Dans le département des Bouches-du-Rhône, les Municipales seront les premières à avoir lieu sur fond de tentaculaire métropole Aix-Marseille-Provence.


La question peut paraître saugrenue : à quoi bon voter dans une petite commune, surtout quand tout est mis en oeuvre pour faire disparaître les étiquettes politiques et épargner le parti du Président, ce qui semble l’objectif de la circulaire Castaner pour les villes de moins de 9000 habitants?  D’autres diront : pourquoi se priver d’un espace d’expression à un échelon que les citoyens maîtrisent encore un tant soit peu ?. Les élections municipales des 15 et 22 mars se dérouleront dans un contexte de généralisation des « métropoles » : une arme de dévitalisation de la démocratie, de l’intervention citoyenne, au profit d’une logique technocratique ? 


Cette métropole est  actuellement présidée par Martine Vassal (LR) qui …est aussi présidente du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône (où la majorité a basculé à droite à la faveur des dernières élections)…et, cerise sur le gâteau, candidate à la mairie de Marseille où Jean-Claude Gaudin la verrait bien dans le rôle de sa successeure.

 

Dans une métropole telle qu’ Aix-Marseille-Provence qui compte en son sein deux grandes villes comme Marseille (880 000 habitants) et Aix-en-Provence (141 000 habitants), quel poids peut-avoir une petite commune? A Saint-Mitre-les-Remparts, (5500 habitants), sur les rives de l’étang de Berre, malgré le retrait annoncé de la maire sortante (divers droite), des militants de la « transformation sociale »- doutant de la possibilité de se faire entendre dans un cadre métropolitain imposé- ont décidé de consacrer leur énergie à d’autres combats. On peut les comprendre si la politique à l’échelle locale se résume à choisir la couleur des bancs publics ou des lampadaires. 

Quelle place pour les petites communes, mais aussi pour les villes moyennes dans une structure que beaucoup décrivent comme un « machin » technocratique?  Rappelons que cette métropole imposée après d’âpres débats par le gouvernement « socialiste » de François Hollande, avait déjà été prônée par François Fillon. Preuve, s’il en fallait une, que l’adhésion à une vision libérale de l’économie et de l’aménagement du territoire transcende les supposés « clivages politiques » qui ne sont en fait que de façade. Les clients des hypermarchés le savent  (ou pas) : on peut vous vendre le même produit avec des étiquettes différentes. Et à la fin des fins, tout va dans la poche des mêmes actionnaires. Dans le feuilleton  presque aussi long que Plus belle la vie qui a précédé la mise en oeuvre d’Aix-Marseille-Provence, l’élu PS marseillais Patrick Menucci, alors député (battu dans sa circonscription par Jean-Luc Mélenchon lors des législatives de 2017) ne fut pas le plus nuancé des partisans de la métropole, accusant notamment les élus de l’Ouest de l’étang de Berre d’égoïsme, alors qu’eux-mêmes demandaient un plan de l’Etat pour venir en aide à Marseille.

Il faut dire que l’essentiel de la richesse économique et l’industrie des Bouches-du-Rhône se situent autour du Golfe de Fos et de l’étang de Berre : sidérurgie avec ArcelorMittal à Fos-sur-Mer, pétrochimie et raffineries à Martigues, Fos et Châteauneuf-les-Martigues avec Kem One, Esso, Total, Arkéma… Depuis les premières escarmouches de ce débat, un certain Nicolas Sarkozy a supprimé la taxe professionnelle qui apportait d’importantes ressources à des villes comme Fos ou Martigues. Elle permettait indirectement aux habitants de ces villes de bénéficier d’une politique sociale et d’équipements (culturels, entre autres) intéressants. La donne financière a changé depuis car aucun des mécanismes de compensation annoncé n’ a compensé justement la suppression de la taxe professionnelle.

La situation est telle qu’ aujourd’hui, dans l’ensemble du pays, des élus de tous bords dénoncent les dotations de l’Etat qui se réduisent comme peau de chagrin. Et la difficulté à gérer au jour le jour amène de nombreux et nombreuses maires (en particulier dans les petites communes) à renoncer à leurs mandats en 2020.

Dans les Bouches-du-Rhône, trois foyers de « résistance » à la métropole avaient pourtant émergé : le Pays de Martigues où une pétition avait recueilli plusieurs milliers de signatures, le Pays d’Aubagne où un référendum citoyen avait donné une écrasante majorité au « non » et Aix-en-Provence. Avant 2014, la ville d’Aubagne était dirigée par un maire PCF, comme celle de Martigues, mais l’opposition à la métropole ne s’arrêtait pas à ces frontières politiques puisque la maire d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains, s’opposait alors vivement à Jean-Claude Gaudin, tout en appartenant au même parti politique (Les Républicains) que le maire de Marseille.

 

La métropole : qu’es aco ?

Imposée contre vents et marée par la ministre PS Marylise Lebranchu, la métropole Aix-Marseille-Provence regroupe six « conseils de territoire » (soit les anciennes « agglos » ou intercommunalités du Pays d’Aubagne, du Pays d’Aix, du Pays salonais, Ouest Provence (Istres, Miramas, Fos-sur Mer…), l’ex-communauté urbaine de Marseille (qui allait de La Ciotat à la Côte bleue) et le Pays de Martigues. Soit la bagatelle de 1 895 000 habitants. Créée le 1er janvier 2016, cette métropole compte 92 communes sur les 119 des Bouches-du-Rhône. A ce jour, seules l’agglo Arles-Crau-Camargue-Montagnette (notamment la ville d’Arles et ses 53 000 habitants), les communes des Alpilles et du Nord du département ne sont pas intégrées à cette métropole tentaculaire. Cette configuration est assez proche de celle du département du Rhône (69) où seul le Beaujolais (nouveau ?) échappe à la métropole lyonnaise.

