Dans le Gard ou dans les Bouches-du-Rhône, de Fournès à Ensuès, un même business. Deux lieux, deux associations, un seul objectif : combattre un système économique qui écrase l’environnement. Une nouvelle mobilisation contre l’implantation d’un entrepôt d’Amazon aura lieu samedi 29 mai à Fournès, à quelques kilomètres du Pont du Gard.


 

C’est un propos laconique, prononcé lors de la cérémonie des vœux de 2019 par l’ancienne maire de Fournès, Christelle Hinque, évoquant pour la première fois un projet d’implantation d’un centre de tri de colis sur la zone de La Pale, qui a interpellé certains citoyens, dont Patrick Fertil : « on a commencé à creuser, et on s’est rendu compte que ça avançait depuis 2017. Pour nous, il s’agissait d’un projet aberrant, incongru, inacceptable. » Par une indiscrétion, ils apprennent que le promoteur, Argan, serait en fait « le cheval de Troie » d’Amazon. Ils relèvent en outre des irrégularités dans les procédures et décident de créer, en septembre 2019, l’Association de Défense de l’Emploi dans le Respect de l’Environnement (ADERE), en se dotant de statuts ad hoc pour pouvoir prioritairement ester en justice. De fait, elle a déposé deux recours, qui depuis sont devenus des recours contentieux : un contre le permis de construire et un contre l’autorisation environnementale. Deux documents indispensables pour que la construction puisse avoir lieu. Il s’agit de tenter de l’empêcher, ou tout au moins de retarder la procédure.

Car ADERE a également lancé une procédure pénale par saisine du procureur de la République. Après 18 mois d’enquête menée par la gendarmerie, le procureur a demandé une information judiciaire auprès du président du Tribunal de Grande Instance (TGI). Et surtout, un juge d’instruction a été nommé, ce qui prouve, selon l’association, qu’il s’agit d’une « affaire grave, sérieuse et complexe ».  « L’enquête prend une tournure très judiciaire car la qualification pénale est bien « prise illégale d’intérêt » », commente Patrick Fertil. Des édiles locaux auraient bénéficié directement ou indirectement de la vente de terrains « grâce à des prix qui ont flambé ». D’un euro le m2 pour une friche agricole, ou cinq euros pour des parcelles en AOC Côtes-du-Rhône, les propriétaires se seraient vu proposer jusqu’à 40 euros le m2. Une superbe plus-value qui aurait rapporté près de 1,4 millions d’euros. Problème, presque la moitié des terres vendues appartenaient à des oncles de l’ancienne maire (qui ne s’est pas représentée aux dernières municipales), et une de ses adjointes serait aussi indirectement concernée. Également, son premier adjoint, devenu maire depuis, était propriétaire de parcelles concernées par la vente, comme le maire de Remoulins, commune limitrophe. « Dans une municipalité, on ne donne pas de blanc-seing aux élus. Il faut qu’on s’empare de notre rôle de citoyen. Dans ce cas, on voit bien qu’on est face à une somme d’intérêts particuliers et non dans l’intérêt général, et encore moins dans « un intérêt public majeur » comme l’a soutenu le Préfet », poursuit Patrick Fertil.

Après une première mobilisation importante le 30 janvier, plusieurs associations appellent de nouveau à se réunir sur le site samedi 29 mai dès 9h. Une journée d’action qui se veut festive (avec trois groupes dont HK et les Saltimbanks), ludique et surtout pédagogique. Il y aura des rencontres avec plusieurs associations, des stands, des prises de parole sur des thèmes comme les écosystèmes, l’artificialisation des sols, la destruction de l’emploi et du commerce de proximité, les risques environnementaux…

 

