Rentrée BD. Emmanuel Reuzé & Nicoles Rouhaud, Faut pas prendre les cons pour des gens.

Pour mon anniversaire, mon médecin m’a offert une BD, le dernier opus d’Emmanuel Reuzé et Nicolas Rouhaud. Elle doit me savoir au bord du gouffre et renoncer à la pharmaco classique. Peut- être veut-elle abréger mes souffrances en me faisant passer l’arme à gauche tranquillement sans déroger à ses principes professionnels. Mais elle se trompe, mourir de rire n’est pas une fin de tout repos…

D’un premier abord, le titre de l’album, Faut pas prendre les cons pour des gens, invite à la réflexion. Les gens c’est nous mais on est aussi tous un peu cons, des fois… alors… je me dis que dans un grand geste artistique, Reuzé et Rouhaud signent une œuvre qui englobe tout. Chhhhut… je réfléchis ! Du coup, je repense à une autre amie qui dit des choses très justes à propos des gens. Du genre, on ne discute pas avec une brouette, on la pousse. Cet héritage lui vient de sa grand-mère qui disait aussi : si tous les cons se mettaient à voler, on verrait plus le ciel. Je crois qu’elle a raison. Il suffit de lever la tête pour constater que le ciel est couvert.

Tout le monde est en train de perdre la boule. D’ailleurs, on est sans doute en train de voler avec le tas de cons qu’on trouve dans l’album, c’est pour ça que le climat se dégrade. On est devenu comme ce gars en costard à qui son médecin, encore un, annonce que ses jours sont comptés et qu’il va mourir. Le mec reste parfaitement impassible à la manière d’un parrain mafieux à qui on ne conte pas musette. Il en a vu d’autres, il sait régler les problèmes, appliquer la bonne méthode, il est sûr de lui, donc il sort juste à son médecin : « Combien et à qui ? » « Comment çà combien et à qui ? », questionne le docteur. « Combien et à qui dois-je payer pour ne pas mourir ? », rétorque le type en costard. Je ne vous trolle pas la chute qui tombe comme un grand et sobre moment de dignité.

Emmanuel Reuzé & Nicoles Rouhaud, Faut pas prendre les cons pour des gens, Éditions Fluide Glacial Septembre 2019.

 

Personnellement je voue beaucoup d’admiration aux cons plein de convictions. À l’image de ces jeunes mamans ouvertes d’esprit et comblées de bonheur à l’idée que leur progéniture se distingue de la masse. Dans cet album, il y en a une qui achète deux paquets de clopes par jour pour faire plaisir à son rejeton qui collectionne les photos de cancers de la gorge et de poumons goudronnés. En ce moment c’est très à la mode paraît-il. Moi non plus, je ne suis pas sectaire. Quand j’étais gosse j’ai collectionné légion de vaillants footballeurs qui se pavanaient en rang d’oignons exhibants des gueules hilares et des chaussettes ridicules. Quelle différence avec le bébé au masque à gaz ou la belle paire de poumons du fumeur ?

Les temps changent, il faut savoir s’adapter.. Éviter de me confronter aux délires de notre société où rivalisent les égarés de l’interprétation du monde me permet de garder la santé. Dans le même ordre d’idées, j’ai aussi arrêté les gitanes maïs. Dans ce livre, on trouve plein de réponses simples à toutes les questions qui nous tracassent. Je me suis résolu à prendre les choses comme elles viennent. Il y a des gens qui pensent pour nous, des savants qui nous protègent, à l’image de cette belle invention du centre de recherche sur la notion de terre d’asile, des informaticiens pour dispenser le savoir et fabriquer des distributeurs de diplômes, des hommes politiques pour privatiser nos trottoirs. Ils inventent sans cesse, soumettent la planète à leurs volontés, transpercent à notre place les énigmes de l’univers. Laissons les travailler et rions des cons, entre gens comme nous, on se comprend.

Jean-Marie Dinh

 

Avatar photo
Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.