Le projet What about the weather ? s’inscrit dans la continuité des travaux de recherche artistique de Christine Masduraud, initiés avec Baltimore au lever du jour1. Le désir de donner la parole s’ancre dans le processus de création, fondamentalement relié à la rencontre avec l’autre, les autres : ici avec les femmes en situation d’exil prises en charge par les Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile.

Comment s’inscrivent les parcours uniques et parfois en marge, dans le corps social du collectif ?

Par les gestes d’écouter, d’accueillir, de recueillir, puis de tisser, coudre et broder, donner corps aux fils d’un récit et d’une parole toujours singulière.

What about the weather ? est un work-in-progress qui trouvera sa réalisation en 2024.

La première étape de création est présentée le samedi 3 décembre 2022 à l’atelier de Christine Masduraud2, associée à l’exposition des Portraits des femmes brodeuses réalisés par la photographe Marie Clauzade.

Elle est assise devant l’atelier de Christine.

Que reste-t-il du temps ? What about the weather ? Quand on a tout quitté.

Elle porte un fichu parsemé de fleurs, un fichu à bordure rouge.

Ses mains.

Posées sur ses genoux.

Et le corps se balance, doucement.

Comme une écholalie, le corps.

Puis, se joignent les mains.

Puis s’entrelacent les doigts.

Les yeux, les sourcils noirs, le khôl.

La bordure du fichu déborde, coule sur le vêtement, le pull.

Le vêtement à broder.

Ou le visage.

Les yeux.

Ou le corps à broder.

Mais quelle voix dans la tête ?

Mais quelle voix dans le corps à broder ?

Et quelle écholalie de fils ?

Christine dit : « J’ai fait ce rêve.

J’ai fait ce rêve d’une main, qui se prolongeait par des fils.

C’est ce projet qui s’ouvre ici : coudre dans les marges. Oui. Nous brodons dans la marge ici. »

Et nous nous débattons ici dans l’atelier, avec le temps.

Sa bobine et son fil, son fil et son aiguille, mini-crochet.

« La douceur de ce fil, la trace qu’il laisse ici tu vois une petite mousse ?

Et puis ce camaïeu ici, cette polyphonie de couleurs.

Ces couleurs ocres, de Terre de Sienne, ces bruns, ces orangés, ces verts sur ces tissus de lin, du lin que j’ai chiné, du lin maintenant teinté. »

Nous nous débattons ici dans l’atelier, avec le temps.

Ce temps qu’il nous faut, pour broder.

Comme le temps qu’il nous a fallu, bébé, pour nous inscrire dans notre langue. Exilé dans la langue, déjà. De quel pays ?

Ce travail du tissu, ce lange des premiers temps que nous brodons ici, en marge, Femmes de tous pays.

Christine dit que broder c’est border ; un anagramme secret cousu, dans le cœur du langage.

Que coudre c’est toujours recoudre.

Mais qu’en est-il du temps ? What about the weather ?

Le temps qu’il nous faudra pour nous inscrire dans un autre pays, nous Femmes de tous pays.

Christine dit : « J’aimerais recouvrir les barbelés. C’est cela que cherche auprès d’elles : accueillir le récit, et adoucir les barbelés.

Tu sais Tout est à recoudre.

J’aimerais détorsader les barbelés. »

La carte est éclatée. What about the weather ? Quand on a tout quitté.

L’Afghanistan. Le Libéria.

Tous les fils de l’Exil. La catastrophe de l’Exil.

Tous ces fils invisibles, frontières.

La Tchétchénie. La Géorgie.

Christine dit : « J’aimerais les isoler, chaque histoire chaque récit, les singulariser, pour mieux les réunir, détorsader ».

Coudre son nom, et son prénom. Coudre le nom de son pays et son récit. Broder son nom et son visage, le prénom de son enfant.

Le Sénégal, ma petite pirogue, et le Vénézuela et la Guinée.

Ce sont des mots ces fils. Ce sont des mots des fils déracinés. Invisibles frontières, les barbelés.

Et comment donc broder sa vie ? What about the weather ?

Des femmes de tous pays, si fragiles comme le fil.

Travailler les barbelés. Telle une mémoire cousue, à découdre et à recoudre.

Adoucir par les fils, les fils. Et s’inscrire par les fils.

Tirer un autre fil, un fil de soi.

Christine dit : « Ce que je cherche ici, c’est une écriture de soi, oui.

Un fil de soie. Un fil à soi. Chaque femme : sa partition brodée. »

Broder dans les visages des femmes les cartes et les frontières les barbelés.

Broder les mains des femmes ; et broder dans les mains des femmes. Femmes de tous pays.

L’écriture a disparu. Le récit s’est effacé.

L’écriture s’est perdue dans l’exil.

Christine dit : « Je parle des sujets de l’Exil.

Des sujets coupés.

Je parle des femmes en situation d’Exil.

Mais qu’est-ce qu’il reste ? Mais qu’est-ce qu’on porte en soi, malgré l’exil, avec l’exil ? Mais qu’est-ce qu’on porte sur son visage et dans ses mains, et sur ses mains ? Quelle écriture brodée ? »

Ce sont des mains au travail qui tirent un fil ici.

Le fil de l’autre, un autre fil.

Des mains qui apparaissent, qui disparaissent.

Des mains qui appellent d’autres mains. Vous entendez ?

Christine dit : « J’ai fait ce rêve. Tout était à recoudre tu sais.

J’ai fait ce rêve d’une main, qui se prolongeait par des fils. »

Quel serait cet îlot d’une écriture de soi ? Cet îlot sur la carte barbelée, sur la carte éclatée.

Tout est à recoudre, oui.

L’atelier de Christine est atelier refuge. Refuge d’une parole à tisser.

Là, au fond, sur le mur, Christine a déployé un large tissu de lin.

Là, au fond sur le mur, vous le voyez, Christine a déployé une maison, une tenture à broder, une tenture à écrire.

Christine dit : « La violence rencontrée – l’horreur, et les horreurs, la catastrophe de l’exil -, la violence traversée est inimaginable, est inimaginée.

Mais qu’est-ce qu’il reste ? »

Nous sommes livrés au temps ici.

Sa pelote et son fil, son fil et son aiguille, mini-crochet.

Mais qu’est-ce qu’il reste ? What about the weather ?

« Qui va nous recueillir, nous Femmes de tous pays ? Quand on a tout quitté », demande Christine.

Une main en pointillé, appelle une autre main.

Vous l’entendez ?

David Léon, écrivain.

Notes:

  1. (installation ICI/Centre Chorégraphique National de Montpellier/Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, 2021) & Woman Circle (expositions et ateliers Centre Régional d’Art Contemporain – Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, Sète, 2021).
  2. 9 bis rue du Général Maureilhan, à Montpellier
Avatar photo
Compte contributeurs. Ce compte partagé est destiné à l'ensemble des contributeurs occasionnels et non réccurents d'altermidi. Au delà d'un certain nombre de publications ou contributions, un compte personnalisé pourra être créé pour le rédacteur à l'initiative de la rédaction. A cette occasion, nous adressons un grand merci à l'ensemble des contributeurs occasionnels qui nous aident à faire vivre le projet altermidi. Toutefois, les contenus des contributions publiées par altermidi n'engagent pas la rédaction.