Persuadés qu’un autre modèle de vie plus respectueux de la nature et de l’humain est possible, des jeunes décident de « bifurquer » pour se lancer dans des initiatives collectives.


 

Phil Becquet, cofondateur de la Caserne bascule à Joigny dans l’Yonne, explique l’origine du mouvement La Bascule, initié en février 2019 par l’écologiste Maxime de Rostolan, un des fondateurs de Fermes d’avenir 1.

 

À Pontivy, en Bretagne, une cinquantaine d’étudiants s’installent avec l’accord de la municipalité dans une polyclinique désaffectée. Durant 9 mois, ils retapent entièrement le bâtiment, créent des points d’eaux et d’électricité, le meublent avec de la récup’, expérimentent la gouvernance partagée, l’autogestion, le troc, l’autonomie alimentaire, partagent les livres et les savoirs. Un nombre impressionnant de personnes passent dans ce laboratoire expérimental de travail et de vie.

« C’était une force vive venue prêter soutien à d’autres projets en France et une version plus basique de ce que nous faisons à la CasBa, explique Phil. L’idée est de mutualiser des espaces non utilisés pour en faire des lieux de vie commune, d’expérimentation et de partage des acquis pour pouvoir les reproduire, d’aller à l’encontre de l’individualisme et de la séparation des autres, de créer un lobbying citoyen fédérant des mouvements existants ou ayant existé pour répondre à l’inertie des dirigeants et des entreprises face à la crise climatique et sociale, d’inventer de nouveaux modes de vie solidaires et réellement démocratiques, mais aussi de nouvelles manières de penser des initiatives personnelles. Si on ne se change pas soi-même, comment faire changer les autres ? »

Le mouvement La Bascule, qui s’appuie « sur des valeurs humaines de coopération, de bienveillance et d’intelligence collective », se définit à travers quatre programmes d’action :

  • Servir la transition, diffuser les acquis pour permettre la réplique du modèle (former à la gouvernance partagée, aux bâtiments moins énergivores, faciliter la posture de coopération et d’intelligence collective…) ;
  • Soutenir les mobilisations pour amplifier la pression citoyenne et faire converger les luttes ;
  • Favoriser la coopération et créer des espaces de rencontres par des événements ;
  • Donner au citoyen les outils pour influencer les décisions politiques dans l’intérêt commun. Mettre en place des assemblées citoyennes et monter en compétence pour la résilience des territoires.

La Bascule est devenue une famille de projets, un archipel d’îles que sont les collectifs de basculeurs indépendants, selon le concept d’Édouard Glissant, écrivain, poète et philosophe ; concept repris par l’archipel citoyen « Osons les jours heureux » composé d’une cinquantaine d’organisations de la société civile qui portent « des valeurs communes, la même analyse des crises actuelles et qui cherchent ensemble des solutions pour les résoudre ».

Aujourd’hui, l’archipel La Bascule regroupe trois lieux et trois collectifs.

 

La Caserne Bascule @sasha Verlei
La Caserne Bascule .credit-s-verlei

 

La Caserne Bascule ou la CasBa

L’association La Caserne Bascule à Joigny est un projet associatif et bénévole qui existe depuis près de trois ans et qui s’inscrit dans cette mouvance, sans lien de subordination avec une vocation et des intérêts similaires. « Les réalités sont différentes selon les territoires. Certains ont des écoles itinérantes, d’autres sont des collectifs citoyens sans lieu spécifique. Nous partageons des ressources, des ressources humaines, des bonnes pratiques avec une envie commune : faire basculer la société », précise Phil Becquet.

Le réseau s’étend grâce aux associations, aux collectifs et aux personnes qui répercutent des initiatives dans toute la France : « Tous portent cet élan. Plus de 80 initiatives sont passées par la CasBa et nous gardons le lien avec elles. (La fresque du climat, Makesense, Learning Planet Institute, la coopérative Oasis, l’école Fertiles – coopération et engagement, l’école Milpa – permaculture, Le laboratoire des résistances, Dernière rénovation, le Festival des possibles, Xavier Bernard-sculpteur et dessinateur, Benjamin Mayet – acteur, auteur et réalisateur… et bien d’autres). »

Le projet fonctionne de façon pérenne grâce aux dons, aux adhésions en prix libre par le biais de la plate-forme HelloAsso. La subvention du label « Fabrique des territoires », obtenu avec un consortium d’associations, contribue au financement des événements. Pas de prix fixe pour y participer,  chacun donne ce qui lui semble juste, en conscience et sous la forme qu’il souhaite.

