Avec Jusqu’à la mer, le cinéaste franco-grec Marco Gastine met en scène la douloureuse histoire de personnes dont la vie a basculé suite à un accident de la vie. Il trace surtout des parcours où l’on dépasse ses peurs pour renouer avec la magie de l’humain et de la vie.


 

Dans le prologue du film il y a ce court passage d’animation qui marque le point de départ, l’instant où l’on plonge dans un trou noir. C’est l’été, on entend les mouettes. Un jeune homme se baigne dans la mer, insouciant, bercé par la douceur méditerranéenne. Il est dans l’eau et il fait un mauvais plongeon. Nous ne sommes pas dans une fiction. Le film1 de Marco Gastine n’obéit pas à la loi d’une progression continue pour faire monter la tension dramatique. Il y a ce moment soudain où tout bascule et la séquence suivante, dans le Service de médecine physique et de réadaptions d’un grand hôpital athénien. On a complètement changé de monde, mais le jeune homme est toujours le même. Il est entouré d’autres personnes, toutes différentes, avec chacune leur histoire. Ce qu’ils ont en commun et qu’ils vont partager, c’est d’avoir vécu ce moment de rupture, l’incertitude sur leur condition physique et sur le temps qu’il faudra prendre pour se reconstruire.

Jusqu’à la mer raconte cette histoire intense. Les héros sont les malades que l’on suit. Les plans serrés renforcent pudiquement la matérialité des hommes et des corps en action. L’effet de la proximité et du temps que l’on passe avec eux dans la lutte physique et psychique qu’ils mènent au quotidien, souvent contre eux-mêmes, opère des transformations. À force d’être proche des personnages, de partager leurs efforts physiques ou leur amertume, on en vient à saisir l’universalité des émotions signifiées par le montage et captées par une prise de vues attentive aux détails fortuits.

 

Un tournage en forme de catharsis

 

Dans les plans larges Marco Gastine ouvre sur le contexte. Filmer un hôpital, un centre de rééducation, en documentaire, lui donne l’occasion de montrer dans quelle réalité l’institution de santé met en œuvre sa mission. Le documentaire donne un aperçu de l’état déplorable du système de santé dans un pays de l’Union Européenne. « Le film pourrait ainsi inspirer la société civile de ces pays, sinon sur la manière de contester les politiques qui ruinent leur santé publique, du moins sur la façon d’en limiter les dommages collatéraux grâce au dévouement et à la solidarité », glisse Marco Gastine dans la note de présentation du film.

La vie dans l’institution a une potentialité dramatique que révèlent Marco Gastine. L’intérêt des séquences est autant de comprendre les ressorts de son fonctionnement que le drame humain qu’il occasionne. Le film ne consiste pas en un exposé mais en un témoignage. L’intention est de piéger des situations psychologiques révélatrices des rapports humains que détermine une configuration sociale.

Dans l’espace du centre KAT2, le réalisateur donne à voir des personnages dont les logiques parfois se heurtent. Celle, d’une part, des usagers présents pour leur rééducation physique et psychique — plus complexe parce qu’ayant trait à leur personnalité et l’épaisseur de leur existence — et celle, d’autre part, des personnels soignants qui cherchent à accomplir une mission selon leur interprétation et les moyens qui leur sont alloués. En-deçà de cette confrontation, d’autres acteurs entrent dans le cadre relationnel, ce sont les familles présentes dans le centre pour combler les lacunes de l’institution en assumant des soins de leurs proches. Le réalisateur émaille son récit de trouées au travers desquelles s’engouffre l’opacité du réel.

Les progrès, les espoirs, les acceptations amenées par les changements à l’œuvre dessinent le scénario tout en offrant les moyens narratifs au cinéaste de nous faire dépasser nos propres peurs face au handicap. Entre larmes et bonne humeur le film nous arme face à l’adversité. La force de la relation, la confiance dans la force de l’autre et l’humour décalé des personnes porteuses de handicap s’inscrivent comme une ode à la vie. Jusqu’à la mer n’est pas un film sur de graves accidentés mais sur des hommes en phase de renaissance.

Jean-Marie Dinh

 

 

En février, entretien avec Marco Gastine dans altermidi Mag#3. Le réalisateur est actuellement en tournée dans nos régions. Prochaines dates : le 21 janvier à 18h15 au Cinéma Athénée à Lunel le 25 janvier à 20h au Cinéma Alain Resnais à Clermont-l’Hérault…

Notes:

  1. « Jusqu’à la mer » est un film distribué par Les Films des deux rives
  2. Kéntro Apokatastáseos Traumatión (Centre de rééducation des blessés). L’Hôpital général d’Athènes KAT est le seul centre médical public d’Athènes spécialisée en traumatologie et orthopédie.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.