L’opposition à la ZAC d’Ensuès en toutes lettres. photo DR altermidi N.P

À Ensuès, aussi…

À une centaine de kilomètres de là, au bord de la Côte bleue, des riverains se heurtent aussi à la construction d’un immense entrepôt sur la Zac des Aiguilles d’Ensuès-la-Redonne. Là encore, une association s’est créée, StopZac Ensuès, pour dénoncer la situation1, notamment une collusion entre élus de la Métropole Aix-Marseille-Provence et l’opérateur du site, le groupe Barjane.  « En 2019, sur un salon immobilier professionnel (SIMI) à Paris, Michel Illac, maire d’Ensuès-la-Redonne, Dominique Blanchier, chef du service Entreprises et Grands Comptes de la Métropole, et Adeline Paumier, directrice du Leasing, du Développement et des Acquisitions chez Barjane, font la « promotion » pour le « promoteur ». Que font-ils sur des salons professionnels parisiens à travailler pour Barjane ? », s’étonnent les membres de l’association. Et de constater : « De plus, le groupe publie sur son site ce type d’infos. Cela porte un nom : c’est compromettre ses partenaires. Si vous voulez les coincer, la méthode est la bonne. Barjane est transparent quant à lui… C’est aux élus et fonctionnaires de ne pas se pointer dans ce genre de compromission. Ils se sont fait avoir. Ou pas… ».

De plus, la Fondation Barjane finance directement l’opération « Calanques propres », une action citoyenne environnementale gérée par des bénévoles. Or, selon StopZac, la mairie aurait récupéré l’initiative et mis en avant le sponsoring de cette fondation :  « Barjane améliore ainsi son image et publie ses belles actions dans son rapport RSE2 sur son site internet. »

 

« Choose France », comme ils disent

Amazon ou Barjane, si ces deux groupes peuvent se permettre de telles actions, c’est grâce à la libéralité des pouvoirs publics. En 2016, un certain Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, et ses collègues Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, et Alain Vidalies, secrétaire d’État aux transports, s’expriment en chœur : « Nous voulons faire de la France le leader des plateformes logistiques en Europe. » Vaste ambition ! Le lobbying a fait des ravages… Résultat, à peine élu président, Emmanuel Macron met en place l’Autorité environnementale unique, un dispositif qui permet d’accélérer les procédures et laisse aux Préfets la possibilité de délivrer des autorisations sans être entravés par les démarches habituelles, restreignant de fait les possibilités de s’opposer à ce type de projet… « Choose France », et ne nous laissons pas encombrer par quelques excités de la petite fleur, tout de même !

Pourtant pour ces deux projets d’entrepôts, ce qui est bien au centre de toutes les inquiétudes ce sont les risques environnementaux. À Ensuès notamment, où la Zac est sur le site d’un ancien incinérateur qui, depuis 20 ans, est devenu une décharge à ciel ouvert, sans aucune barrière, générant de fait toutes sortes de dépôts sauvages. Une pollution des sols redoutée par les membres de StopZac : 1/3 des déchets de surface (environ 15 000 m3) sont amiantés, et les 45 000 m3 de déchets enfouis sont concernés par des concentrations d’hydrocarbures, mercure et PCB3, de 50 à 260 fois plus élevés que les seuils tolérés. En cas d’inondation, toute la zone serait polluée, et les eaux de ruissellement impacteraient des terres maraîchères toutes proches, dont certaines en bio.

Et surtout, les associations redoutent les incendies. Beaucoup de matières stockées sont potentiellement dangereuses. Si elles prennent feu, elle peuvent dégager des substances toxiques, voire létales. « On sait par exemple qu’il y a du polystyrène dans les colis. Or quand il se consume, il dégage des monomères de styrènes, des vapeurs mortelles, s’alarme encore Patrick Fertil, on pourrait aussi stocker du glyphosate… »

ADERE ne comprend d’ailleurs pas pourquoi le projet d’implantation d’Amazon n’a pas la mention ICPE (Installations Classées Protection de l’Environnement). Ce qui n’est pas le cas à Ensuès, et pourtant cela ne rassure pas les membres de StopZac : « le problème  avec les IPCE, c’est qu’elles peuvent stocker des produits toxiques. Pourtant, il y a des habitations toutes proches ainsi que des écoles et des collèges à moins de 2 kilomètres du site. Normalement c’est interdit, mais ils ont obtenu des dérogations. »

Récemment, à Petit-Couronne, près de Rouen, le rapport établi par le Service départemental d’incendie et de secours, SDIS 76, relève l’énorme difficulté qu’il y aurait à circonscrire un incendie dans des bâtiments de trois étages, avec des stockages de matières très inflammables (cartons, papiers, plastiques…), ce qui est prévu à Fournès. « Un tel évènement produirait un volume de fumée supérieur à celui produit lors de l’incendie du 26 septembre 2019 concernant les sites de Lubrizol et de Normandie logistique, dont le panache s’est étendu de 22 km de long sur 6 km de large, note le rapport du SDIS 76, les conclusions de cette étude ne présagent en rien les effets possibles de gène sur les personnes ni des retombées possibles des fumées d’incendies présentant une toxicité chronique de type dioxine ou HAP (Hydrocarbure aromatique polycyclique)4 en fonction de la nature des produits entreposés ».  Et le rapport conclut : « Le SDIS 76 considère qu’il est confronté à une impossibilité opérationnelle et que les opérations d’extinction de l’incendie en question dureraient certainement plusieurs jours ».

