La démission de Michèle Rubirola rebat-elle les cartes ou faut-il y voir l’occasion pour le Printemps marseillais de réaffirmer un projet collectif réparateur et ambitieux après 25 ans de mandats de Jean-Claude Gaudin ?


 

 

« Le pastis » dans la bouche de Christophe Barbier sur le plateau de BFM, ou « Plus belle la vie », il ne manquait plus que « Peuchère Marseille » ou « Oh Bonne Mère ! » pour que le tableau soit complet : sitôt officialisée la démission de Michèle Rubirola de son mandat de maire, les clichés sont allés bon train. Pourtant, sans rejouer le match O.M-PSG, on n’a pas souvenir que la vie politique parisienne (au hasard) ait toujours été un modèle de sérénité : rappelons-nous les gestions Chirac et Tibéri  et leurs lots de scandales. « Cela fait très ancien monde » répétait une présentatrice sur ce même plateau de BFM mardi 15 décembre. Peut-être croit-elle encore qu’Emmanuel Macron est l’incarnation du « nouveau monde » ? À chacun ses illusions. Mais on sait ce qu’il est advenu du « renouvellement des pratiques et des visages », expression fétiche du candidat Macron généreusement utilisée lors de son meeting… à Marseille justement, en 2017.

Au-delà de ces aspects qui pourraient paraître anecdotiques mais qui sont loin de l’être, comment appréhender cette nouvelle donne où Michèle Rubirola a fait part de sa volonté de devenir première adjointe et de laisser le fauteuil de maire à celui qui l’a déjà remplacée lors de son hospitalisation en septembre, le socialiste Benoît Payan ? Bien qu’acquise avec une participation faible — phénomène majeur de ces drôles de Municipales 2020 où le deuxième tour a été organisé trois mois après le premier pour cause d’épidémie de coronavirus — la victoire du Printemps marseillais a soulevé espoir et enthousiasme en juin. Tout l’enjeu pour cette équipe est de continuer à incarner cette aspiration au renouveau dans une ville meurtrie et profondément inégalitaire. Le micro-trottoir du JT de France 3 Provence-Alpes, mardi 15 décembre, a donné à entendre des propos plus nuancés que ce que l’on aurait pu croire. Et davantage de questionnements chez les habitant-e-s que de condamnation pure et simple de la majorité municipale.

Invitée de ce même journal télévisé régional, Olivia Fortin, adjointe au maire issue de la « société civile », pourtant poussée dans ses retranchements, a fait preuve d’une loyauté pas si fréquente en politique. Vis-à-vis de la décision de Michèle Rubirola sur un plan personnel, et en mettant l’accent sur le collectif et le projet à mener à bien. Et ce malgré l’état catastrophique de la ville que la nouvelle équipe ne découvre pas vraiment mais auquel elle doit désormais faire face.

Comme il fallait s’y attendre, le haro n’a pas tardé : une élue d’opposition LR, Catherine Pila parlant aussitôt de « tambouille politicienne », un Stéphane Ravier (RN) dont la réaction a été diffusée deux fois dans le même journal, réclamant une nouvelle élection alors que c’est le Conseil municipal qui élit le ou la maire.

Le président de la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier, s’est montré plus nuancé au micro d’Europe 1 : « c’est une femme bien et si elle nous dit qu’elle a un problème de santé, c’est la vérité. Mais alors elle ne peut pas non plus être maire adjointe. Ce n’est pas une promenade de santé d’être maire adjoint de Marseille. Là c’est un abandon des Marseillais qui lui ont fait confiance. C’est terrible sur le plan politique ».

La réaction de certains électeurs et électrices sur le mode « on a voté pour une maire et on va se retrouver avec un autre » est évidemment légitime. L’exploitation politicienne de cet épisode l’est moins, même si on peut toujours se dire « c’est de bonne guerre ». Certains ne peuvent même pas imaginer que l’on puisse renoncer à un pouvoir quelconque car c’est ce qui les meut, les fait vibrer. Pourquoi douterait-on par principe et a priori de la parole de Michèle Rubirola lorsqu’elle invoque des problèmes de santé ? Parce que « tout le monde ment » comme dans le morceau du groupe Massilia Sound System et que le mensonge serait consubstantiel à la politique ?

 

Pas assez conforme au « mundillo » politique ?

 

Il faut bien le dire, le procès médiatique, plus ou moins soft, fait à Michèle Rubirola n’a pas attendu sa déclaration de démission pour être instruit. Pour celle qui se définit avant tout comme une « militante », qui goûte peu les caméras et les honneurs, être la première femme maire de l’histoire de Marseille n’avait rien d’un chemin semé de pétales de rose. Détail significatif que l’on pouvait apercevoir sur les images lors de sa déclaration à la presse du 15 décembre : une porte portant l’inscription « Bureau de Monsieur le Maire ». Visiblement, l’éventualité qu’une femme puisse être un jour maire de Marseille n’était pas historiquement prévue…

À travers l’expérience écourtée de Michèle Rubirola à la tête de la ville, et les multiples commentaires que son élection avait déjà suscités, on a bien senti que la place des femmes en politique continue à poser problème à pas mal d' »observateurs ». Surtout si elles s’écartent  d’une certaine orthodoxie, pas seulement sur le plan économico-politique, mais aussi en termes de codes. Trop « femme de terrain », pas assez notable, Michèle Rubirola ne serait pas assez conforme au « mundillo » (politique en l’occurrence) comme disent les fans de tauromachie.

Si l’on y ajoute l’entreprise médiatique de délégitimation des maires se réclamant peu ou prou de l’écologie, on voit que Michèle Rubirola souffrait d’un double handicap, un double effet, mais pas vraiment « kiss cool« . Adepte d’un style aux antipodes de la politique à l’ancienne de son prédécesseur, Jean-Claude Gaudin, friand, lui, d’exposition médiatique, Michèle Rubirola était d’emblée fragilisée aux yeux d’un certain microcosme dont la capacité à se renouveler n’est pas le point fort. La désormais ex-maire de Marseille a rappelé mardi qu’elle ne croyait pas « aux hommes et aux femmes providentiels ». C’est tout à son honneur, comme le fait de reconnaitre qu’elle ne peut pas se consacrer « à 300 % » à cette lourde tâche. Il est quand même plus difficile d’être maire de Marseille que d’être maire de Levallois-Perret ou de Neuilly-sur-Seine.

Il restera maintenant au Printemps marseillais à garder le cap qu’il s’est fixé, malgré les récifs qui ne vont pas manquer de se présenter. Et ce quel que soit le (ou la) capitaine du navire. L’élection du nouveau maire aura lieu lors du prochain Conseil municipal, lundi 21 décembre. On voit mal comment ce ne pourrait pas être Benoît Payan. Membre du PS qui fut longtemps hégémonique à gauche à Marseille, saura-t-il incarner ce rassemblement original qui a réuni représentants de formations politiques et membres de collectifs citoyens, alors qu’il n’avait finalement pas été retenu comme tête de liste ? « Nous avons commencé ensemble, nous continuerons ensemble. Marseille le mérite », a-t-il posté sur son Facebook. Comme pour rassurer celles et ceux qui auraient des inquiétudes.

Morgan G

Voir aussi : Entretien Michèle Rubirola : « notre projet répond aux urgences »

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JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"