Venu de loin, des profondeurs de la société, un mouvement social et politique a revêtu le gilet jaune et s’est rendu visible, de jour comme de nuit, pour ceux qui espéraient son irruption comme pour ceux qui la conjuraient depuis des années.


Certains, parmi nous, ont rejoint les Gilets Jaunes dès l’Acte I. D’autres ont eu besoin de temps pour regarder, comprendre et se faire leur opinion. Comment pouvait-il en être autrement pour nous, artistes, auteurs, musiciens, metteurs en scène, réalisateurs, comédiens et techniciens du spectacle, qui accordons tant d’attention à la représentation du monde et qui avons tant de mal à le représenter, face à un mouvement qui se méfie, pour lui-même, des formes anciennes de représentation et qui est scandalisé par la manière dont il est représenté dans les médias.

 

Après treize actes, trois mois de manifestations et d’investissement de ronds-points, le temps n’est plus à observer. C’est d’abord l’indignation qui nous saisit. Nous assistons, chaque week-end, à des scènes de guerre contre le peuple avec son cortège de blessés et de mutilés. Combien de corps estropiés, visages éborgnés, mains amputées…des milliers de garde à vue et, samedi dernier, nous venons de dépasser les 10 000 tirs de LDB. Alors que les grenades GLI F4 sont interdites partout en Europe, le Ministre de l’Intérieur parle de la nécessité d’épuiser les stocks disponibles. Le président Macron et son ministre Castaner en portent la lourde responsabilité. Nous n’oublions pas que cela arrive après les lois contre les réfugiés et l’invention du délit de solidarité, les contrôles au faciès, la répression des militants syndicaux dans les entreprises, les perquisitions d’opposants politiques et d’un organe de presse, les lycéens humiliés à genoux, les arrestations au nombre de 5000, les inculpations massives de manifestants et la loi anti-manifestants. Nous n’aurions pas pensé voir cela dans la France des Droits de l’Homme. La répression et la violence d’État doivent cesser! Arrêt des perquisitions aux sièges des opposants et des organes de presse! Retrait de la loi anti-manifestants!

Les Gilets Jaunes créent une situation inédite. En se rencontrant et en découvrant leur conditions d’existence commune, ils se donnent les moyens de dépasser la culpabilité face à tout ce qu’on ne peut faire pour soi et les siens et se constituent en collectif, nourri de leurs diversités. C’est là qu’apparaît la politique… la constitution d’une conscience qui nous génère objectivement. Nos représentations sont communes. Ces conditions matérielles d’existence peuvent générer des sentiments communs: Fraternité, solidarité… Alors qu’en face on nous oppose : charité, dons, mécénats… Si l’on arrive à formuler cette opposition, nous faisons « politique ».

Depuis longtemps en France, il n’y eut jamais tant de débats. Nous parlons de celui qui se déroule depuis trois mois sur les ronds-points et dans les Assemblées citoyennes, qui a permis que ce mouvement parti d’une révolte contre une hausse du gasoil revendique la justice sociale, fiscale et climatique — la démocratie. Cela faisait longtemps que nous n’avions senti une telle détermination dans une lutte mettant en cause le capitalisme et l’oligarchie.

 

Nous avons nous aussi nos raisons propres d’entrer dans ce mouvement social et politique

Le marché, la société policée rendent invisibles les artistes ainsi que leurs œuvres ou les réduit, dans l’implacable logique capitaliste, à l’état de simples marchandises. Derrière le spectacle mis en scène de manière répétitive et obscène de quelques hiérarques, avides de décorations, de célébrités culturelles coupées du monde, les conditions de vie de la majorité d’entre nous, artistes et techniciens, sont faites de précarité. Trop peu parmi nous vivent dignement de leur métier. Nos droits, nos statuts, nos protections, nos outils, nos conditions de rémunération et d’exercice de notre travail sont attaqués.

Le mouvement des Gilets Jaunes demande le rétablissement et l’élargissement des services publics. Ici, c’est une poste qui est défendue, là une maternité ou une école. Ce sont des revendications identiques aux nôtres, lorsque nous exigeons le maintien d’un théâtre ou de la production radiophonique. Nous pensons qu’il faut regagner un service public de l’art et de la culture digne de ce nom alors que les gouvernements nous rabâchent : “vous n’avez pas trouvé votre économie” et nous imposent les mots du libéralisme: public « ciblé » ou « captif », voire « clients », « marge artistique », « taux de remplissage »…

Pour ceux et celles qui veulent bien ouvrir les yeux, le mouvement des Gilets Jaunes renouvelle les formes de la lutte sociale, crée et invente. Il en va ainsi de l’expérimentation d’un mouvement qui tente de s’organiser et se coordonner sans structure verticale, de la réinvention de la manifestation et de l’occupation de l’espace public, du saisissement du plus grand dénominateur populaire pour se le ré-approprier en signe distinctif ou des cabanes, de leur architecture et de la vie qu’elles suscitent. Et bien d’autres choses que nous sommes loin de saisir ou même de voir.

Nous voulons traverser la rue vers le rond-point pour nous retrouver ensemble, échanger ensemble, penser ensemble, nous battre ensemble. D’autant que se noue et progresse une convergence entre d’autres forces de la société. Ainsi, dans des localités, dans des départements, s’écrivent des initiatives communes entre Gilets Jaunes et syndicats, et défilent côte à côte ou successivement des stylos rouges, des blouses blanches et roses, des robes noires et des gilets de toutes les couleurs.

Nous voulons défendre tous les droits collectifs, Sécurité sociale, protection contre le chômage, conventions collectives, droit à la retraite… que les générations précédentes ont conquis par leur bataille. C’est une question de civilisation. Nous sommes convaincus aussi que peut se jouer un nouveau monde à inventer et construire en commun. L’occasion ne se présente pas si souvent. Cela se joue maintenant.

Nous appelons donc à nous rejoindre. Les soussignés appellent leurs collègues, leurs amis à participer aux Assemblées citoyennes et à entrer dans l’action avec les Gilets Jaunes et les syndicats qui participent au mouvement.

Vous pouvez rejoindre l’appel en envoyant votre accord à : michel.sidoroff@yahoo.fr et klajnbauml@gmail.com

 

 


Liste des premiers signataires


 

Voir aussi : Les artistes refusent de capituler