Nathalie Pioch

(Photos JFA et NP altermidi)


Déroulé de la journée « Stoppons Amazon à Fournès et ailleurs » du samedi 29 mai sur le site de La Pale à Fournès (30) :

10h30 à 12h : ateliers, réflexion et débats : Artificialisation des sols, résister pour préserver nos terres cultivables, en présence de Brian Padilla, écologue Muséum d’histoire naturelle, Paul Ferté (Confédération paysanne 30), F. Allory et P.Hoeckman (Terre de liens).
Patrimoine et paysage, en présence de : Thierry Paquot, philosophe urbaniste et Michel Brodovitch, architecte du patrimoine, consultant UNESCO.

Dès 10h30: stands.

• ADERE recours juridiques

• Comment protéger nos terres: Sraddet, SCoT, PAT, PCAET…
• Syndicats : Alternatives, luttes et emplois !
• Librairie Diderot et la revue La Garance voyageuse.
10h30 à 12h : ateliers pratiques avec ruche, fabrication de nichoirs, arrosage des arbres, nettoyage du site (écologique et responsable), conte de 7 à 99 ans, atelier Philo pour enfants, balade botanique (avec des botanistes).
12h/14h: repas tiré du sac.

14h à 15h30 : ateliers réflexions et débats :  Stop Amazon et son monde, en présence de  Alma Dufour (Les Amis de la terre), Geneviève Azam (Attac et revue Terrestres), Raphaël Pradeau (Attac), Didier Aubé (Solidaires).
Quels projets pour le futur de la Pale, les alternatives possibles, en présence de : Agnès Sinaï (journaliste environnementale et enseignante SciencesPo Paris), R. Spizzichino (président du Carma-Gonesse et projet alternatif d’Europa-City), Uto (ressourcerie du Vigan), Hugo Soucade Caussade (étudiant en architecture), Michel Gabach (Halte paysanne Saint-Dionisy).

14h30 à 15h30 : ateliers pratiques avec atelier ruche, balade botanique avec La Garance voyageuse, jeu Fresque du climat sous forme de quiz.
15h30 à 16h30 : prises de parole de représentant.e.s nationaux/ales et locaux/ales, entrecoupées de temps musicaux. Accompagnements musicaux avec la célèbre batucada Marguerythmes Batucad’lib.

 

Rapport du SDIS 76 : https://www.seine-maritime.gouv.fr/content/download/41810/276061/file/SDIS76-Rapport%20site%20GAZELEY%20MAGENTA.pdf

 

 

Notes:

  1. Elle a été rejointe par d’autres associations de défense de l’environnement lors d’une marche le 17 avril
  2. Responsabilité sociale des entreprises : elles doivent prendre en compte les préoccupations sociales et environnementales dans leur développement.
  3. PCB : polluants ubiquitaires et persistants (demi-vie de 94 jours à 2 700 ans selon les molécules) toxiques, écotoxiques et reprotoxiques (y compris à faible dose en tant que perturbateurs endocriniens)
  4. Les HAP sont répertoriés en tant que polluants organiques persistants (POP) dans le protocole d’Aarhus (traité international interdisant la fabrication et l’utilisation d’un certain nombre de substances chimiques particulièrement polluantes). Ils figurent dans la liste des polluants prioritaires établie par l’agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA US), dès 1976, et font également partie des listes de l’OMS et de la Communauté européenne.
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Reprend des études à chaque licenciement économique, ce qui lui a permis d'obtenir une Licence en Histoire de l'art et archéologie, puis un Master en administration de projets et équipements culturels. Passionnée par l'art roman et les beautés de l'Italie, elle garde aussi une tendresse particulière pour ses racines languedociennes.