Votée en première lecture à l’Assemblée nationale mardi 24 novembre, la loi de « sécurité globale » n’a pas fini de faire parler d’elle. Le débat parlementaire a déjà situé les enjeux et de nouvelles manifestations se préparent pour le samedi 28 novembre.


 

Alors, la messe est dite, après les prières de rue des catholiques « tradi » ? Pas tout à fait, à vrai dire. Le texte concocté par l’ancien « patron » du raid, Jean-Michel Fauvergue et l’élue de la Drôme, Alice Thourot, (tous deux députés LREM) a été voté à une large majorité à l’Assemblée où il a été soutenu ardemment (quelle surprise !) par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin et le premier ministre, Jean Castex.

Il va désormais prendre le chemin du Sénat pour la « navette parlementaire ». L’autre droite (celle des LR qui a voté le texte1) y est majoritaire. « Cette proposition de loi va dans le bon sens », a déclaré mardi le député des Bouches-du-Rhône (12e circonscription), Éric Diard, intervenant pour le groupe Les Républicains. Pour l’élu  de la Côte Bleue qui s’interroge toutefois sur l’utilisation « d’images aériennes de propriétés privées » (l’élargissement de la surveillance par les drones est un des aspects de cette loi), l’objectif de l’article 24 « n’est pas de museler la presse ». La main sur le cœur, moult intervenants des groupes parlementaires de droite et du centre ont juré que jamais, au grand jamais, il ne serait question de toucher à la liberté d’informer. La France des droits de l’Homme ne mange pas de ce pain là. « La cible, ce ne sont pas les journalistes, ce sont les hargneux » (comprenez : ceux qui jettent les policiers en pâture sur les réseaux sociaux), a souligné l’intervenant du Modem, Patrick Mignola.

Éric Diard a revendiqué le rôle de « l’opposition responsable et constructive, contrairement à d’autres ». Le débat parlementaire a bien donné lieu à une forme de cogestion entre LREM, les différents groupes de droite et le RN qui ne possède pas de groupe mais a montré son appui au texte par les voix de la députée de l’Hérault Emmanuelle Ménard et Marine Le Pen. La réécriture cosmétique de l’article 24 — celui qui a suscité l’indignation de milliers de manifestants le 21 novembre dans les rues de Toulouse, Montpellier et Marseille, dans nos deux régions — a suffi… à convaincre ceux qui étaient déjà convaincus. Dimitri Houbron, pour le groupe Agir ensemble2 n’a pas hésité à prédire que cette loi « sera un des grands marqueurs du quinquennat », en se félicitant notamment du rôle accru des polices municipales, « chaînon majeur du continuum de sécurité ». « Continuum », le nouveau mot magique.

Certains placent déjà de grands espoirs dans l’acte 2, la navette parlementaire (passage au Sénat puis retour à l’Assemblée), à l’instar de Christophe Naegelen (UDI). Son groupe qui participa au gouvernement Sarkozy est à l’origine d’un amendement qui réprime la « vente à la sauvette » et il mise sur l’abaissement du seuil des 20 agents pour permettre « l’expérimentation » de l’armement des polices municipales. Sachant que bon nombre d’entre elles sont déjà armées dans les villes, « alors, où est le problème ? », pourrait-on s’interroger. Peut être dans la banalisation des armes justement, le député FI du Nord, Ugo Bernalicis ayant cité le courrier d’un de ses administrés réclamant le droit au port d’arme généralisé. Français, encore un effort pour être comme les États-Uniens !

 

Les votes des députés d’Occitanie et PACA

 

L’humour reste une arme des « manifs »

Il faut croire que les arguments martelés durant plusieurs jours par Gérald Darmanin et Jean Castex n’ont pas convaincu tout le monde, même au sein du groupe LREM3où l’on compte 30 abstentions et surtout 10 votes contre. Une élue d’Occitanie, Sandrine Mörch, députée de Haute-Garonne (31), s’est prononcée contre cette proposition de loi, tandis que sa collègue du même département, Elisabeth Toutut-Picard, s’abstenait.  Abstention aussi chez l’Héraultais (34) Patrick Vignal, ainsi que chez les Provençaux Saïd Ahamada et Cathy Racon-Bouzon, élus des Bouches-du-Rhône (13) et Souad Zitouni, députée du Vaucluse (84).

Heureusement pour la formation au pouvoir, il reste les bons élèves : le premier de la classe et ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner (Alpes-de-Haute Provence), les Varois et Varoises Fabien Matras, Sereine Mauborgne, Cécile Muschotti, Valérie Gomez-Bassac et Émilie Guérel, les députées des Bouches-du Rhône Anne-Laurence Pétel, Monica Michel, Claire Pitollat, Alexandra Louis, ainsi que le député de la 8e circonscription (pays salonais), Jean-Marc Zulesi.  Dans les Alpes-Maritimes, terre où LREM a mordu sur l’électorat  de droite lors des législatives de 2017,  Cédric Roussel, Alexandra Valetta-Ardisson et Loïc Dombreval se sont prononcés pour le texte. Tout comme les élues des Hautes-Alpes (05), Claire Boucher et Pascale Boyer.

