Le gouvernement s’est empressé, mercredi, en conseil des ministres, de rédiger 25 ordonnances pour permettre à l’économie française de se relever après la crise sanitaire.


Sous couvert d’un appel à la solidarité, Édouard Philippe a affirmé que les Français devraient fournir un « effort long ». Le président Emmanuel Macron s’émancipe ainsi de tout débat concernant le modèle de reconstruction d’un système économique qui démontre de manière criante et mortifère ses limites. Après l’enfermement, préparez-vous à « un effort long » pour vous relever, le Premier ministre vous souhaite bon courage.


 

 

La France doit se préparer à fournir un « effort long » face à la pandémie de coronavirus qui a provoqué un « choc sanitaire, économique et social », a déclaré, mercredi 25 mars, le chef du gouvernement Édouard Philippe, à l’issue d’un conseil des ministres largement consacré à la crise. À cette occasion, 25 ordonnances, portant entre autres sur des mesures de soutien aux entreprises et sur des aménagements temporaires du droit du travail, ont été présentées trois jours après l’adoption d’un projet de loi d’urgence sanitaire. À contrario des mesures sanitaires pour lesquelles le gouvernement a longuement tergiversé, empirant ainsi les conséquences dramatiques de la crise, l’exécutif profite sans tarder du pouvoir absolu qu’il s’est octroyé à bon compte pour ériger sans débat des digues lui permettant de poursuivre sa politique ultra-libérale.

Ces ordonnances dégagent des « moyens exceptionnels pour faire face à la brutalité du choc que subit le pays, c’est un choc sanitaire (…), mais c’est aussi et ce sera de plus en plus un choc économique, un choc social », a souligné le Premier ministre lors du compte rendu du conseil à l’Élysée. Comme il sait bien le faire, Édouard Philippe incarne une image, celle d’être l’homme de la situation, responsable et pragmatique. Dans son allocution, à aucun moment il ne fait référence aux causes profondes ayant conduit à cette situation mondiale inédite. Son comportement à tout du conducteur d’un train fou dont la préoccupation principale serait de savoir si les passagers ont bien poinçonné leur billet. 

« Nous ne sommes qu’au début de la crise » et Emmanuel Macron « a demandé à nouveau, aujourd’hui, au gouvernement de prendre tous les moyens nécessaires dans la durée », a-t-il ajouté. « Je le dis aux Français : c’est un effort long auquel nous nous préparons et auquel nous allons tous ensemble faire face. » Travesti sous le masque de la solidarité nationale, cet effort auquel en apparence le Premier Ministre nous appelle est en fait une injonction qui distribue les rôles de chacun pour maintenir un système en pleine faillite.

Pour les entreprises, les ordonnances mettent en place un fonds de solidarité d’un milliard d’euros, dont 250 millions d’euros apportés par les régions. Certaines entreprises, notamment des assureurs, ont indiqué qu’elles allaient contribuer à hauteur de 200 millions d’euros. Une participation qui paraît dérisoire par rapport à la situation économique. Dans cette politique, la défiance de l’État à l’égard des citoyens vaut aussi pour les collectivités territoriales.
 
 

Les collectivités territoriales politiquement désarmées

Les Présidents de Région se sont entretenus mardi 17 mars 2020 en visioconférence avec le Premier Ministre et quatre de ses ministres. Ils ont dans un premier temps unanimement accepté de participer au fonds national de solidarité à hauteur de 250 millions d’euros, comme cela leur a été demandé. Mais cet effort solidaire reste conjoncturel et les relations avec le gouvernement ne sont pas au beau fixe. Fin septembre 2017 le congrès de l’association Régions de France à Orléans avait marqué un premier constat de rupture. Le Premier Ministre venu annoncer la remise en cause d’un fonds de 450 millions d’euros censé compenser le transfert vers les régions de la compétence du développement économique autrefois détenue par les départements s’était vu remettre à sa place.

Même colère du côté des départements, en litige avec l’État sur le financement des allocations individuelles de solidarité et le traitement des mineurs non accompagnés. Les relations se sont dégradées entre l’exécutif et les principales associations représentatives des élus locaux. L’Association des maires de France (AMF) a condamné la suppression de la taxe d’habitation et les coupes dans les emplois aidés, soulignant que beaucoup de communes sont à cours de moyens pour assurer les services publiques dont elles ont la charge.

La révolte gronde déjà autours des contrats de Cahors signés lors de la Conférence nationale des territoires en décembre 2017. Ce pacte financier entre l’État et les collectivités vise à réduire le déficit public. Il instaure l’encadrement de la dépense locale selon la  loi de programmation des finances publiques qui a fixé un objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales de 1,2 % par an sur une période de cinq ans, ainsi qu’une réduction de leur besoin de financement de 2,6 milliards d’euros par an, soit au total 13 milliards d’euros d’économie sur tout le quinquennat.

Déjà au feu avec la gestion de la crise sanitaire, les collectivités territoriales vont se retrouver en première ligne pour faire face à la crise économique et sociale qui se profile dans le pays. La réduction des recettes et l’augmentation des dépenses des collectivités territoriales plaident objectivement pour une révision de la loi des finances publiques. Dans le contexte d’état d’urgence, les collectivités territoriales qui ont pris leurs responsabilités pour lutter contre le coronavirus sont néanmoins politiquement désarmées. Habituellement elles disposent de moyens d’action auprès des parlementaires pour se faire entendre. Les collectivités territoriales ont aussi la possibilité d’avoir recours au conseil constitutionnel pour faire respecter le principe de compensation financière. Dans le contexte d’état d’urgence sanitaire tout cela est mis entre parenthèses. La gouvernance par ordonnance opère comme une pieuvre technocratique qui évite tout débat de fond sur la fiscalité des entreprises et le besoin des secteurs publics.

