La crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19 bouscule nos habitudes et notre quotidien. Le confinement généralisé en Europe a certes des effets positifs sur la qualité de l’air que nous respirons et sur les animaux mais une « année blanche » ne suffira pas à enrayer le processus du dérèglement climatique. Et si l’on se saisissait de cette crise pour penser l’après, avec un autre fonctionnement de l’économie ? 

 

Des rorquals dans le Parc naturel des calanques à Marseille, des canards non loin de Notre-Dame-de-Paris (manquerait plus qu’ils s’invitent dans les jardins de l’Élysée !), des dauphins à Antibes : les images ont été maintes fois montrées sur les chaînes de télévision et ailleurs. On peut y voir un message d’espoir. Pour Jérôme Sambussy, prévisionniste à Météo France et syndicaliste, « cela prouve que la nature n’est pas loin ». Pas d’euphorie cependant car  « la parenthèse qu’on ouvre pour la planète permet une baisse massive des émissions de gaz sur une échelle courte, mais la tentation sera grande de repartir pleins gaz et dans ce cas, tout cela sera balayé comme un fétu de paille ». L’économie au ralenti en Chine, en Europe et aux États-Unis malgré les fanfaronnades du sinistre Donald, le Picsou de l’Organisation Mondiale de la Santé, n’ y suffiront pas. « C’est une action à long terme, sur des années, qu’il faudra, justement pour montrer que la nature n’est pas loin et qu’il faudrait changer de manière de vivre à l’échelle du problème climatique, profiter de cette remise à plat avec des crédits pour l’économie mais ne pas repartir du même pied, sinon ce serait effacer tous les efforts faits depuis des années, comme le fait Trump en ignorant les mesures environnementales », souligne le prévisionniste. La prise en compte du temps long n’étant pas ce qui caractérise la plupart des gouvernements, « la tentation sera de dire : pas de freins à l’économie », redoute Jérôme Sambussy. 

 

Des verrous auraient-ils sauté néanmoins avec cette crise sanitaire qui est aussi une crise économique poussant Emmanuel Macron à utiliser la formule « quoi qu’il en coûte » ? Le gouvernement a annoncé  sa volonté de débloquer 110 milliards d’euros dans le cadre d’un plan d’urgence pour soutenir les entreprises. « On nous rétorquait qu’il n’ y avait pas d’argent, que c’était la disette budgétaire mais quand il y a un danger grave, imminent, on en fait une priorité, remarque Jérôme Sambussy, c’est pour ça que c’est une opportunité historique : pour le climat, il faudra une prise de conscience du même ordre ». Autre élément encourageant à ses yeux : cette période « montre aussi que les entreprises actuelles sont capables de faire face au coronavirus, de recentrer leurs productions ». Illustration parmi tant d’autres : à Martigues, la raffinerie Inéos a livré du gel aux hôpitaux de Nice et de Marseille. À Gerzat (Puy-de-Dôme), ce sont les salariés de Luxfer, seule entreprise d’Europe à fabriquer des bouteilles d’oxygène médical, qui demandent la reprise de l’activité. Leur activité car jusqu’ici, on n’a jamais vu d’usines tourner sans ouvriers…

Jérôme  Sambussy plaide pour une réorientation de la production, de façon à « profiter des outils dont nous disposons plutôt que de tout arrêter comme le disent certains, il nous faudrait conserver une croissance qui assure un certain niveau de vie et la réorienter vers des savoir-faire que l’on a ». Pour lui, « la catastrophe actuelle montre bien que les tenants du « il faut continuer la production et ne rien changer » font un mauvais calcul car quand on ne fait pas de la prévention, cela coûte beaucoup plus cher »

 

 

Et maintenant, on fait comme d’habitude ? 

