« Les Gazaouis mangeront le sable mais ne quitteront pas leur terre. » Ce sont les mots de Mariam Abudaqa, résistante féministe palestinienne, lors d’une conférence qui s’est tenue à Marseille le samedi 14 Octobre, dans le cadre de sa tournée. Dix-sept villes françaises ont, l’une après l’autre, interdit ses conférences, mais sa parole a néanmoins pu être entendue plusieurs fois grâce à la ténacité et l’inventivité du réseau de solidarité avec la Palestine. À Marseille, l’initiative en revient au collectif « Palestine en résistance » qui regroupe différentes associations et mouvements de solidarité.

Une allocution de bienvenue a été énoncée par le prêtre d’une paroisse d’un quartier marseillais, auprès d’un public venu en nombre — 150 personnes en intérieur et une cinquantaine en extérieur ont pu écouter le témoignage d’Asja Zaino, anthropologue auteure une thèse1 sur la question des prisonnier.ière.s palestiniens :

« La prison touche tout le peuple palestinien, en Cisjordanie comme à Gaza chaque foyer a au minimum un membre de sa famille concerné. C’est une forme de contrôle et de gestion de la population issue du colonialisme ; en général c’est devant une cour militaire qu’ils et elles sont jugé.e.s quand ils et elles le sont et le taux de culpabilité prononcé s’élève à 99 %. Le système pénal israélien s’autofinance avec les amendes infligées aux palestinien.ne.s. Il existe aussi cette fameuse détention administrative qui se renouvelle tous les six mois sans connaissance du chef d’inculpation. Une des premières raisons de la résistance concerne la question des prisonnier.ière.s, leur libération étant en tête des revendications. Ils et elles représentent plus de 10 000 personnes unies et parlent d’une seule voix ; leur mouvement a démarré suite aux accords d’Oslo qui proposaient la libération des femmes prisonnières, ce que toutes et tous ont refusé en s’engageant dans la lutte sur les conditions de détention. De fait, les prisons ont été transformées en laboratoires de résistance, en universités, en lieux de culture et de réflexion. Aujourd’hui 700 enfants, à partir de 12 ans, sont emprisonnés, selon la loi israélienne, mais certains ont à peine 9 ans et l’Autorité nationale palestinienne a été « obligée » de ne pas verser les salaires aux familles des prisonnier.ière.s. »

 

Conférence à Marseille, samedi 15 octobre 2023.

 

Dans la continuité de cette prise de parole d’Asja Zaino, Mariam Abudaqa, remerciant préalablement le public d’être là, est intervenue : « Malgré tous les blocages, c’est la volonté du peuple qui gagne. Depuis que je suis en France je suis surprise de ce qu’est la démocratie française, bien moins réelle que la démocratie palestinienne ; ce qui se dit sur la Palestine est un grand mensonge et nous pouvons apprendre la démocratie au monde ! »

L’histoire de Mariam Abudaqa est celle d’une dirigeante historique du Front populaire de libération de la Palestine (PFLP) qui a passé plus de 25 ans de résistance en exil. Maintenant citoyenne d’honneur de Gaza, membre du parlement palestinien de Gaza et de Ramallah, et responsable d’une association de femmes prisonnières, en 2014, lors d’une interview à Gaza elle déclarait : « La lutte contre Israël commence dans la maison, dans l’organisation de la famille. Si les femmes ne peuvent pas sortir, ne peuvent pas travailler, elles ne pourront pas lutter contre l’occupation. Se battre pour l’unité est la condition de la lutte contre Israël, double peine, double lutte… »

Alors que Gaza se trouve sous un déluge de bombes — en une semaine Israël a largué plus de bombes sur cette bande de terre que les États-Unis en un an sur l’Afghanistan — Mariam Abudaqa poursuit son témoignage :
« J’ai été arrêtée et emprisonnée à 15 ans, je suis passée devant trois juges militaires et c’est en prison que j’ai appris le courage. Petite, ma famille avait des animaux qui vivaient dans des enclos. Quand je suis sortie de prison, j’ai demandé et exigé qu’on libère tous les animaux emprisonnés, je ne supporte plus les endroits clos et fermés. Après deux ans d’incarcération j’ai été expulsée et j’ai vécu 30 ans en exil avec la Palestine en moi, dans mon esprit. Comme dit le poète palestinien Ghassan Kanafani : « Celui qui n’a pas de pays n’a pas de tombeau. » — je souhaitais mourir en Palestine. La Nakba2 a eu lieu il y a 75 ans en 1948, ailleurs dans le monde il n’y a pas d’autre exemple d’une colonisation fasciste qui ait duré aussi longtemps. En Palestine, à l’époque toutes les religions vivaient ensemble côte à côte dans un respect mutuel, sur un pied d’égalité ; la religion c’est pour Dieu, le pays c’est pour tout le monde. Ce n’est pas le Hamas la résistance, comme disent les médias, la résistance c’est tout le peuple palestinien. Vingt-six personnes de ma famille ont été tuées avant hier, ma maison est détruite, il y a eu 70 massacres de familles entières, rasées, même les hôpitaux ont été détruits, à Beit Hanoun dans le nord de Gaza l’hôpital a eu une heure pour évacuer tous les malades. Les prisonniers palestiniens incarcérés en Israël n’ont plus d’eau, à Gaza un verre d’eau coûte 15 dollars. Un si petit territoire devient le danger d’un continent, merci à Gaza de nous faire découvrir la réalité des régimes occidentaux et arabes ! Les gazaouis chassés sont retournés chez eux pour mourir chez eux. Ça suffit d’écouter les versions mensongères, on ne compte plus sur les régimes mais sur les peuples pour dire les choses, la fin sera le droit à la liberté ! »
À ce moment il y a eu une standing ovation de la salle.