 

Un projet bâti sur 3 axes principaux

1- Le tiers et éco lieu

La CasBa où l’on expérimente de nouveaux modes de vie, où l’on trouve de nouvelles manières de penser, de se réinventer, que ce soit personnellement ou professionnellement. Qui dit mutualisation dit réduction des ressources que l’on consomme.

2- La communauté

Elle s’enrichit par les uns les autres et tire sa force de sa diversité. « C’est un lieu intergénérationnel, un mélange de locaux et de personnes qui viennent de la France entière. Il y a une majorité de jeunes, mais pas seulement. Toutes ces personnes sont issus d’horizons divers, de l’environnement, du milieu associatif. Sans cette communauté, ce lieu n’existerait pas, tous le font vivre », souligne Phil. Certaines personnes y habitent, d’autres y passent quelques jours, semaines ou mois en fonction de leurs projets.

la CasBa accueille des collectifs et associations qui proposent des formations, des stages, des séminaires : formation à la coopération, à la gouvernance partagée, à la résistance civile, au développement personnel, à la permaculture ; et des ateliers artistiques ou de bien-être : musique, théâtre, yoga…

3- L’ancrage dans le territoire local

« Nous ne sommes pas un projet hors-sol de néoruraux venus tester dans leur coin. L’idée est de s’ancrer dans l’écosystème local, de se connecter au système associatif qui existe déjà et d’agir avec. Nous travaillons avec les écoles, des associations comme Renaissance Joigny initiée par Laure Noualhat, dont la raison d’être est de créer un territoire résilient et vert autour de Joigny, le centre social La Fabrik, le Syndicat des déchets, le Jardin des coteaux qui fait de la réinsertion professionnelle par le maraîchage, Terre de liens, Le Maillet-fablab, C3V Maisons citoyennes, Scani-Société coopérative d’aménagement numérique Icaunaise, le Château du Fey lieu de transmission et de partage, le Repair café Joigny, les Restos du cœur, Le café perché… »

S’investir dans le local c’est créer du lien, venir en soutien au territoire, participer collectivement et dans la coopération aux prises de décisions pour contribuer à « un futur désirable et joyeux ».

Mais rien n’est simple. Certains mettent en avant la difficulté de convaincre et le fait que les tiers-lieux n’attirent que les convertis. D’où la nécessité de se tourner vers la communication et la création d’événements attractifs pour toucher un public plus vaste. La difficulté n’est-elle pas aussi de grandir, de prospérer en conservant ses convictions, sa détermination et sa fraîcheur ? Pour cela, le collectif doit se remettre continuellement en question pour garder ses raisons d’être telles qu’elles ont été définies par tous.

La Bascule, en opposition au néo-libéralisme destructeur et à son univers high-tech ou à une vision apocalyptique et fataliste du monde, se définit comme une alternative qui propose une réflexion sur le champ des possibles, incite à rechercher des solutions cohérentes pour les mettre en œuvre à l’échelle locale dans le but de changer de cap. De fait, ce travail est récompensé par la conquête d’espaces de vie et de liberté où chacun a un rôle à jouer pour en semer d’autres, ici ou ailleurs.

 

Une utopie écologique et sociale ?

Pour Sandrine Roudaut « autrice, conférencière, chercheuse et semeuse d’utopie », la dignité n’est pas négociable et tous les grands combats gagnés aujourd’hui ont été des utopies, que ce soit l’abolition de l’esclavage, la sécurité sociale, le vote des femmes, le droit à l’avortement et bien d’autres… Dans une interview de l’association la Fonda, elle explique : « La radicalité est importante. Ceux qui ont demandé la fin de la ségrégation n’ont pas demandé un esclavage responsable ou une transition esclavagiste. […] Sans désir d’un autre monde, on ne peut pas le changer… Une utopie, c’est décider de ce que sera demain, un monde qui ne nuit ni à la planète, ni aux personnes, ni à nos enfants, et partir de ce futur idéal pour bâtir quelque chose. […] C’est point par point que nous allons faire basculer le damier vers un autre monde.[…] C’est grâce à une ambition démesurée que l’audace, la créativité et l’innovation peut émerger… »

La Caserne Bascule s’inscrit dans cette mouvance ouverte à tous.

Il ne s’agit pas ici de transiter vers le moins pire, ni de s’isoler en survivalistes, mais de voir plus grand, de sortir de l’ombre, de se lever pour qu’émerge, île après île, île avec île, le monde de demain. Alors, utopistes debout ?

Sasha Verlei

À voir : La Caserne Bascule, naissance d’un nouveau monde

A lire en complément de cet article :   » Rêver la fin d’un monde pour en inventer un autre » altermidi Mag#10 (5 € en kiosques)

Notes:

  1. Soutien du développement de l’agroécologie.
Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.