Mêmes causes, mêmes effets ? Après la reconversion de la raffinerie de La Mède dans les Bouches-du-Rhône, Total a pour projet de reconvertir le site de Grandpuits (Seine-et-Marne) en une plateforme « tournée vers les énergies d’avenir ». Une belle ambition  sur le papier mais qui pourrait se révéler beaucoup moins séduisante, selon la CGT et des associations de défense de l’environnement engagées dans un combat commun.


 

La conversion en « bioraffinerie » des installations historiques de Total à La Mède, sur les rives de l’étang de Berre (13), avait en quelque sorte ouvert la voie. Vertement (sans jeu de mots) critiqué à l’époque par le syndicat CGT de la raffinerie comme par des associations écologistes (Les Amis de la Terre, Alternatiba), ce projet a certes permis de « sauver » la raffinerie, mais à quel prix ?  Celui de suppressions d’emplois et d’une reconversion qui n’a d’écologique que le mot « bio ».

Aujourd’hui le scénario semble se reproduire à quelques centaines de kilomètres, pour la raffinerie Total de Grandpuits (Seine et Marne). Et à chaque fois des convergences de vues, des combats communs entre syndicats et associations qui auraient été considérés comme improbables il y a seulement quelques années.

Le projet concernant la raffinerie de Seine-et-Marne suscite l’enthousiasme du directeur général de la branche raffinerie-chimie de la multinationale, Bernard Pinatel, selon lequel « avec la reconversion industrielle de la raffinerie de Grandpuits en une plateforme zéro pétrole, tournée vers des énergies d’avenir, Total démontre son engagement dans la transition énergétique ».

On aimerait y croire… sauf que dans le même temps, Total continue ses forages au Mozambique, en Ouganda et même dans l’Arctique avec un projet de plateforme permettant de prélever le gaz fondu1. Réunies avec d’autres dans le collectif « Plus jamais ça » créé lors du confinement de 2020, des organisations aussi diverses que Les Amis de la Terre, Attac, la CGT, la Confédération paysanne et Greenpeace ont produit un « décryptage du plan de reconversion de la raffinerie de Grandpuits »2

Le projet « Galaxie », puisque tel est son nom, comprendrait la production d’agro-carburants, le recyclage de plastique, la production de plastique à partir de matières végétales et la production d’électricité à partir de centrales solaires. Le tout aurait un coût social important avec 700 suppressions d’emplois, dont 200 emplois directs selon la CGT.

Pour ceux qui mènent la lutte de Grandpuits depuis plusieurs mois, il s’agit de « masquer un plan social par du greenwashing ».  Total prévoit d’utiliser un mélange de graisses animales, d’huiles usagées et d’huiles végétales, excluant la très controversée huile de palme. Selon les organisations qui ont examiné ce plan de reconversion, une étude de 2016 faite à la demande de la Commission européenne « démontre que les agro-carburants de première génération (y compris de colza et de tournesol) émettent plus de gaz à effet de serre que les carburants fossiles ». À l’horizon 2030, le secteur de l’aviation « deviendrait le premier utilisateur de ces bio-carburants et serait donc responsable des émissions associées alors que la seule manière crédible de décarboner ce secteur est de réduire le trafic aérien ».

À La Mède, moins de pollution mais…

800 kilomètres plus au Sud, la reconversion de la raffinerie de La Mède (commune de Châteauneuf-les-Martigues 13) est effective. Et certains problèmes demeurent. Réagissant à une interview du directeur du site donnée à « un grand quotidien régional », le syndicat CGT partage le constat de la direction locale selon lequel le site pollue moins : « Effectivement, l’affirmation est vraie, mais le sous-entendu ne l’est pas. En effet, les émissions de CO2 ont drastiquement diminué mais non pas parce que les unités qui restent polluent moins, mais parce que Total a rasé 80 % des installations et que la plateforme est passée de 6 millions de tonnes de pétrole brut traitées par an à environ 200 000 tonnes de charges avec le nouveau process. Aucun argent n’a été injecté pour diminuer l’impact environnemental des unités de production. » Il y a donc encore du chemin à parcourir pour convaincre la CGT et les associations de défense de l’environnement du « verdissement » de la multinationale.

Le terme « bioraffinerie » ne doit pas faire oublier les importations d’huile de palme, causes de déforestation dans certains pays d’Asie comme la Malaisie ou l’Indonésie. Les quantités utilisées sont certes moins importantes que prévu mais selon le syndicat, « sans le droit d’alerte demandé par la CGT et le rapport d’expertise qui en a découlé (plus les nombreuses interactions de notre syndicat avec le milieu associatif), Total serait à l’heure actuelle arc-bouté sur l’utilisation délétère de l’huile de palme ».  Le syndicat se réjouit certes du projet de production d’hydrogène, baptisé « MassHylia »…3 tout en rappelant que ce projet « est entièrement basé sur une étude construite par nos camarades du site de la raffinerie des Flandres, fermée en 2010 qui avait pour but de redynamiser le site ». Moralité, selon le syndicat : « La CGT était une fois de plus en avance sur ce domaine alors que Total ne jugeait pas intéressantes ces perspectives et considérait qu’il n’est pas bon d’avoir raison trop en avance. »

Pour le syndicat CGT de la raffinerie, la décision de l’époque montre « à quel point le groupe peut faire preuve de cynisme et sacrifier les bonnes idées sur l’autel de la rentabilité ». Alors qu’en est-il aujourd’hui de la situation post-reconversion à la raffinerie de La Mède ? Pour la CGT, elle « oscille entre grave et alarmante ». Le syndicat tire la sonnette d’alarme, notamment sur la question de la sécurité, particulièrement sensible sur un site où une explosion a causé la mort de six personnes en novembre 1992. « Nous avons en 2020 deux fuites majeures, une sur de l’hydrogène, l’autre sur un mélange d’hydrocarbures ayant entraîné de nombreux jours d’arrêts de production, deux incidents graves classés HI PO 4 (haut potentiel en anglais) sur une échelle maximale de 5 », indique la CGT. 5 désigne un accident mortel. Sur le plan des conditions de travail, le tableau est sombre et confirme les craintes exprimées par le syndicat au moment de la reconversion, qui s’est traduite par la suppression de 180 postes de salariés « organiques » (salariés de Total et non de sous-traitants) : « Deux expertises consécutives, réalisées par des experts indépendants, ont démontré que le site manquait cruellement de personnel dans chaque service, que les conditions de travail se dégradent, que les conditions de maintenance sont catastrophiques, que les surcharges de travail sont évidentes, que le manque de personnel est flagrant et que les risques psycho-sociaux explosent. »

Les bonnes intentions proclamées ne résistent pas toujours à l’épreuve des faits.                                                                                                                

J-F. Arnichand

Notes:

  1. Clémence Dubois : « À pipeau Total, combat total », Politis, 11 février 2021
  2. Consultable sur : amisdelaterre.org
  3. Projet commun à Total et Engie qui devrait être implanté d’ici 2024 à La Mède, destiné à devenir « le plus grand site d’hydrogène vert en France »
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"