Le dimanche 31 mai, le réacteur numéro 1 de la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme) a officiellement atteint les 40 ans de fonctionnement. EDF souhaite prolonger sa durée de vie jusqu’à 50 voire 60 ans. Pourtant, la centrale nucléaire composée de 4 réacteurs a connu de multiples incidents depuis sa mise en service en 1980, et de nombreux équipements comportent des défauts. Quel est l’impact de cette centrale nucléaire sur l’environnement et quels sont les risques en matière de sûreté en cas de prolongation ? C’étaient les enjeux d’une action impulsée jeudi 28 mai 2020 par : Greenpeace, le réseau Sortir du Nucléaire, Stop Tricastin, Ma zone contrôlée, Réaction en chaîne humaine, Extinction Rébellion Vallée de la Drôme, Alternatiba Valence & co, Cedra,  Collectif Contre l’Enfouissement des déchets RAdioactifs, Bure à cuire et STOP Nucléaire Drôme-Ardèche.


 

Une journée consacrée à une exigence, la fermeture de la centrale nucléaire du Tricastin. En matinée, des rassemblements, deux à Paris devant les sièges de l’autorité de Sureté du Nucléaire et celui d’Edf, ainsi qu’une sur place devant la centrale du Tricastin. Mais l’essentiel de l’événement était une conférence en direct sur Internet à 18h, ainsi que l’invitation lancée aux internautes de faire connaitre leurs slogans et leur volonté d’arrêter cette centrale.

 

Conférence live sur : pourquoi l’arrêt ?

 

Pour les participants à la conférence, Bernard Laponche, physicien nucléaire et président de Global Chance, et Roland Desbordes de la Criirad, il ne faut pas prolonger la vie de cette centrale au delà de 40 ans. En présentation de la conférence était rappelé que deux millions de personnes vivent dans un périmètre de 80 km autour de la centrale, que toute la vallée du Rhône est affectée par son activité.

En préalable, Bernard Laponche rappelait que l’année 2020 était celle de la 4ème visite décennale de tous les réacteurs de 900 MW. « Nous avons un parc nucléaire de 19 centrales, avec 34 réacteurs de 900 MW. Les deux de Fessenheim ayant été arrêtés, il en reste 32 en activité, dont les 4 du Tricastin. Le réacteur 1 du Tricastin a démarré en février 1980. Ces réacteur sont de technologie dite d’eau sous pression, et sont placés soit en bord de mer, soit en bord de rivière. Le circuit primaire des réacteurs du Tricastin est directement refroidi par l’eau du Rhône via le canal de Donzère ». La question d’une durée légale ne se pose pas, comme le rappelle l’orateur : « dans les années 70, à l’époque de la construction de ces centrales, on n’a pas fixé d’obligation de durée, on disait simplement qu’ils étaient conçus pour durer 25 à 30 ans. Au début des années 2000, on s’est accordé sur une durée de quarante ans, sous la condition de visites décennales pour contrôler la qualité des matériaux et l’exposition aux risques ».

C’est ainsi qu’en 2010 aura lieu la troisième visite décennale des dits réacteurs, n’accordant à l’époque que 30 ans pour les deux de Fessenheim. « Pour cette visite des quarante ans, nous pensions vraiment qu’on allait arrêter ces réacteurs, mais en 2008, EDF a demandé une prolongation de 20 ans. Le problème, c’est la cuve du réacteur 1, affectée par un défaut dés le début, et elle ne peut pas être remplacée. EDF a beaucoup compté sur la technologie de l’EPR dont on sait aujourd’hui les difficultés. L’accident de Fukushima a imposé à EDF de changer le noyau dur pour la quatrième visite décennale. Cela n’a pas été fait, la cuve ne répond donc pas aux exigences de l’Autorité de Sureté du Nucléaire (ASN) ». Plus précisément, c’est la qualité de l’acier de la cuve qui aurait pu être modifiée par le bombardement d’électrons.

 

Multiplication d’incidents

 

Ce qui préoccupe d’autant plus, c’est un nombre inquiétant d’accidents précurseurs : « Il a été question de beaucoup d’incidents de niveau 1, mais en 2018, on relève au moins 3 accidents de niveau 2, une multiplication d’incidents et d’anomalies génériques, de falsification de certificats de pièces telles que les générateurs de vapeur, ou encore le problème de l’instabilité du corium comme constaté déjà à Fukushima. » Mais un des problèmes est que « les travaux comme la maintenance sont désormais fait par des intervenants extérieurs, dont on ne sait si la passation de marchés passe par le moins disant financier ou la sécurité, qui usent beaucoup de contrats intérimaires. La crise du Covid19 n’a pas arrangé les choses. L’ASN a suspendu ses inspections, et on peut douter que la surveillance des sous-traitants ait été à la hauteur. Plusieurs réacteurs ont nécessité des interventions dues à des incidents fréquents liés au vieillissement ».

