Édith Maruéjouls est la fondatrice de L’ARObE (L’Atelier Recherche Observatoire Égalité), un bureau d’études qui accompagne les collectivités à la définition et à la mise en œuvre d’une politique publique intégrée d’égalité. Elle a été sollicitée par le Conseil départemental de l’Hérault pour formuler des préconisations permettant d’aller vers un collège apaisé.


 

 

À quoi correspond votre mission, sur quels critères s’appuie la notion de collège apaisé ?

Un lieu apaisé renvoie à une approche globale qui peut sous-tendre des notions comme la dignité, la convivialité, la verdure, le partage d’activités… tout cela se réfléchit et s’organise. Notre bureau d’études conçoit et participe à de nombreuses missions auprès d’établissements qui entreprennent une démarche d’égalité dans la cour d’école et les espaces de loisirs des jeunes. Cela passe par le partage de l’espace. Ce sont des notions simples, on parle de collège résilient, qui consiste à accompagner des transformations internes et externes dans un établissement et faire émerger un référentiel commun.

 

Si on évoque aujourd’hui une occupation genrée de l’espace public, intuitivement il n’est pas toujours évident de la déceler. Comment décryptez-vous cet espace ?

En effet, le rapport à l’espace n’est pas toujours conscientisé. Lorsqu’on travaille sur une note qui s’adresse aux commanditaires, il s’agit de le rendre visible et de proposer des regards. La question de l’égalité fille-garçon est un prisme. C’est mon travail de prendre du recul et d’objectiver. Je passe ma vie à observer et à restructurer les espaces existants, à évaluer ce que nous pouvons construire. Ces préconisations sont transmises aux techniciens, aux bâtisseurs et aux architectes lorsqu’il s’agit de créer de nouveaux établissements. Les professionnels ne peuvent rendre les améliorations possibles que si on s’y intéresse.

 

Au sein des collèges, que peut-on rendre visible dans la relation entre les filles et les garçons ?

Cela débute toujours par une phase d’observation. En observant, on fait ressortir le rôle des attitudes et des pratiques. Quelle est la place de chacun et chacune ? Qui occupe quel espace ? La cour de récréation appartient à tout le monde et à personne. Pourtant, les garçons occupent le centre, et les filles qui sont moins en groupes, les côtés. L’endroit où elles se regroupent, ce sont les toilettes. Faire valoir la notion d’égalité, ce n’est pas sérier les espaces mais favoriser l’aménagement pour que les filles et les garçons se retrouvent au même endroit. L’égalité est aussi une forme de renoncement, partager c’est laisser sa place. Il y a des groupes de garçons et de filles… ils ne mangent pas ensemble… il y a une absence de relation. En classes élémentaires et au collège, les filles et les garçons sont captifs. C’est le seul moment où il partagent le même espace sans pouvoir sortir. Cela représente un enjeu fondamental pour construire des relations. Or, on observe que dans l’espace de la cour, ils s’ennuient. Ce sont des lieux désertés, en termes de projets.

 

Comment favoriser l’enjeu relationnel que vous évoquez ?

En agissant de manière plus subtile pour mettre en œuvre une stratégie de la relation et en évitant les prescriptions d’usage, du type : l’espace central de la cour est réservé au foot. J’ai vu des sixièmes se retrouver sous les tables de ping-pong. On peut imaginer des lieux qui symbolisent des ambiances, comme un arbre à palabres. Créer des toilettes mixtes en préservant l’intimité. Comment peut-on concevoir que les garçons n’ont pas besoin d’intimité ? Il faut également créer de la mobilité ; si on reste fixe dans l’espace il est plus difficile de se mélanger. Légitimer le fait qu’on peut avoir besoin de se poser en créant des espaces où on peut aussi s’asseoir seul. Il y a quelques grands principes, après les possibilités découlent d’une analyse multiniveaux pour les adapter au mieux à la situation.

 

S’ils sont importants, les aménagements ne conduiront pas à un rapprochement spontané entre les filles et les garçons. Quel genre d’action peut venir en complément ?

Agir en la matière suppose d’identifier sur quoi repose le problème. Et il repose pour l’essentiel sur trois aspects : la classification, la séparation et la hiérarchie. On classifie la place des filles et des garçons sur une identité d’appartenance : pourquoi ? Rien ne justifie cette classification, mais celle-ci induit d’inégales valeurs qui nous renvoient à une hiérarchie. Tout cela tient justement parce qu’on sépare les filles et les garçons. Il importe donc d’affaiblir la séparation en travaillant la perméabilité de l’espace et des mondes. On peut retrouver chez l’autre son espace d’égalité.

 

Cela pourrait nous renvoyer à la relation femme-homme chez les enseignants… Plus globalement, au sein des établissements les adultes adaptent relativement peu leurs pratiques à la nécessité relationnelle ; les intégrez-vous au processus d’amélioration ?

Tous les personnels de l’établissement participent à l’objectif d’un collège apaisé. Sur les notions d’égalité et du rapport aux espaces, l’adulte protège. Il doit être celui qui permet à tous de pouvoir venir. Ce qui sécurise l’espace, ce ne sont pas les caméras, c’est la coveillance, le fait que les collégiens sachent qu’il y a d’autres yeux qui puissent leur venir en aide.

 

Qu’en est-il de la frontière entre le dedans et le dehors, frontière qui n’existe pas vraiment si l’on considère le bien-être des collégiens. Comment prendre en compte les problématiques extérieures à l’établissement ?

Un établissement d’enseignement est à la fois un lieu à usage collectif et un micro-espace public. L’apprentissage du collectif, c’est la grande histoire de l’Éducation nationale. Avec cette question du miroir que l’on se pose depuis des décennies : l’école est-elle le miroir de la société ou fait-elle la société ? Sur des questions comme la violence, on focalise sur le problème des intrusions extérieures, qui peuvent exister, mais la plupart du temps, les faits de violence ont lieu à l’intérieur, comme les violences faites aux femmes. Le parvis de l’établissement est intéressant. C’est un lieu ouvert où il y a un jeu. Un espace qui fait société au sein de la mixité générationnelle. C’est aussi un lieu de sociabilité pour les parents, majoritairement des femmes immobiles. Habituellement, dans l’espace public, les femmes sont toujours mobiles. On ne les voit pas parce qu’elles se déplacent en permanence. C’est intéressant de travailler cet espace d’attente pour capter la relation et sortir des catégories qui nous enferment. Dans la mesure du possible, il est souhaitable que les fenêtres de l’administration de l’établissement regardent le parvis, que la direction puisse voir et être vue.

 

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.