A la manifestation contre la loi de « sécurité globale » et à la marche contre la précarité, Marseille a ajouté l’hommage à Zineb Redouane. Sa mort, devenue « symbole de l’injustice » selon les mots de sa fille, pose aussi la question de l’absence d’images  en cas d’interventions policières violentes.


 

« Zineb, Zineb, on n’oublie pas, on pardonne pas » : ce cri, entonné à des milliers de voix, a retenti encore plus fort qu’ à l’accoutumée samedi 5 décembre dans les rues de Marseille.  Depuis deux ans, il ne cesse de résonner quasiment à chaque manifestation, en souvenir de cette habitante du centre-ville, âgée de 80 ans, victime d’un tir de grenade lacrymogène un soir de « manif » chaude de décembre 2018. Ce jour là, Zineb Redouane voulait simplement fermer ses volets…

Samedi, la tête de cortège, regroupée derrière une banderole portant les inscriptions « Zineb, Maria, 2 ans, on n’oublie pas » (Maria, une jeune femme violemment frappée par des policiers alors qu’elle ne participait même pas à cette manifestation du 1er décembre 2018) a respecté une minute de silence, genoux à terre, sur les lieux du drame.

Le collectif d’organisations ayant appelé au retrait de la loi de « sécurité globale » avait choisi de fondre trois manifestations en une, avec l’hommage à Zineb Redouane et l’initiative nationale contre la précarité proposée par la CGT. C’est assez rare et cela mérite d’être souligné.

Syndicats (FSU, Solidaires, CGT, CNT), formations politiques (France insoumise dont le député Jean-Luc Mélenchon était présent au départ, PCF, NPA, Lutte ouvrière, Parti ouvrier indépendant), associations (Ligue des Droits de l’Homme, Mouvement de la Paix, La Quadrature du Net…), Gilets jaunes, citoyens sans appartenance organisationnelle… rassemblés dans un même cortège de plusieurs milliers de personnes, bien plus fourni que lors du premier acte, le samedi 21 novembre. Lorsque le parcours des manifestations emprunte d’emblée la célèbre Canebière plutôt que la Rue de la République, c’est déjà une signe de la réussite de la « mobilisation ». Preuve que la gravité de la loi « sécurité globale » est perçue au-delà des frontières d’organisations ? Que l’on est au début d’un vaste mouvement social, au sens large du terme ?

« Injustice », « vérité », « liberté » : si ces mots sont revenus à plusieurs reprises lors des prises de parole des représentant-e-s des Gilets jaunes, de la FSU, de la CGT chômeurs, du collectif « Désarmons-les » ou des travailleurs sans papiers, c’est que la restriction des droits des citoyens d’un côté, l’impunité de policiers ayant commis des actes de violence  de l’autre, deviennent de plus en plus insupportables aux yeux de beaucoup. « Ma mère, malgré elle, est devenue un symbole de l’injustice » soulignait le mot de sa fille Milfet Redouane, retenue en Algérie, « l’injustice crée la colère et réveille les âmes les plus calmes ». L’injustice ressentie face à l’absurdité de cette mort, le fait que deux ans après les faits, rien n’ait été entrepris pour définir les responsabilités, a amené la fille de la victime à lancer une procédure devant la Cour de justice de la République à l’encontre de l’ex-ministre de l’ Intérieur, Christophe Castaner.

« Aujourd’hui, on a absolument besoin de briser le monopole de l’Etat  sur les enquêtes » relevait Yann, du collectif « Désarmons-les », « il n’ y a pas de structure indépendante pour faire ce type d’enquête, c’est pour ça qu’on a rencontré ce cabinet d’architecture qui a permis la révélation des conditions dans lesquelles Zineb a été tuée, par un tir direct ». Le militant, qui fait lui-même l’objet d’une procédure devant la Cour de Montpellier- pour ce qu’il nomme « des faits grotesques (des outrages) parce que la police se permet d’écrire des mensonges sur un procès verbal »- évoque une autre affaire: la mort de Babacar Gueye à Rennes le 5 décembre 2015. « Une reconstitution des faits a été obtenue par la famille mais on a encore du travail à faire pour faire valoir la vérité sur cette affaire où Babacar Gueye a été tué de plusieurs balles dans le dos » précise Yann,  » sa soeur se bat pour obtenir la justice, au moins la vérité ».

 

L’enjeu des images

 

On comprend aisément que les images soient devenues un enjeu majeur, pour le gouvernement, qui jure ses grands dieux que journalistes et « simples » citoyens pourront continuer à filmer les interventions policières, et pour les opposants à la loi. « Si Michel (le producteur de musique passé à tabac à Paris, Ndlr) n’avait pas été filmé, aujourd’hui, il serait en prison, ces vidéos sont indispensables pour faire le travail que, la plupart du temps, l’IGPN ne fait pas » indiquait  Sylvie, des Gilets jaunes centre-ville de Marseille. Faisant référence à deux articles de la Constitution, Sylvie rappelait que « les policiers font partie de ces fonctionnaires que les citoyens ont le droit et le devoir d’interpeller » et qu’ « on a besoin d’une police pour organiser la paix civile mais au profit de tous les citoyens. Or, aujourd’hui, on se rend compte que face aux exigences des Gilets jaunes, les policiers ont été utilisés comme des boucliers entre le gouvernement et nos revendications. Nous avions demandé le Référendum d’initiative citoyenne (RIC), avec en particulier le versant RIC révocatoire, c’est à dire qu’on peut exiger la démission d’ un élu qui ne tient pas les promesses sur lesquelles il s’était engagé ou qui dérape, et avec Macron et Darmanin, il y a dérapage sur dérapage ». Force est de constater que l’Emmanuel Macron président de 2020 ne dit pas forcément la même chose que le Macron Emmanuel candidat de 2017.

Pour la représentante de la FSU, Caroline Chevé, la liste est longue : Adama Traoré, Cédric Chouviat, Zineb Redouane… »et les autres affaires que nous n’oublions pas comme celle des lycéens de Mantes-la-Jolie à genoux en 2018″. La syndicaliste appelait de ses voeux « une police qui ne verrait pas dans les manifestations un désordre à réprimer mais l’expression d’une démocratie vivante, une police républicaine au service de la démocratie : une telle police n’aurait rien à cacher ». On l’aura compris, les dizaines de milliers de manifestants réunis ce 5 novembre , à Marseille et dans quelques 90 villes du pays ne veulent pas du « floutage de gueule ».

                                                                                                                Morgan G.

 

Photo  altermidi DR

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"