La formule vaut aussi pour la question du dérèglement climatique où il serait peut-être temps, enfin, d’anticiper. Car, si l’on en croit François Gemenne, chercheur à l’Université de Liège (Belgique) et membre du GIEC, l’effet actuel risque d’être de courte durée : « On observe pour le moment une baisse de la pollution atmosphérique et des gaz à effet de serre de l’ordre de 25% mais elle sera brève. L’Histoire nous apprend qu’il y a toujours un rebond de la pollution et des gaz à effet de serre après les crises : les plans de relance économique ont tendance à vouloir relancer la machine, c’est-à-dire une économie essentiellement fondée sur l’extraction des énergies fossiles. (1)»  Si le scientifique craint que les gouvernements  aient demain (comme aujourd’hui) « les yeux rivés sur leurs indices de croissance », d’autres comme l’économiste libéral Marc Ivaldi proposent déjà de renoncer aux vacances « pour relancer la machine ». Gageons qu’il se trouvera bien des éditocrates de plateaux télé ou de salon (c’est la même chose) pour lui emboîter le pas. Si l’on ajoute à cela les propos du président du MEDEF, Geoffroy Roux de Bézieux, qui a profité du week-end pascal pour asséner qu’« il faudra bien poser la question tôt ou tard du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise économique et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire », on sent bien que l’après-crise sanitaire s’annonce comme une farouche bataille. Ou comme le social, l’écologie au sens large pourrait bien être sacrifiée. « Ce serait une grave erreur puisque la crise actuelle trouve aussi ses racines dans la crise environnementale », souligne François Gemenne. Tout comme le virus, le dérèglement climatique ne connaît pas de frontières : «  Pour lutter contre le changement climatique, cela ne pourra se faire chacun chez soi, il faudra une solidarité internationale mais aussi une autre forme d’économie, pas simplement une économie à l’arrêt », poursuit le chercheur.

À ceux qui douteraient encore du changement climatique, on pourrait opposer le  « nouveau record sur le territoire français » évoqué par le prévisionniste de Météo France, avec l’enregistrement des « dix mois consécutifs les plus chauds » depuis le début de ces mesures, en 1900.

Crise sanitaire et atteintes à l’environnement sont liées à plus d’un titre : « De nombreux spécialistes attribuent une partie du problème aux dégâts de la déforestation, avec les virus qui sont transmis  à l’homme par des animaux sauvages ; la déforestation contribue aussi au changement climatique parce qu’elle détruit un puits de carbone, ce qui fait qu’il y a encore plus de carbone dans l’air », indique Jérôme Sambussy. En outre, « des spécialistes du GIEC ont identifié le risque sanitaire comme un des risques majeurs de la crise climatique : avec des sécheresses de plus en plus fréquentes, l’accès à l’eau sera plus difficile, ce qui signifie moins d’hygiène corporelle et une eau bue plus concentrée en polluants ». Et si l’on ajoute au tableau (noir), « les maladies qui vont changer de latitudes avec les zones touchées par le paludisme qui vont s’élargir à d’autres régions du monde », on comprendra que le respect des sacro-saintes règles budgétaires ne soit plus de mise demain, pas plus sur la lutte contre le coronavirus que sur la lutte contre le dérèglement climatique. N’en déplaise au Ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui a déclaré :  « le choix de l’endettement est provisoire pour atténuer l’impact économique de l’épidémie de coronavirus »

Les membres (tirés au sort) de la Convention citoyenne pour le climat qui se sont « réunis » par visio-conférence les 3 et 4 avril, ont, eux, une autre vision. Ils réclament des financements « socialement acceptables, fléchés vers des solutions vertes », orientés vers « des secteurs d’avenir respectueux du climat » et font de nombreuses propositions : sur la création de fermes municipales, l’allongement de la durée de vie des produits, le développement de filières de réparation, la rénovation des logements, le coup d’arrêt à mettre aux zones commerciales, « l’interdiction dès 2025 de la commercialisation des véhicules neufs très polluants »… (2). Et si « les jours d’après » étaient à chercher de ce côté là ? « L’avantage de repartir avec des investissements sur de nouvelles bases, c’est que cela donnerait un optimisme à notre société plutôt que d’avoir la conviction qu’on va dans le mur, c’est quand même mieux quand on sait qu’on préserve l’avenir de nos enfants », souligne Jérôme Sambussy.

 

Morgan G.

 

(1) LCI, 3 avril 2020, interview réalisée par Caroline Quevrain

(2) L’Humanité, mardi 14 avril 2020. Voir également article sur notre site.

Dessin Tommy

Photo. DR

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"