Jusqu’au 11 juillet, La Friche est l’un des QG qui accueillent en France l’évènement national Africa2020. Des expositions aux projections sur le toit terrasse, la manifestation fait aussi la place à la gastronomie, avec le concours des Grandes tables.


 

À l’instar du championnat d’Europe de football Euro 2020, Africa2020 a donc lieu en 2021. Inutile de s’étendre sur les raisons de ce décalage, chacun comprendra. L’essentiel est qu’il ait lieu. Et cela aurait été dommage qu’il n’en soit pas ainsi : N’Goné Fall, la Commissaire générale de la Saison Africa2020 a développé un projet ambitieux, « hors norme » : celui de présenter les points de vue des artistes du continent africain et de ses 54 États. Panafricaine et pluridisciplinaire, la saison s’articule comme une plateforme collaborative, pour « réfléchir ensemble à l’état du monde à travers les axes et les grandes idées portés par les Africains », précise N’Goné Fall. Plusieurs thèmes sont développés : la création artistique, l’économie, la recherche scientifique, les nouvelles technologies et l’innovation, l’architecture et l’urbanisme, le but étant de faire « changer le regard » que la France a de ce continent, mais aussi de « faire tomber tous les clichés que les Africains ont vis-à-vis de la France ». Une démarche que la Commissaire générale de la Saison Africa2020, Sénégalaise native de Dakar résume ainsi : « donnez-nous la parole pour vous dire qui nous sommes. »

Marseille a  été désignée comme une des villes accueillantes, avec Château-Thierry, Bobigny, Metz, Grenoble, Fort-de-France, Roubaix, Paris Goutte-d’Or et Paris Champs-Élysées, Montpellier, Cayenne, Pointe-à-Pitre, Rennes, Nantes et Saint-Denis. Et c’est précisément à la Friche de la Belle de Mai que se tient le QG, c’est à dire le lieu qui concentre l’organisation et la plupart des évènements qui vont s’y dérouler, avec une programmation intitulée Here comes Africa.

Barzakh, l’impossible retour ?

 

QG Africa2020 La Friche
Lydia Ourahmane. Photo NP altermidi DR

Barzakh, de Lydia Ourahmane est une exposition très personnelle et singulière. Elle fait immédiatement écho aux conditions de restrictions sanitaires qui ont sévi un peu partout dans le monde. Venue en Europe pour des raisons professionnelles, l’artiste se retrouve dans l’impossibilité de retourner chez elle, à Alger, suite à la fermeture brutale des frontières par son pays, pour un temps indéterminé. Elle trouve un logement à Marseille, soutenue par l’association Triangle-Astérides. Ce qui va donner lieu à une réflexion et constituer le point de départ de son projet : l’artiste, qui s’inspire souvent pour son travail de situations de sa vie personnelle, va trouver dans cette expérience une matière inespérée. Elle décide de récupérer tout le contenu de son appartement ainsi que les meubles, objets et affaires personnelles de l’occupante précédente, pour le faire inventorier et déclarer comme œuvre d’art par le ministère de la Culture algérien. Elle va même faire découper la porte d’entrée de l’appartement, symbole des restrictions imposées au corps, la peur de ce qui peut arriver, un sentiment d’impuissance… Barzakh signifie en français « barrière » ou « séparation ». C’est ainsi qu’à travers l’installation, on déambule  dans cet espace intime où tout a été disposé suivant leur emplacement original.

Stirring the Pot, une proposition sensorielle et politique

 

La Friche fait la part belle à un artiste de renommée internationale, Emeka Ogboh, en lui offrant tout le 4e étage de l’emblématique tour panorama avec Stirring the Pot, un voyage multi sensoriel qui se décline en 2 parties. Amà2.0, est une installation sonore, variation d’une commande du Cleveland Museum of Art faite à l’artiste en 2019. Dans une semi- pénombre prend place une immense sculpture représentant l’arbre central autour duquel s’organise la vie des villageois en Afrique sub-saharienne. De larges coussins aux tissus Akwété1 sont installés un peu partout, pour permettre de cheminer dans un paysage sonore délivrant des chants traditionnels Igbo, communauté dont est originaire Emeka Ogboh. 12 enceintes autonomes créent ainsi un environnement inconnu, dans lequel on est invité à se laisser séduire.

