L’histoire de Camara, dans sa singularité, ressemble à celle de tant d’autres « migrants », dont on ne veut généralement rien savoir, mais elle prend une résonance encore plus intense en ces temps de pandémie…et d’hommage aux soignants. L’homme dont le titre de séjour expire au 8 juin, est, en effet, aide-soignant dans un établissement pour personnes âgées de Poitiers (Vienne).


 

camara
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L‘incroyable périple de Camara n’est pas sans rappeler les histoires d’exils narrées dans le livre édité par SOS Méditerranée (1). « Je suis parti de Guinée, j’ ai traversé pas mal de pays : le Mali, la Libye, le Maroc, l’Espagne en camion pour arriver jusqu’en France » confie le jeune homme, « j’ ai pu regagner les côtes dans la nuit du 2 au 3 janvier 2011 et je suis arrivé à Marseille le 4 janvier 2011″. Comme tant d’autres, Camara n’est pas venu en France pour faire du tourisme, ni pour goûter aux « avantages » d’un système social prétendument généreux, selon les balivernes proférées par des démagogues ou autres commentateurs pétris de méconnaissance et d’inhumanité. Pour comprendre son parcours d’exil, il faut remonter à septembre 2005 : « je faisais des études de lettres et j’étais membre d’un groupe de jeunes de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDD), avec les événements du 29 septembre 2009, sous le régime de la junte de l’époque, j’ai perdu mes parents et ma sœur ». Après la mort du président Lansana Conté en décembre 2008, une junte militaire avait alors pris le pouvoir à Conakry.

 

Un diplôme d’aide-soignant à Montpellier, un emploi à Poitiers

Depuis son arrivée en France, Camara qui a vécu durant quatre ans à Martigues (de 2011 à 2015), n’a cessé de multiplier les démarches auprès des préfectures, de Marseille à Poitiers. « En 2016, le Tribunal a rejeté l’OQTF (Obligation de quitter le territoire français), j’ ai obtenu un titre de séjour « étranger malade » d’une validité de deux mois » explique-t-il. Outre le vécu post-traumatique, suite à la mort de ses parents et de sa sœur, Camara a été opéré quatre fois, avec « de lourdes interventions qui font que je suis considéré comme quelqu’un qui a un handicap ». Ce qui ne l’ a pas empêché de fournir, au fil de ces années, de multiples preuves de son « intégration » :  des études d’aide-soignant suivies « à l’école de la Caisse d’assurance maladie de Montpellier » qui lui ont permis d’obtenir son diplôme d’État jusqu’ au CDI décroché à l’établissement Korian de Poitiers. « Parfois, j’arrivais en bus à  3 heures du matin » témoigne-t-il. Longue est la route entre Montpellier et Poitiers… Depuis le 6 janvier 2020, il contribue à sauver nos aînés. 

Celles et ceux qui applaudissent les soignants à 20 heures ne peuvent connaitre son histoire et mesurer le cynisme d’autorités qui viennent de lui signifier le refus du prolongement de son titre de séjour.. Celui-ci prend fin le 8 juin, autant dire qu’il y a urgence. Marié, Camara est père d’un bébé né en France en septembre 2019 : qui pourrait affirmer qu’il n’ a pas reconstruit sa vie ici ? Décidément, l’ OQTF, c’est bienvenue en absurdie et ceux qui plaident pour toujours plus d’expulsions sont bien à l’aise dans leurs pantoufles…et leurs certitudes de bons citoyens. Que feraient-ils dans de semblables situations ?. « Quand j’ ai reçu cette lettre le 27 avril, en plein confinement, ça m’ a bouleversé » confie Camara.

 « Chaque jour, il y a une nouvelle preuve que les titres de séjour d’un an renouvelables, véritable racket d’étrangers, sont aussi un piège et une honte pour notre humanité » s’indigne Frédéric Grimaud, militant du Collectif migrants de Martigues qui soutient la démarche de faire appel de cette décision et de demander une régularisation au vu de sa situation. Pour l’heure, Camara a  saisi une avocate pour demander une prolongation du titre de séjour et une régularisation au titre de la vie privée et familiale. Deux procédures dont l’une nécessite un soutien financier (2).

Heureusement, le vote à l’Assemblée nationale d’une loi prolongeant les titres de séjour devrait permettre à Camara d’avoir un répit. En effet, le 14 mai, l’Assemblée a examiné un projet de loi portant « diverses dispositions liées à la crise sanitaire » et validé, dans ce cadre, la prolongation de six mois des titres de séjour pour les personnes étrangères. A noter que la député d’extrême-droite de l’Hérault, Emmanuelle Ménard, na pas voté cette prolongation de six mois. Ce qui ne saurait surprendre…

Morgan G.

 


(1) Marie Rajablat : « Les naufragés de l’enfer. Témoignages recueillis sur L’Aquarius », 2017.

(2) Lien : Solidarité avec Camara     

(3) « L’article 16 de la loi n° 2020‑290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid‑19 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin de prolonger la durée de validité des visas de long séjour, titres de séjour, autorisations provisoires de séjour, récépissés de demandes de titre de séjour ainsi que des attestations de demande d’asile ayant expiré entre le 16 mars et le 15 mai 2020, dans la limite de 180 jours. » (Source : Assemblée nationale)


 

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"