Le film débute sous un lourd ciel d’hiver, quelque part dans le nord de la France sur le béton des ronds-points investis par les gilets jaunes, qui en ont effacé jusqu’à la laideur. Il finit face à la méditerranée, sous un beau ciel bleu ouvrant une large perspective sur les vagues au loin et l’horizon de tous les possibles.

Entre les deux c’est, caméra à l’épaule et sans preneur de son que le réalisateur Gilles Perret, qui ne perd jamais de vue la principale contrainte du temps, dévoile dans un rythme et une intimité soutenus, les images et paroles de celles et ceux que le gouvernement et les médias dominants ont voulu museler à tout prix. Libérant à l’écran, l’expression de femmes et d’hommes, étranglés financièrement, humains avant tout, combattants en lutte éclairés, joyeusement légitimes, si proches de tous mais doublement trahis par une République qui s’acharne à refuser d’entendre les cris de douleur. Du retraité au salarié précaire, à l’intérimaire sans toit ou à la victime de l’auto-entreprenariat (etc.), ils sont très nombreux à voir leur pouvoir d’achat décliner vertigineusement là où celui des actionnaires du Cac 40 ne cesse de croître, démesurément.

Véritable hymne à la fraternité, le documentaire de François Ruffin et de Gilles Perret, traverse le quotidien des gilets jaunes dans l’émotion ou l’allégresse, mais ne triche ni dans la forme, ni dans le fond. N’en déplaise aux réfractaires viscéraux et aux critiques orientées, la réussite de ce savoureux documentaire ovationné aux multiples séances, repose sur l’authenticité de ses témoignages pris sur le vif, sans fard « à joue », sans répétition préalable, ni révérence.

Avec pour ingrédients de base, le regard bienveillant du documentariste savoyard agrémenté d’une écoute empathique du journaliste fondateur de Fakir, « J’veux du soleil » décrypte une brûlante actualité qui rythme le pays depuis l’automne 2018 chaque semaine, donnant à voir et à explorer des témoignages précieux, poignants et inédits.

Y compris lorsque, jouant de la situation avec une certaine causticité, François Ruffin se livre à une cynique parodie d’E. Macron, solutionnant les misères sociales commises à la façon de l’ex-banquier de Rothschild. Un drôle de jeu de rôle que certains pourront qualifier de prophétique, qui apporte néanmoins un « sel » indéniable au propos.

On rit, on est ému et on pleure même de rire dans la salle archi-comble du Toursky ce soir-là, lors d’une projection en avant-première ponctuée d’applaudissements et de commentaires, qui a laissé place à une véritable agora populaire rétablissant la dignité de ceux, présentés jusque là au 20h comme du côté de l’Elysée, comme des « monstres jaunes ».

Tourné en un temps record, de mi-décembre 2018 à mi-février 2019, le documentaire a également été monté en 6 jours par Cécile Dubois, qui y alterne judicieusement discours politiques stériles et paroles ou chants de Gilets jaunes, plus fertiles. La compression des verbiages présidentiels arrogants est contrebalancée, dans un savant dosage, par la noblesse et la fine analyse de tous ceux méprisés, mais prêts à co-construire pour s’en sortir.

Un documentaire où l’alter fait naturellement écho, qu’on classe sans hésiter dans les incontournables oeuvres d’art, loin d’un plaidoyer politique malgré la double casquette du député François Ruffin (France insoumise), parce qu’il permet ce lien vital dans un pays que le pouvoir gagne plutôt à voir se diviser.

H.B.

 


« J’veux du soleil », de Gilles Perret et François Ruffin, sortie nationale le 3 avril 2019.


 

H.B
Journaliste de terrain, formée en linguiste, j'ai également étudié l'analyse du travail et l'économie sociale et solidaire. J'ai collaboré à différentes rédactions, recherches universitaires et travaillé dans divers domaines dont l'enseignement FLE. Ces multiples chemins ailleurs et ici, me donnent le goût de l'observation et me font aimer le monde, le langage des fleurs et ces mots d'André Chedid : «Cet apprentissage, cette humanité à laquelle on croit toujours».