L’autre partie, Migratory Notes, est aussi une installation multi-sensorielle et immersive, mais basée sur la vidéo : plusieurs écrans projettent en simultané des images de Marseille, ville-monde où les visages comme les marchandises indiquent des provenances lointaines et pourtant familières. Le voyage est partout, dans un aller-retour entre les différents ports d’Afrique de l’Ouest et Marseille. Il est parfois immobile, dans ces images des commerces du centre-ville où se concentre sur les étals toute la richesse de ces produits exotiques, des épices qu’on peut presque sentir…

QG Africa2020 La Friche
Emeka Ogboh. Photo NP

 

 

Artiste aux multiples facettes, Emeka Ogboh prolonge l’expérience sensorielle en l’étendant sur le toit terrasse, « comme une plateforme des possibles, autour de formes artistiques et de temps culturels » : c’est ainsi qu’il invite des chef.fe.s du Nigéria, Bénin, Cameroun, et le 4 juillet offre 3 cartes blanches culinaires et musicales.

On peut aussi y découvrir (et déguster) les deux bières qu’il a élaborées avec la Brasserie artisanale du Castellet à Signes (83), servies à partir d’un Danfo, véhicule-taxi typique de Lagos, transformé pour l’occasion en bar.

Comme il aime aussi faire la cuisine, le 26 août sera l’occasion d’une performance culinaire avec la cheffe Georgiana Viou, sa complice pour cette soirée.

Et comme il est également DJ, il animera plusieurs soirées musicales avec des artistes qu’il aura invités.

 

 

Sans oublier la gastronomie et le cinéma

 

Grâce à la Mission Française du Patrimoine et des Cultures Alimentaires, une place importante est faite aux gastronomies à travers le volet « Les Cuisines Africaines ». Le restaurant de La Friche, Les Grandes Tables, met en lumière cinq cuisinier.ère.s : Nadjatie Bacar, Hugues Mbenda, Gagny Sissoko, Siradji Rachadi, Georgiana Viou, et accueille en résidence un des chefs les plus réputés de Madagascar, Lalaina Ravelomanana. La France n’ayant pas le monopole culinaire, on découvrira — ou on retrouvera — d’autres identités à travers les assiettes. On sait que la cuisine rapproche et réunit, qu’elle est un lien social important et un facteur diplomatique souvent employé.

Les Cuisines africaines ambitionnent de créer, partager et goûter, « de nous questionner autant que de nous séduire ». Jusqu’au 22 août, les propositions iront des terrasses des Grandes Tables au toit-terrasse, en mode apéritif, déjeuner ou dîner, sur place ou à emporter, chaud ou froid, végétarien ou pas, mais toujours en s’approvisionnant chez les producteurs et artisans provençaux.

L’Afrique est une grande terre de cinéma : en lien avec la société marseillaise de distribution cinématographique Shellac et la cinémathèque de Tanger, les soirées Belle et Toile se tiendront en plein air tous les dimanches jusqu’au 29 août. Elles sont gratuites et ouvertes à un large public.

Nathalie Pioch


Stirring the Pot et Barzakh sont visibles jusqu’au 24 octobre.

Le programme complet et réactualisé est à consulter sur le site lafriche.org


 

Notes:

  1. Le tissu d’Akwete est un textile tissé à la main unique produit dans l’Igboland pour lequel la ville d’ Akwete dans l’État d’Abia , au Nigeria est célèbre.
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Reprend des études à chaque licenciement économique, ce qui lui a permis d'obtenir une Licence en Histoire de l'art et archéologie, puis un Master en administration de projets et équipements culturels. Passionnée par l'art roman et les beautés de l'Italie, elle garde aussi une tendresse particulière pour ses racines languedociennes.