 

La semaine de travail jusqu’à 60 heures.  Économie de guerre contre qui ?

Le droit du travail est, lui, « aménagé temporairement pour permettre l’organisation d’une véritable économie de guerre dans les secteurs vitaux et sous conditions », a souligné le Premier ministre. Cela signifie que « les entreprises pourront déroger temporairement et avec des compensations ultérieures aux durées maximales du travail et aux règles de repos hebdomadaire et dominical », a-t-il poursuivi. Les bénéficiaires percevront une aide de 1.500 euros versée « début avril », selon Matignon. Une aide supplémentaire de 2.000 euros pourra être versée « au cas par cas » pour ces mêmes TPE qui risquent la faillite, mais uniquement celles qui comptent au moins un salarié.

Par ailleurs, les entreprises éligibles au fonds de solidarité ne pourront pas subir des coupures d’énergie en raison d’impayés et pourront obtenir un report de paiement de six mois sans pénalité. Pour les loyers, pendant les deux mois consécutifs à l’état d’urgence sanitaire, les pénalités en cas d’impayés sont interdites. Parmi les autres mesures, les entreprises du secteur du voyage pourront rembourser en coupons les prestations annulées. À défaut d’utiliser ces avoirs, les clients seront remboursés après dix-huit mois.

Mais les ordonnances qui risquent de faire le plus parler d’elles concernent le droit du travail. Les textes prévoient, dans certains secteurs d’activité, une modification des dates de congés payés et des dérogations à la durée maximale de travail et au repos hebdomadaire et dominical. Certains secteurs jugés stratégiques pourront ainsi demander à leurs employés de travailler jusqu’à 60 heures par semaine. N’en déplaise à tout ceux qui vivent le confinement comme une expérience sociétale formatrice pour reconstruire une société plus humaine et plus évoluée, la sortie de crise que nous prépare sur ordonnance le gouvernement nous prédit un chômage de masse avec des conditions de travail digne du XIXe siècle.

Des réunions téléphoniques ont lieu entre les Organisations Syndicales, les Organisations Patronales, la ministre du Travail et le ministre de l’Économie. Beaucoup de questions posées par les syndicats de salariés restent sans réponse. Dans le cadre de ces réunions, le 23 mars au soir le ministre de l’Économie a de nouveau et lourdement insisté sur la nécessité que tout le monde aille travailler hormis les possibilités de télétravail.

Malgré la demande répétée des syndicats de salariés, il refuse toujours de définir une liste d’entreprises non indispensables à l’urgence sanitaire d’où l’envoi, par le biais des Direccte, d’un courrier signé par trois ministres aux entreprises pour les inciter à maintenir leur activité. La CGT a protesté contre ce discours inacceptable du ministre de l’Économie et a rappelé l’ambiguïté des annonces gouvernementales où l’on passe de « tout le monde reste à la maison » à « tout le monde au boulot ».

La CGT a de nouveau insisté sur le besoin de distinguer les secteurs essentiels, (santé, alimentation, services publics…) avec l’obligation de protéger la santé des salariés, des autres secteurs. La centrale syndicale souligne que les secteurs devant fermés sont en mesure de réorienter leur production vers la fabrication de produits hospitaliers ou de santé. Dans le même temps, l’arrêt d’activités non indispensables permettraient de libérer des moyens de protection notamment pour le personnel hospitalier dont les besoins s’intensifient, souligne le syndicat sans être entendu.

Emmanuel Macron profite en somme de l’hyper concentration du pouvoir que lui procure cette crise sanitaire pour construire à la va-vite un fort à la Vauban. On imagine un petit groupe de technocrates s’activant dans la forteresse à la rédaction des ordonnances qui vont tomber chaque semaine. On pense aussi à la célèbre formule présidentielle : « Venez me chercher », ce qui au rythme où vont les choses, finira par arriver. On espère enfin qu’à la fin de ce mauvais scénario de science fiction, la raison prévaudra.

Jean-Marie Dinh

avec AFP et Reuters

Les autres ordonnances


Certains titres de séjour prolongés de 90 jours

Cinq ordonnances relatives aux affaires sociales mettent par ailleurs en place une garantie de financement pour les établissements de santé, la possibilité pour les assistants maternels de garder jusqu’à six enfants, avec un service d’information des familles pour connaître en temps réel les disponibilités.

Les ordonnances prévoient également la prolongation des droits ouverts pour plusieurs minima sociaux et celle de la trêve hivernale, prorogée jusqu’au 31 mai, y compris quant à la fourniture d’énergie qui ne peut être interrompue en raison de non-paiement.

Concernant la justice, une ordonnance suspend la prescription de l’action publique et de l’exécution des peines, élargit le recours au juge unique pour les audiences correctionnelles, et permet le recours à la visioconférence, notamment pour l’assistance d’un avocat en garde à vue ou la présentation d’un suspect devant le procureur ou le juge des libertés et de la détention.

Les ordonnances créent également de nouvelles réductions de peine de deux mois pour les détenus — à l’exception de ceux condamnés pour terrorisme ou violences intra-familiales — converties en assignation à résidence.

À propos des titres de séjour, tous les documents qui arrivent à expiration entre le 16 mars et le 15 mai ont une validité prolongée de 90 jours, « ceci afin d’éviter que les personnes concernées ne doivent se rendre en préfecture », a expliqué Matignon.

 


Voir Les 25 ordonnances

Train fou lien musical. Les yeux fermés.


 

SOURCEAFP / REUTERS
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.