En Occitanie, Patricia Mirallès, Coralie Dubost, Nicolas Démoulin et Jean-François Eliaou (Hérault), Anthony Cellier, Françoise Dumas (Gard, 30) ont voté pour. Même vote chez  Alain Pérea, Mireille Robert ou Danièle Hérin (Aude,11), Sébastien Cazenove, Romain Grau et Laurence Gayte (Pyrénées Orientales, 66), Pierre Cabaré, Monique Iborra, ,Mickaël Nogal, Jean-François Portarrieu et Corinne Vignon (Haute-Garonne, 31), Jean-René Cazeneuve (Gers, 32), Olivier Damaisin, Alexandre Freschi et Michel Lauzzana du Lot-et-Garonne (47), Muriel Roques-Etienne, Jean Terlier, Marie-Christine Verdier-Joucas (Tarn, 81) et Jean-Bernard Sempastous (Hautes-Pyrénées, 65).

Du côté du Modem, le Gardois Philippe Berta et le Haut-Garonnais, Jean-Luc Lagleize, se sont abstenus. Le député des Bouches-du-Rhône, Mohamed Laqhila et le Varois Philippe Michel-Klesisbauer se sont montrés favorables au texte.

Dans le groupe Agir ensemble, qui a apporté un soutien appuyé à la proposition de loi, Annie Chapelier (Gard), Christophe Euzet et Philippe Huppé (Hérault) ont voté pour. Comme l’élu de Lozère (48) Pierre Morel-À-l’Huissier pour le groupe UDI.

Chez les LR (105 membres), le vote en faveur de la loi a été massif, ce qui ne surprendra personne. Seuls quatre députés, dont Aurélien Pradié (Lot, 46) se sont abstenus. Tous les autres élu-e-s de PACA et Occitanie se sont prononcés en faveur de la proposition de loi : Julien Aubert et Jean-Claude Bouchet (Vaucluse), Édith Audibert  et Geneviève Lévy (Var), Bernard Brochand, Marine Brenier, Laurence Trastour-Isnart, Éric Pauget… et évidemment Éric Ciotti (Alpes-Maritimes), Éric Diard, Bernard Deflesseles, Julien Ravier, Guy Tessier et Bernard Reynès dans les Bouches-du-Rhône, et Arnaud Viala (Aveyron).

Le groupe Libertés et territoires s’est majoritairement prononcé contre la loi à l’image du député des Bouches-du-Rhône, François-Michel Lambert, un ancien Vert, et de Sylvia Pinel (Tarn et Garonne, 82) qui fut ministre de François Hollande.

« Arrêtez l’escalade car ça va mal finir »

 

Pour chercher un vote unanime (défavorable), il faut aller du côté des trois groupes classés à gauche de l’hémicycle, (France insoumise, Gauche démocrate et républicaine, PS), opposés, non pas à la version officielle de cette proposition de loi (« il faut protéger les policiers et les gendarmes ») mais au non-dit de cette ambition : surveillance accrue par les drones, restrictions de fait de la possibilité de diffuser des images de « forces de l’ordre » commettant des violences (qui jugera de l’intention de porter atteinte à « l’intégrité psychique ou physique » ?).

Dès la séance des questions au gouvernement qui a précédé le vote de la proposition de loi, Éric Coquerel (FI) a interpellé Gérald Darmanin sur l’intervention policière de la veille  où « des personnes qui n’ont pas même un toit se sont abritées symboliquement sous la statue de la Place de la République ». Dénoncées par de multiples voix, les méthodes d’intervention ont amené le député présent sur place dans la nuit de lundi, à demander au ministre de l’Intérieur d’« arrêter l’escalade car ça va mal finir ». Comme d’autres, Éric Coquerel a questionné le ministre : « qu’attendez-vous pour limoger le Préfet Lallement ? ». 

S’il fallait une preuve de l’importance des images qui, en l’occurrence, ont poussé Gérald Darmanin à demander aussitôt une enquête de l’IGPN, ces « incidents » la fournirait. Elles n’ont en tout cas pas incité les trois groupes en question à réviser leurs positions, malgré les propos qui se voulaient rassurants de Gérald Darmanin. Parmi les députés de nos régions, les Insoumis ariégeois Bénédicte Taurine et Michel Larive, la Montpelliéraine Muriel Ressiguier,  les deux élus des Bouches-du-Rhône, Jean-Luc Mélenchon (FI) et  Pierre Dharréville (PCF), la porte-parole du groupe socialiste Valérie Rabault, députée du Tarn et Garonne, et ses collègues PS Joël Aviragnet (Haute-Garonne) et Gisèle Blemouret (Gers) ont voté contre cette proposition de loi. L’intervenant du groupe PS, Hervé Saulignac y a vu le reflet de « promesses faites aux syndicats policiers » (les plus droitiers, faut-il le préciser) et l’occasion pour Gérald Darmanin de « se tailler le costume du patron dont on a toujours besoin quand on s’installe Place Beauvau ». Ce costume dont un certain Manuel Valls s’était aussi paré…

Au-delà des débats qui ont animé l’Assemblée ce mardi, la question centrale de la période semble être : faut-il sacrifier les libertés à la sécurité, s’habituer petit à petit à voir l’espace du débat démocratique se réduire, sur fond de Covid… et de bien d’autres choses ? « Que s’est-il passé pour que l’on en vienne à une telle dérive autoritaire ? », s’interrogeait le député PS de l’Ardèche, Hervé Saulignac, tandis que Stéphane Peu (PCF) évoquait  « une pente fatale ». Pour Jean-Luc Mélenchon, s’adressant au gouvernement, « vous ne tenez plus que par la Police et elle vous tient ».

C’est désormais aux citoyens de jouer. Les opposants à cette loi se mobiliseront à nouveau le samedi 28 novembre pour des « marches des libertés » un peu partout en France.

                                                                                                                     Morgan G.

 

Notes:

  1. 99 pour et 4 abstentions.
  2. Vote unanime : 18 pour
  3. 220 votes pour, 30 abstentions, 10 contre
JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"