« Restrictions de déplacements, interviews interdites : le droit d’informer est-il menacé aux JO ? », interrogent Morgane Moal et Alexandra Ackoun, deux journalistes de France Inter. La stratégie sécuritaire mise en place par le gouvernement japonais pose question.


 

En arrivant à Tokyo, la presse étrangère a découvert un guide de bonnes pratiques qui leur était destiné. À l’intérieur, de nombreuses interdictions de déplacements ou d’interviews qui posent question sur la liberté de la presse autour de cet évènement.

En sus des mesures déjà en cours dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les 6 000 journalistes qui couvrent les Jeux olympiques vont devoir s’accommoder de restrictions drastiques : interdiction pour eux d’utiliser les transports, de marcher dans la rue ou d’interviewer les habitants.

Dans le guide de bonnes pratiques de 70 pages remis par les autorités pour suivre ces jeux, les journalistes doivent fournir la liste détaillée des lieux où ils comptent se rendre pendant les 15 premiers jours de leur séjour. Le gouvernement se réserve le droit d’approuver — ou non — ces trajets.

En dehors des sites olympiques, tout restaurant ou bar leur sera également proscrit. Pour manger ils pourront tout de même se rendre une fois par jour, mais pas plus de 15 minutes, dans un magasin d’alimentation désigné à l’avance. Celui-ci sera soumis à l’agent de sécurité de leur hôtel afin de ne pas perdre leur trace.

Comme le constatent les équipes de TF1 sur place, les journalistes n’ont le droit qu’à 15 minutes de sortie de leur hôtel et seulement pour faire des courses essentielles : « Il est interdit de se promener en ville, d’aller au restaurant ou de rentrer dans un commerce et seuls les sites de compétition officiels sont accessibles. Impossible de déroger aux règles, une application de traçage installée dès leur arrivée suit tous leurs mouvements. » Les journalistes sont isolés dans une bulle, les athlètes dans une autre, constate la rédaction de LCI.

 

Stratégie mondiale du tout sécuritaire

 

Le ballet de 1824 drones assemblés pour former la Terre au son de la célèbre chanson Imagine, coécrite par John Lennon et Yoko Ono, est à la fois fascinant et inquiétant. Sous la houlette du Premier ministre, Yoshihide Suga (71 ans), le Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir profite des JO pour instaurer un système de surveillance qui n’a rien à envier à celui de son voisin chinois. Le président français Emmanuel Macron, en visite depuis vendredi à Tokyo pour l’ouverture des Jeux olympiques, s’est entretenu aujourd’hui avec le Premier ministre japonais avant de rencontrer quelques grands patrons d’entreprises nippones. On ne sait s’ils ont échangé sur les questions de sécurité.

À Tokyo, les outils technologiques les plus sophistiqués ont été mobilisés. Un dispositif qui fait de la prévention des risques de cette XXXIe Olympiade, la plus coûteuse de l’histoire des Jeux. Le coût des investissements dans la surveillance n’est pas fourni par les autorités japonaises, il pourrait avoisiner un milliard d’euros.

Au-delà des journalistes qui ne pourront pas exercer leur métier librement, les 90 000 visiteurs étrangers qui ont fait le déplacement pour les JO de Tokyo verront s’appliquer immédiatement des normes de reconnaissance faciale et d’analyse de données personnelles, sans pouvoir en connaître les limites. Dans ce domaine, il n’existe aucune législation relative aux droits individuels et donc aucun moyen de savoir quel usage sera fait de ces informations, notamment dans la durée.

Cette stratégie mondiale du « tout sécuritaire » est inquiétante pour tous les citoyens de la planète. Sécurisation des grands rassemblements, contrôle politique de la population, lutte contre le terrorisme, lutte contre la pandémie, 1 quels que soient le mal et le type de régime politique, le remède appliqué est toujours le même, la surveillance globale.

À l’instar des JO de Tokyo, la stratégie du « tout sécuritaire » et de la haute surveillance technologique est en train de s’imposer à grande vitesse aux citoyens du monde, au détriment de leur liberté individuelle. Le constater ne relève pas de la théorie du complot ; il est peut-être temps de s’interroger sur l’avenir qu’elle dessine.

Jean-Marie Dinh

 

Photo Dr Cérémonie d’ouverture des JO Tokyo. Capture d’écran LCI.

Voir aussi le documentaire actuellement diffusé sur Arte  Tokyo 2021 le prix de la sécurité

Voir le rapport d’information du Sénat qui présente le contrôle global comme « une garantie démocratique ».

 

 

 

Notes:

  1. En France le gouvernement impose le contrôle numérique.
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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.