La question de la situation en Cisjordanie a été abordée, les attaques de colons s’y multiplient, 40 morts et 200 blessés ces derniers temps et tout est fait pour tenter de séparer les palestinien.ne.s. Mariam rappelle que depuis Oslo « ça fait 30 ans qu’on a rien obtenu, c’était un complot pour prendre plus de terres et faire plus de colonies, il n’y a qu’à regarder une carte ! Depuis Oslo, 700 résolutions de l’ONU non appliquées par la justice impérialiste… ils nous laissent trois choix : devenir esclaves, exilé.e.s ou tué.e.s ».

Des manifestations de soutien au peuple Palestinien ont lieu dans le monde entier, sans être interdites comme en France, et à l’heure où j’écris, le ministère de l’Intérieur a pris un arrêté d’expulsion contre Mariam Abudaqa et l’a assignée à résidence dans un hôtel marseillais ! Dans quel pays vivons-nous ?

Brigitte Challande

 

 

Une victoire contre la criminalisation de tout soutien au peuple palestinien

Mariam Abudaqa, 72 ans, membre du Front populaire de libération de la Palestine (PFLP), au commissariat de Noailles, à Marseille, le 16 octobre 2023.

La tribunal administratif de Paris a suspendu vendredi 20 octobre l’arrêté d’expulsion visant Mariam Abudaqa, militante du Front populaire de libération de la Palestine, arrivée légalement en France fin septembre pour y tenir des conférences, mais le ministère de l’Intérieur a indiqué à l’AFP que l’État ferait appel de cette décision :
« Le ministre de l’Intérieur a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression et à la liberté d’aller et venir » de Mme Abudaqa, estime le juge des référés du tribunal administratif de Paris dans son ordonnance, dont l’AFP a eu connaissance.
La militante du FPLP, une organisation de gauche qualifiée de « terroriste » par Israël et l’Union européenne, arrivée légalement en France fin septembre pour y tenir des conférences, s’était vu notifier lundi d’un arrêté d’expulsion rendu par le ministère de l’Intérieur.
Dans l’attente de cette expulsion, elle a été assignée à résidence dans les Bouches-du-Rhône (sud-est), jusqu’à la fin novembre.
Elle a contesté cet arrêté vendredi matin devant le tribunal administratif dans le cadre d’un référé-liberté, une procédure d’urgence.
« Je suis extrêmement satisfaite de cette décision, qui constitue un camouflet pour le gouvernement qui a cherché à utiliser une mesure de police des étrangers pour contraindre une parole critique », a réagi auprès de l’AFP son avocate, Julie Gonidec.
« C’est une vraie victoire contre la criminalisation de tout soutien au peuple palestinien à laquelle nous assistons depuis quelques jours », a-t-elle ajouté.
Lors de l’audience, l’avocate a rappelé qu’un visa avait été délivré en août par les services consulaires français de Jérusalem à sa cliente, « militante depuis des décennies » du FPLP, et que le ministère de l’Intérieur créait « une menace par un contexte et non par un comportement individuel ».
« L’État va faire appel » de cette décision, a indiqué à l’AFP le ministère de l’Intérieur, sans autre commentaire.
Mme Abudaqa n’a « pas appelé à soutenir le Hamas ni tenu de propos antisémites ni commis d’agissements de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes en raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion », a estimé le tribunal administratif.
Son expulsion, ordonnée en urgence absolue, n’est « ni nécessaire, ni adaptée ni proportionnée à la nature des troubles à l’ordre public que sa présence est susceptible d’entraîner », a-t-il ajouté dans sa décision.

AFP 20 octobre 2023

Notes:

  1. Asja Zaino, Résister à l’enfermement en tant que femme palestinienne : L’impact du système carcéral israélien sur les trajectoires des Palestiniennes, 2021, INALCO.
  2. Le terme arabe « Nakba » signifie « catastrophe » ou « désastre ». Il désigne, pour les Palestiniens, l’exil forcé de 700 000 d’entre eux, lors de la proclamation de l’État d’Israël en 1948.
Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.