Le conseil de la métropole Aix-Marseille-Provence est composé de 240 conseillers (maires et élus municipaux). Son bureau compte 33 membres : 20 vice-présidents élus et 6 vice-présidents de droit. Le nombre d’élus représentant chaque commune est fonction du poids démographique de chacune d’entre elles. On a incontestablement franchi un cap entre les anciennes intercommunalités (dont le périmètre pouvait aller de 3 communes comme dans le Pays de Martigues à 18 comme pour l’ancienne Communauté urbaine de Marseille) et la métropole. Dans le premier cas, les coopérations étaient librement choisies, les intercommunalités d’Istres et de Martigues ayant par exemple regroupé leurs deux réseaux de bus en un seul. 

Les plus chauds partisans de la métropole n’ont cessé durant plusieurs années (patronat de l’UPE 13 en tête) d’utiliser l’argument des transports pour justifier la nécessité de ce nouvel échelon territorial. Mais dans un département très urbanisé, saturé par la voiture et les camions,  qu’est ce qui empêchait la mise en place d’une sorte de RER version bucco-rhodanienne, si ce n’est l’absence de volonté politique de la part des « décideurs » ? Dans ce domaine, la métropole marseillaise souffre cruellement de la comparaison avec Montpellier, où la ville centre est reliée aux petites communes périphériques par un réseau de tramway attractif, ou avec la métropole lyonnaise. Pour ne citer que ces deux exemples…

 

La fin des départements ?

 

Le couple commune-département, issu de la Révolution française et basé sur la proximité, reste probablement le plus repérable pour les électeurs-électrices. Or, la multiplication des « métropoles » sur une grande partie du territoire français n’annonce-t-elle pas la future disparition des départements ? Le couple commune-département serait appelé à céder la place au couple métropole-région. Avec le passage de 22 régions à 13, (qui fait que pour un Nîmois, la « capitale » régionale se trouve désormais à Toulouse) ce n’est pas la meilleure nouvelle pour la démocratie et l’intervention citoyenne.  Le taux d’abstention à certaines élections (notamment aux législatives de 2017) et le mouvement des Gilets jaunes ont pourtant déjà révélé l’importance des fractures dans ce domaine. 

« Jusqu’en 2014-2015 on comptait 13 métropoles françaises, elles sont aujourd’hui 22, dont l’unique but est de grandir » constate le géographe Guillaume Faburel (1), auteur du livre Les métropoles barbares (2). Le phénomène n’est évidemment pas uniquement hexagonal : «  ce sont désormais ces entités qui « dominent » le monde. Elles sont le creuset de la doctrine concurrentielle de la compétition entre territoires et nous sont présentées comme les seuls lieux où il est désirable d’habiter » souligne Guillaume Faburel. En  matière de « doctrine concurrentielle », comment ne pas faire le lien avec ce qu’il se passe dans l’enseignement supérieur ? L’Université de Provence qui comptait plusieurs sites répartis sur les deux villes est devenue « Aix-Marseille Université » dont la communication vante le caractère de « plus grande université de France », avec ses 70 000 étudiants. Avec « l’autonomie » des universités, celles-ci sont, elles aussi, engagées dans un processus de mise en concurrence. Coïncidence, le président de l’A.M.U., Yvon Berland est le candidat LaRem officiel à la mairie de Marseille pour les élections municipales. 

Les métropoles ne sont pas juste des intercommunalités devenues obèses : elles s’inscrivent dans un vaste projet de remodelage de la France et de l’Europe, voué au « libéralisme » économique le plus débridé. Pour Guillaume Faburel, « il y a une repolarisation du capital avec des activités que l’on va essayer d’attirer par une concurrence acharnée et les profils qui vont avec, notamment la classe managériale et les « créatifs ». L’industrie est évacuée en dehors des métropoles qui sont placées sous le signe de l’ère post-industrielle ». Si le dernier critère ne correspond pas tout à fait à la métropole Aix-Marseille-Provence (l’industrie y est encore présente, mais à l’Ouest, Marseille ayant choisi de miser plutôt sur les croisières), la logique semble être celle-là. Et le géographe pointe une tendance qui, pour le moins, interroge : « la cible des métropoles représente en moyenne 20 à 30% de la population urbaine, à revenus élevés, qui peuvent payer des loyers très chers ou acquérir des logements à plus de 8000 ou 10 000 euros le m2. Les plus pauvres mais aussi les infirmiers, les enseignants, les fonctionnaires qui font vivre la ville par leur travail, ne peuvent plus y habiter. Ils sont progressivement évincés. Les métropoles segmentent les populations ». Selon Guillaume Faburel, c’est la capacité d’intervention politique des citoyens qui est menacée : « on a changé d’échelle : les grands chantiers comme les gares, autoroutes ou équipements pour les Jeux olympiques se décident sur des périodes qui couvrent plusieurs mandats électoraux et déterminent nos cadres de vie pour des décennies ». Certes, le chercheur songe ici à l’aire parisienne mais son constat fait réfléchir sur le devenir de nos territoires dans leur ensemble. Et singulièrement sur tout ce qui fait désormais partie de l’aire marseillaise.

 

Morgan G.

 

(1) Entretien paru dans l’hebdomadaire L’Humanité Dimanche, du 2 au 8 janvier 2020.

(2) Les métropoles barbares. Démondialiser la ville, désurbaniser la terre, Le Passager clandestin (édition poche). Prix du livre d’écologie politique 2018

 

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"