des chiffres genrés dans les bilans sociaux, d’activité, hiérarchiser en concertation les points les plus importants en posant des objectifs.

Pour les entreprises de moins de 50 salariés, utiliser le diagnostic d’égalité professionnelle pour avoir un premier état des lieux. Grâce à la Déclaration Sociale Nominative, l’entreprise reçoit son « diagnostic égalité professionnelle ». Document chiffré délivré gratuitement, il permet de procéder à un état des lieux de l’égalité femmes/hommes et constitue un bilan précis et objectif de la situation au sein de l’entreprise. Le diagnostic est téléchargeable directement sur l’espace DSN.

Mettre en place des éléments de qualité de vie au travail, au bénéfice de tous, en améliorant l’articulation des temps de vie : prise en charge de la garde des enfants, horaires non-discriminants, réunions à horaires stricts, réunions à distance, télétravail.

Développer des réseaux de femmes dans l’entreprise ou inter-entreprises : plusieurs structures de l’ESS ont créé des réseaux formels ou informels pour faire « réseauter » les femmes entre elles, se soutenir dans les difficultés rencontrées. Le réseau permet également de renforcer la conscientisation de chacune sur les questions d’égalité femmes-hommes et la capacité d’entraide et de sororité.

Pour les têtes de réseau, travailler sur le cumul des mandats dans les conseils d’administration, qui conduit souvent à un entre-soi. Accompagner les membres à aller chercher de nouveaux(elles) candidat.es.

Aider les femmes administratrices à prendre confiance en elles : développer une communication visibilisant les femmes administratrices pour valoriser des parcours modèles, développer des formations à la prise de parole en public, à l’animation de réunion pour les femmes administratrices, développer le tutorat.

Travailler sur les stéréotypes de genre en sensibilisant les élu.es et les salarié.es, en formant les dirigeant.es, salarié.es et élu.es à repérer les inégalités.

Plus d’informations sur le site de la Cress Occitanie


 

Notes:

  1. La Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire ne fonctionne pas sous un statut consulaire mais associatif, bien que disposant à peu près des mêmes missions qu’une chambre consulaire, comme la Chambre de commerce et d’industrie.
  2. Le conseil de surveillance est un organe non-exécutif ayant pour mission de veiller au bon fonctionnement d’une entreprise et d’en rendre compte aux actionnaires.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.