M. Laponche met surtout en question les capacités techniques et financières d’EDF de réaliser les travaux, au vu des retards déjà accumulés. « Depuis une dizaine d’années, il y a des problèmes avec les prestataires. Avant il y avait 80% d’intervenants d’EDF et 20% d’extérieurs. Aujourd’hui les termes sont inversés. Nous pensons que la surveillance par EDF n’est pas bien assurée. Il y a beaucoup de travailleurs précaires et évidemment les problèmes ne sont pas de leur fait mais de celui d’EDF qui ne fait pas sérieusement le suivi de leur radioprotection ».

Roland Desbordes siège pour la Criirad à la Commission locale d’information auprès des grands équipements énergétiques du Tricastin (Cligeet), et parle de son vécu : « On arrive à avoir des infos, on rencontre les exploitants, mais difficile d’avoir satisfaction. À Tricastin, ça fonctionne à peu près bien. C’est ainsi que nous avons appris que pour le réacteur 1, il y a 5 ans de travaux encore, alors qu’on avait cette limite de la 4ème visite décennale… en 2018, il y a bien eu une pseudo concertation, à laquelle nous avons refusé de participer, un débat organisé par EDF avec l’assentiment de l’ASN, que l’on a fait passer pour un débat public »

 

Pendant 32 ans, Tricastin alimente seulement l’usine Eurodif…

 

M. Desbordes revient aussi sur le fait qu’au départ Tricastin n’était pas une centrale de production pour le public : « Il s’agissait au départ de fournir à l’usine de traitement de l’uranium Eurodif-Georges Besse, les 3600 MW dont elle avait besoin pour fonctionner. Ce n’est qu’après la fermeture de cette dernière, en 2012, que Tricastin a été raccordée au réseau. » Mais on a trouvé depuis beaucoup de problèmes techniques internes, de pièces non conformes dans cette centrale. À l’instar de l’EPR de Flamanville en 2013-2017, les militants pointent un risque de rupture de la cuve du réacteur : « À Flamanville, c’était un problème de forgeage, et le problème a été signalé par un technicien dès 2005. EDF ne vérifie pas la qualité de milliers de pièces et l’ASN lui demande de prouver que les pièces ne dégradent pas la sureté de l’installation ».

Le système de surveillance de l’ASN est basé sur la confiance. « L’exploitant et l’ASN se mettent d’accord sur les niveaux acceptables, pour les rejets liquides par exemple. Et là on constate une falsification. Les rejets liquides font augmenter la température du fleuve et ne sont pas exempts de  rejets chimiques. L’installation consomme autant d’eau que tout le milieu agricole sur place. Les rejets liquides sont très contaminés, notamment au tritium. On pollue le fleuve, mais aussi l’eau potable. En 2018, EDF reconnaissait une augmentation de radioactivité, sans être capable d’en reconnaître l’origine. D’autres incidents, auxquels s’ajoutent les risques d’inondation ou de séisme : on a vu que se posait le problème des matériaux utilisés pour la digue. Les 4 réacteurs ont été mis à l’arrêt ».

Le risque terroriste semble paradoxalement minimisé, « Greenpeace a montré plusieurs fois qu’on pouvait s’introduire dans la centrale mais ce risque ne relève pas de l’ASN et on ne sait pas s’il est pris au sérieux ».

Au final, un constat : pour beaucoup, cette centrale est ancienne et rien ne permet d’assurer qu’elle atteigne les 50 ou 60 ans sans aucun problème grave. La vétusté de certaines installations, le risque, le fait qu’EDF en sous-traitant à outrance ait perdu de la compétence, du savoir faire. Mais surtout, le géant, ex monopole public, ne serait financièrement pas en état de mettre en sécurité les centrales pour qu’elles continuent à tourner. Autant de raison pour les militants mobilisés d’exiger dès maintenant l’arrêt du Tricastin.

 

Christophe Coffinier

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Passionné depuis l’âge de 7 ans, de photo, prise de vue et tirage, c’est à la fin d’études de technicien agricole que j’entre en contact avec la presse, en devenant tireur noir et blanc à l’agence avignonnaise de la marseillaise. Lors d’un service national civil pour les foyers ruraux, au sein de l’association socio-culturelle des élèves, c’est avec deux d’entre eux que nous fondons un journal du lycée qui durera 3 ans et presque 20 numéros. Aprés 20 ans à la Marseillaise comme journaliste local, et toujours passionné de photo, notamment de procédés anciens, j’ai rejoint après notre licenciement, le groupe fondateur de l’association et suis un des rédacteurs d’Altermidi, toujours vu d’Avignon et alentours.