dimanche 28 avril 2024
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GJ's : Région Jaune – La couleur d’un défi

Question ?

Par quel bout le prendre ? Avouons-le, le mouvement des « gilets jaunes » est un véritable défi à l’analyse.

Par quel bout le prendre ? Avouons-le, le mouvement des « gilets jaunes » est un véritable défi à l’analyse. Où même les commentateurs patentés des plateaux télé (ceux qui ont réponse, binaire, à tout) y perdent leur latin.


Ils en arriveraient presque à regretter les journées d’actions syndicales qu’ils pourfendent en temps ordinaire, dénonçant « ceux qui bloquent la France » et ne veulent rien entendre à la « nécessité » des réformes menées par l’homme du « nouveau monde ». Ce nouveau monde qui semble pourtant s’écrouler sous ses pieds.


« Simple » jacquerie ? Mouvement citoyen ? Récupéré par l’extrême-droite et les LR, ravis de réactiver leur vieux fonds idéologique de « révolte (anti) fiscale » ?. S’il n’avait que ce visage, on aurait toutes les raisons de fuir ce mouvement. Or, comme décidément rien n’est simple, il est aussi soutenu par la France insoumise, les députés PCF, le NPA, ou Lutte ouvrière . A chacun son approche du mouvement en somme et ses raisons d’y participer ou de le soutenir. Ou, pour d’autres qui ne sont pas pour autant confits en macronisme, des raisons de garder quelque distance. Les deux visions livrées par l’historien Roger Martelli et le sociologue Willy Pelletier, ce dernier impliqué en tant qu’acteur et non pas seulement en tant qu’observateur (*), montrent à quel point sa caractérisation est difficile

Échappant aux formes de mobilisations traditionnelles impulsées par les syndicats ou les partis (c’est à la fois sa force et sa faiblesse), le mouvement est déjà allé bien au-delà de la journée de blocages du 17 novembre. Malgré les menaces, le chantage du ministre de l’Intérieur et la dramatisation. Dans le Var, le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône (du péage de la Barque dans le pays d’Aix à Arles en passant par Martigues ou le dépôt pétrolier de Fos –remarquons au passage que ce sont souvent des lieux investis naguère par les luttes syndicales), le Gard, l’Hérault… se succèdent les opérations de barrages filtrants, le plus souvent bon enfant. Personne ne regrette de ne pas payer l’autoroute, si chère aux actionnaires de Vinci et si coûteuse pour les automobilistes. C’est-à-dire tout le monde en fait, car tout le monde justement n’a pas la « chance » d’habiter dans une « métropole » avec un réseau de transports en commun performant et des tramways flambant neuf… Mouvement hétérogène ? Certes : quoi de commun entre les « gilets jaunes » de Flixecourt dans la Somme qui livrent des migrants à la gendarmerie, avec propos racistes à la clé et les militant(e)s de syndicats ou de formations progressistes qui se joignent aux actions, parfois à titre individuel ? La diversité des pancartes, des slogans est aussi une illustration de ce caractère hétérogène. Où le sentiment d’injustice semble faire le lien, des territoires ruraux jusqu’aux zones urbaines. Où l’entourloupe de l’argument écologique ne trompe personne. Avec les « bus Macron » et le sacrifice annoncé de milliers de kilomètres de « petites » lignes de chemins de fer, difficile de passer pour un petit homme vert. Et voilà qu’un ministre se permet d’ironiser sur « ceux qui fument des clopes et roulent en diesel », énième illustration d’un mépris de classe, marque de fabrique d’un pouvoir arrogant et définitivement hors sol.

Le gouvernement aurait tort de miser sur l’essoufflement, le pourrissement comme il l’a fait pour les luttes précédentes ou sur les images de « violences » des Champs-Elysées. Inédit dans sa forme, le mouvement des « gilets jaunes » traduit la fracture béante entre « le peuple » et ceux qui sont censés le représenter. Il est l’expression d’une crise de confiance souterraine, dont nul ne peut à ce jour connaître l’issue. De lui peut naître le pire ou le meilleur. Il n’est pas interdit de parier sur le deuxième terme de l’alternative. Où l’opération vérité sur l’escroquerie macroniste déboucherait sur de véritables perspectives en termes de justice fiscale, d’écologie, d’ambitions pour les transports, d’urbanisme, de travail, de services publics… L’abandon des classes populaires et la politique de la terre brûlée ne sont pas inéluctables.


(*) « L’Humanité » du mardi 20 novembre 2018

Source : LMEC