Jean-Marie Gustav, lui, s’est bien accoutumé au confinement. « En fait, maintenant, on est tranquilles, nous dit-il, et on ne manque en fait presque de rien. Qu’on soit en ville ou à la campagne, on voit que les services se sont plus ou moins bien organisés. On peut aussi se faire livrer, l’épicerie, la boulangerie, les plats cuisinés, mais surtout, on se rend compte qu’on n’a pas besoin de tant de choses que ça ».


 

Mais, car ce confinement n’est pas sans une raison grave, il y a d’un autre côté les malades, les morts, il y a aussi l’angoisse pour ses proches, pour soi-même, la ruée sur certains produits, qui deviennent manquants et dont les prix grimpent alors que celui du pétrole s’effondre. Les fonctions qui sont suspendues, au niveau médical, paramédical, artisanal, culturel, éducatif. Jean-Marie continue : « C’est une situation qui est à la fois anxiogène et reposante, apocalyptique et confortable, selon les points de vue. Car il y a ceux qui ont les moyens, mais aussi ceux qui n’ont plus rien à manger, qui ne savent plus où coucher ni où se laver, ni comment se soigner, eux-mêmes et leurs enfants, dans un monde où l’aide sociale s’effrite alors que la France est l’un des pays les plus redistributifs du monde ».

Comment vivre, donc, au sens le plus littéral du terme pour certains, alors que d’autres sont réfugiés dans des appartements cossus et rêvent de voyages, de randonnées, de plages en faisant de bons petits repas. Qu’est donc devenu l’Etat, que reste-t-il de sa gestion du service public ? Comment définit-il ses missions dites régaliennes ? Les a-t-il réduites à l’extrême ? Et surtout, enfin, en corollaire, en admettant que ce virus soit maîtrisé, comment réorganiser la vie sociale et politique après ce grand effroi ? Servira-t-til de leçon ?

Si on examine les premiers arguments de Jean-Marie, « on est tranquilles et on ne manque de rien », il faut constater le bien être, pour le milieu naturel, qu’a généré cette crise. Des canaux de Venise qui retrouvent leur limpidité aux routes de Lozère occupées par les animaux sauvages en passant par les plages d’Inde où reviennent pondre les tortues olivâtres, le monde entier respire, lui, à pleins poumons. De ce bien-être naturel, les preuves abondent. La tranquillité pour l’environnement, mais aussi pour tous ceux qui habitaient dans le bruit et la fureur (près des aérodromes, des autoroutes, dans les villes, autour des industries, etc.), cette tranquillité est attestée.

Dire que l’on ne manque de rien est un peu plus complexe, car il y a eu les différentes ruées (papier hygiénique, doliprane, pâtes, etc.) mais tout a été réapprovisionné, approximativement régulé dans des délais raisonnables. La fourniture en énergie (électricité), de l’eau, du gaz, de l’Internet est assurée (pour le triomphe des GAFAM), Jean-Marie a raison. mais il ne fait pas l’impasse sur l’autre partie de la population, en souffrance, qu’il est devenu très difficile d’accompagner. Dans un pays où il semblait possible de vivre en marge grâce à l’entraide, aux minimas sociaux, au travail au noir, aux repas fournis gratuitement, à l’hébergement et aux soins d’urgence, tout s’est effondré en grande partie, les files d’attente aux services de distribution alimentaire sont devenues angoissantes, car la mort semble y être au rendez-vous.

De nombreux éléments contradictoires dans les mesures gouvernementales interpellent : profusion surprise de masques dans les grandes surfaces alors que les professionnels de santé en ont cruellement manqué, incohérence des mesures annoncées (pas plus de dix personnes ensemble après le 11 mai alors que quinze élèves seront autorisés dans chaque classe, respirateurs inutilisables commandés pourtant en grand nombre, polémiques journalistiques sans fin autour de médicaments, masques vendus dix fois leur prix, annonce oxymoronique de déconfinement qui peut être large, incertain ou strict, etc. etc.).

On peut tout de suite s’interroger : comment et pourquoi en sommes nous arrivés à un tel point de mise à mal de la planète, nous y compris bien sûr ? On ne devrait pourtant pas s’étonner car on savait déjà que la dévastation du monde est une conséquence directe de notre goût immodéré de la consommation. Ce travers a été largement mis à profit et exploité par une petite partie de l’humanité qui a donc fabriqué et vendu tout ce que nous voulions, ou plutôt pouvions acheter. Les besoins fondamentaux : se loger, se nourrir, s’habiller, se déplacer, se soigner ont été déclinés avec habileté. Il était donc possible, en fonction de ses moyens d’avoir une plus ou moins belle maison, plus ou moins grosse voiture, de manger plus ou moins bien, etc. Ces biens devenaient donc aussi des signes de reconnaissance. Suivant où on allait en vacances, comment on était habillé, on appartenait ou pas à telle classe.

La logique de l’ascenseur social liée par exemple à la réussite dans les études a permis de justifier les affiliations dites « méritées » (il a réussi grâce à son travail). A part que… Nous venons tous de nous apercevoir que le monde est étouffé, incapable de soigner sa population des maladies qu’il provoque. Il a favorisé l’émergence d’intérêts privé, pour certains, regroupés en lobbies ou en think tanks politiquement et économiquement surpuissants. La course au profit autorise toutes les manipulations, dictatures, délocalisations ; les marges colossales permettent de renverser toutes les barrières, le succès économique, l’emploi, étant le but bienfaiteur qui justifiait toutes ces démarches. Or, la crise du coronavirus a démontré que, si, dans ce système, le profit des entreprises était au cœur de son « projet », les missions fondamentales de l’Etat, comme la santé publique, étaient elles négligées à un point tel que dans ce cas précis, cela pouvait se solder par des centaines de milliers de morts.

Nombre de citoyens ont vu, compris, que l’humanité même était menacée par ces choix. Certains remettent en question leurs logiques de consommation, tel notre témoin Jean Marie qui reconnaît qu’il n’a pas besoin de tant de choses que ça, ni de remplacer sans cesse bon nombre d’objets, ni de consommer des produits venant de l’étranger, pas plus que d’envisager des congés à l’autre bout du monde ni de s’abîmer dans la contemplation des grandes épreuves sportives, pas plus que de sacrifier ses loisirs à la consommation.

Alors maintenant, quels choix fera Jean Marie, quels choix serons nous capables de faire ensemble ? Les chaînes de fast-foods américaines nous tendent les bras d’un côté, alors que de l’autre un monde raisonnable, mesuré et solidaire attend notre engagement. La question sera de savoir comment une orientation pertinente pourrait se concrétiser démocratiquement en triomphant des divisions qui jusqu’alors n’ont fait que nous conduire là où nous sommes. C’est bien ce défi complexe qui nous attend maintenant.

Thierry Arcaix

Photo : Rue Saint Louis, Montpellier. Joachim Arcaix, 30 avril 2020

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Thierry Arcaix a d’abord été instituteur. Titulaire d’une maîtrise en sciences et techniques du patrimoine et d’un master 2 en sciences de l’information et de la communication, il est maintenant docteur en sociologie après avoir soutenu en 2012 une thèse portant sur le quartier de Figuerolles à Montpellier. Depuis 2005, il signe une chronique hebdomadaire consacrée au patrimoine dans le quotidien La Marseillaise et depuis 2020, il est aussi correspondant Midi Libre à Claret. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dans des genres très divers (histoire, sociologie, policier, conte pour enfants) et anime des conférences consacrées à l’histoire locale et à la sociologie.