L’une des figures marquantes des Gilets jaunes, à la tête d’Handi-social et aujourd’hui élue toulousaine de l’opposition, a eu un parcours de vie jalonné de hauts et de bas. Malgré ces vagues, Odile Maurin garde le cap dans ses luttes pour une société, une ville, un monde de partage réunissant la communauté humaine dans toute sa multiplicité et sa complexité.


 

PORTRAIT

Mais qu’est-ce qui fait courir Odile Maurin ?

La femme la plus recherchée par les faiseurs d’injustices, encore aperçue, le 6 mars dernier, roulant à fond les manettes sur son fauteuil volant, activement photographe amatrice dans la manifestation pour clamer la soif vitale de la culture, la soif de vivre tout court, dans un contexte d’incertitudes, de survie et de discriminations en tous genres.

 

Odile Maurin née sous le signe de la détermination. Photo DR

Qui ne connaît pas Odile?

Devenue célèbre pour ses actions coups de poing et sa participation au mouvement des Gilets jaunes pour la justice sociale, économique et le droit de vivre dans une ville capable d’intégrer, dans son espace, les différences. C’est non sans humour qu’elle interpelle, en décembre 2018, la police aérienne du tarmac de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, lors de son intrusion sur le bitume avec ses collègues, pour rappeler au monde entier les manquements de la France dans le domaine des droits des personnes handicapées :

« Ça fait 40 ans que j’attends l’accessibilité, les avions vont donc attendre un petit peu avant de décoller. »

 

Depuis plus de 20 ans, à la tête de l’association Handi-social 1, Odile Maurin se bat pour la liberté de circuler, de se loger et de travailler comme tout le monde. Un combat individuel devenu collectif, car comme elle le dit si bien « l’on ne peut pas évacuer la mer avec une petite cuillère ». D’où les actions de terrain sous la forme de blocages de TGV, de cimenteries ou du convoi d’Airbus, d’opérations de péages gratuits en mode de désobéissance civile pour que la Ville concrétise l’accessibilité.

Un caractère bien trempé

Cette femme au caractère bien trempé n’a jamais été dans le moule autant qu’elle s’en souvienne. Toute petite déjà, elle fréquentait plutôt les garçons que les filles, le même sexe l’ennuyait : « La seule chose qui les intéressait, c’était de parler de Claude François et de faire les midinettes. » À 7 ans, elle se fait couper les cheveux, refuse de mettre des jupes, s’habille comme un garçon et joue au foot. Rugby, handball, vélo, skate, basket, équitation seront ses activités préférées. Très bonne élève, pourtant, mais zéro de conduite en classe. Ne tenant pas en place, la gamine a des problèmes avec l’autorité « illégitime et infondée, ça se passait mal ». Son franc-parler lui crée des difficultés auprès des enseignant.es, ça se termine souvent chez le proviseur, mais comme elle est un bon élément, le pardon est assuré. Sauf que sa grand-mère paternelle, bigote confirmée, veut l’obliger à faire sa communion moyennant l’achat d’une montre en cadeau ; Odile, dont la conscience n’est pas à vendre, embarque son frérot dans une manifestation « anti-Dieu ».

Rebelle jusqu’au bout, placée en internat au Pays Basque, elle fait le mur, histoire de voir ce qui se passe dehors, le collège et le lycée ne la passionnent guère. « J’avais décidé qu’à 18 ans j’arrêterai les études. Je voyais pas l’intérêt de faire de grandes études. » Par contre, fumer du shit l’intéresse. Du cannabis à l’héroïne, elle tombe, à 17 ans, d’une dépendance à une hyper addiction, quand elle apprend la maladie de Parkinson de sa maman, à peine âgée de 40 ans. « L’héroïne me permet de ne plus avoir froid, de ne plus avoir mal, de ne plus être fatiguée ». Alors qu’elle fait beaucoup de sport, son dos lui fait souvent mal, cependant, en bon « garçon manqué », elle met un point d’honneur à ne jamais se plaindre ne trouvant rien d’anormal à sa douleur. Elle ne sait pas encore qu’elle souffre d’une maladie rare. Adolescente, elle vit aussi à cent à l’heure, la vitesse c’est son ADN. Les compétitions d’enduro (moto tout-terrain) défilent, son père lui a appris la mécanique, aussi les réparations des motos des copains n’ont aucun secret pour la jeune fille qui adore aussi surfer sur les vagues et rouler à 220 km/h dans sa voiture sportive. Un jour, son visage vire au jaune, une Hépatite C lui fait perdre 27 kg. Tous ses muscles fortifiés durant sa vie sportive fondent. Le drame vécu du décès de sa mère, 51 ans, suite à la maladie de Parkinson, la fragilise. « J’avais 24 ans, elle m’a demandé de l’aider à mourir, j’ai pas eu le courage, je m’en suis toujours voulu parce qu’elle est morte dans des conditions horribles en s’étouffant ».

Puis c’est la descente aux enfers, une overdose. « Le seul moyen de sortir de la came, c’était de mourir, je pensais que je ne m’en sortirais jamais. » Le déclic, le souvenir de sa mère : «  Je sais que tu vas y arriver, que tu vas t’en sortir », lui disait-elle. Odile mettra 15 ans à s’en sortir grâce à l’amour des femmes, celle qui l’a mise au monde, sa grand-mère maternelle qui ne veut pas perdre sa petite-fille et la meilleure amie de sa maman, une personne d’une grande humanité. Également la méthadone, ce traitement de substitution, lui sauvera la vie. Régulièrement malade, elle perd ses petits boulots. C’est tardivement que l’on diagnostiquera sa maladie génétique rare et invalidante, elle sait depuis peu qu’elle est autiste Asperger.

 

Odile Maurin en séance du conseil métropolitain de Toulouse. Photo DR

Une élue batailleuse

Odile n’arrête pas de ramer encore aujourd’hui. Plébiscitée par des Gilets jaunes en vue des municipales, celle qui est devenue conseillère municipale sur la liste Archipel Citoyen doit toujours batailler pour faire respecter ses droits :

« J’en bave. Ils refusent de mettre les moyens pour compenser mon handicap en refusant d’appliquer la loi »

Sur 1000 euros d’indemnités perçues, 800 euros vont à l’embauche de deux étudiants qui l’accompagnent dans sa lourde tâche d’élue. Il faut savoir que les dossiers à potasser par les élu.es de l’opposition arrivent seulement cinq jours avant le conseil municipal. « Moudenc [le maire de Toulouse-NDLR] freine des quatre fers dès qu’il s’agit de défendre les droits des personnes ».

Avant son élection, la militante disait « vouloir avoir du pouvoir pour changer la ville avec ses habitant.es ». Et maintenant ? : « Je joue mon rôle d’élue avec mes camarades, j’écoute, je rencontre les gens, je travaille avec eux sur le problème des punaises de lit, l’accompagnement de la petite enfance. Je siège dans différentes commissions qui dépassent le champ du handicap : transports, urbanisme, habitat, propreté et voirie. Je me bats sur la question de la gentrification [embourgeoisement ou, dans la presse, boboïsation -NDLR] de la ville vendue aux promoteurs ».

Est-ce la justice qui court après elle ou elle qui court après l’injustice ? Le 23 mars, Odile a encore rendez-vous, avec d’autres militant.es, au Tribunal de Grande Instance. Cette fois pour son intrusion, avec ses camarades, sur le tarmac de l’aéroport toulousain en 2018. Le 12 février, elle était de nouveau devant les juges pour avoir bravé l’interdiction de manifester pendant un an2.

Cette guérillera3 de son siècle ne craint ni l’acharnement judiciaire ni la répression policière dont elle a été victime avec des centaines de Gilets jaunes. Avec ou sans condamnation, elle continuera son combat pour une société et un monde égalitaire, juste et solidaire pour tous les êtres humains.

 

Piedad Belmonte


 

Notes:

  1. HANDI-SOCIAL est une association d’entraide et de défense des droits des personnes en situation de handicap ou de maladies invalidantes.
    https://fr-fr.facebook.com/HANDISOCIAL/ – https://www.handi-social.fr/
  2. Décision judiciaire du 6 décembre 2019. Les 7 et 17 novembre 2020, elle participait à deux manifestations, l’une en soutien aux personnels de l’hôpital, l’autre contre la Loi sécurité globale.
  3. Femme d’une unité de combat de nombre restreint qui lutte contre une armée régulière
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin