Toulouse. Masque ou pas masque, distanciation physique, sociale ou pas, plus rien ne fera taire les blouses blanches. Chaque mardi, ils et elles se rassemblent en différents lieux de Toulouse. Mardi 26, c’était à l’hôpital Purpan, avec un hommage aux collègues décédé-es et contaminé-es par le COVID-19 dans le cadre de leur travail partout en France et dans le monde. Les personnels de la santé n’attendent rien du gouvernement. Ils exigent des embauches et des salaires décents pour sauver des vies et gagner la leur.


 

Julien Terrié, manipulateur radio et secrétaire de la CGT au CHU de Toulouse, invite l’assemblée réunie sur le site de Purpan à une minute de silence, au final vivement et longuement acclamée. Les conditions n’ont pas été réunies pour protéger efficacement les personnels en première ligne, malgré la sonnette d’alarme tirée par les élu-e-s du CHU de Toulouse dès le 4 février, ce n’est qu’un mois plus tard que des actions ont été mises en place, déplorait Julien Terrié dans son allocution.

 

Les travailleurs et travailleuses de la santé ont fait face comme ils et elles ont pu avec le manque de masques et autres protections, de tests, de matériels aux normes. « On s’est serré les coudes en dépit des dysfonctionnements et des restrictions, on s’est auto-organisé pour trouver les meilleures solutions pour nos patients et pour nous protéger, faisant tomber les barrières entre services, entre nous, entre structures, passant outre les objectifs de rentabilité pour travailler selon notre éthique ». Une éthique mise à mal dans la Région Grand-Est et Île-de-France quand il a fallu choisir entre les patient-e-s alors que les soignant-e-s ont rejoint l’hôpital pour soigner tout le monde à égalité et sans condition ni discrimination.

« Ni oubli ni pardon » ne sont pas des paroles en l’air pour toutes les personnes qui sont au charbon, hier, aujourd’hui et demain, « elles le doivent à celles et ceux tombé-e-s ou touché-es- par l’épidémie pour rebâtir nos collectifs de travail et les solidarités, seuls gages pour espérer les Jours Heureux ».

Ces rassemblements hebdomadaires déboucheront sur une marée blanche le 16 juin pour gagner et sauver l’hôpital public et la sécurité sociale partout en France et dans la Ville rose.

 

« Le rêve absolu d’en finir avec le statut de la Fonction publique hospitalière »

Une assemblée qui se tient le lendemain de l’ouverture du « Ségur de la Santé » censé apporter des changements dans le système de santé public. « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » (Macron le 12 mars à la Télé). Le chef de l’État dit s’engager pour « un plan massif d’investissement et de revalorisation des carrières pour notre hôpital » (discours du 25 mars depuis Mulhouse), le président se serait-il nouvellement converti à l’idéologie anti-capitaliste ? Julien n’y croit pas :

« Les dirigeants vont nous imposer de telles contreparties qu’ils vont supprimer les 35 heures avec de possibles licenciements et le rêve absolu d’en finir avec le statut de la Fonction publique hospitalière sous la pression de la Fédération hospitalière de France, l’équivalent du Medef chez nous ».

 

Pour rappel, lorsque les citoyen-n-es sortaient sur les balcons pour encourager les équipes soignantes et les autres professionnels hospitaliers, un rapport de la Cour des comptes et consignations du 26 mars commandé par le pouvoir (avant l’épidémie) pour les hôpitaux préconisait exactement le contraire des affirmations élyséennes, c’est-à-dire l’accélération de la privatisation de l’hôpital public et la marchandisation de la santé. « Le gouvernement n’a absolument pas abandonné le plan de la CDC, selon le cégétiste. Sa stratégie de choc, c’est d’imposer une transformation de l’hôpital en ESPIC ou en établissement privé à but non lucratif en supprimant le statut de fonctionnaire qu’il déteste tant. On va rentrer dans un bras de fer, soit la privatisation totale ou la sauvegarde du service public et de la sécurité sociale, tout dépendra du niveau du rapport de forces qu’on construira en face ».

Les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) assurent des missions de service public et sont financés de la même manière que les établissements publics, mais sont gérés par une personne morale de droit privé. En finir avec le statut public est le véritable objectif du gouvernement et de la Fédération hospitalière de France.

« Avec le coronavirus, l’hôpital public a montré qu’il pouvait s’adapter à une situation de crise. Il faut continuer à lui donner cette autonomie, à le responsabiliser en changeant le statut. C’est la clé », argumentait, Gérard Vincent, ancien délégué de la FHF dans Le Figaro du 18 mai. « Les hospitaliers ont montré qu’en s’affranchissant des règles, ils pouvaient être réactifs et efficaces. Pour pérenniser l’aventure qu’ils viennent de vivre, il faut changer le statut public », renchérissait son acolyte Guy Collet, ex-stratège de la FHF. Pas sûr que les personnels acceptent sans protester de renoncer à un statut protecteur pour eux.

 

« Personne ne demande à travailler plus, on est épuisé ! »

Temps de travail, rémunération, reconnaissance, organisation et prise en charge des patients, qu’est-ce qui va et doit changer à l’hôpital ? « Il ne s’agit pas d’obliger les gens à travailler davantage, mais de créer un cadre beaucoup plus souple pour permettre à ceux qui le souhaitent de le faire ou d’organiser leur temps de travail différemment ». « Si les salariés souhaitent travailler davantage et augmenter leur rémunération, il faut que ce soit possible », les propos du ministre de la Santé, Olivier Véran, ne rassurent pas le jeune syndicaliste :

« personne ne demande à travailler plus, on est épuisé ! S’il suppriment les 35h, c’est la fin de la valorisation des heures supplémentaires et moins d’argent pour les infirmières ».

Au niveau des revalorisations salariales, Julien Terrié craint qu’elles soient conditionnées à certaines professions ou à certains services, mais une chose est sûre : « ils ne peuvent pas ne pas augmenter les salaires. S’ils ne donnent pas les 300 euros qu’on revendique, on sera dans la rue ». Entre 1 500 et 1 600 euros c’est ce que gagnent Christelle et Marion, aides-soignantes à Purpan après 6 et 7 ans de métier. « On a besoin de 300 euros au minimum pour vivre décemment », annonce l’une. « On nous a fait tellement de belles promesses, beaucoup de blabla et peu d’actions qu’on a du mal à les croire », rajoute l’autre.

« On va se retrouver devant ce choix : Vous voulez rester fonctionnaire, vous restez dans la situation actuelle ou alors vous acceptez le changement de statut, vous aurez des augmentations de salaires », décrypte Julien. Le chantage entre retraite ou salaire s’est déjà produit en 2010 sous le ministère de la Santé de Roselyne Bachelot (UMP) et la mal nommée réforme des retraites du gouvernement de Nicolas Sarkozy, lorsque les infirmières sont passées en catégorie A avec la perte de la reconnaissance de la pénibilité et le départ à la retraite à 62 ans au lieu de 55 ans.

 

« L’urgence, c’est d’interdire le sous-effectif et d’embaucher 1 500 personnes »

La pandémie a révélé combien la fermeture des lits (100 000 en 20 ans) avait été néfaste pour accueillir et soigner les malades. « Les lits sont devenus un business, leur suppression répond à une logique de rentabilité, explique Julien Terrié. En diminuant la durée moyenne de séjour, les gestionnaires des hôpitaux augmentent la productivité et la charge de travail sur chaque lit, 50 consultations par demi-journée en chirurgie ambulatoire, par exemple, c’est l’idéal pour eux parce qu’ils obtiennent ainsi un taux d’occupation maximale ».

La loi Bachelot (Hôpitaux, Patients, Santé et Territoires) a converti l’hôpital public en entreprise avec l’obsession de la réduction des coûts pour ses dirigeants qui sont devenus des bureaucrates gestionnaires. La plupart des personnels hospitaliers refusent la privatisation du secteur public aux antipodes des valeurs de solidarité qui a donné naissance à La Libération au système de santé français et à sa protection sociale. L’urgence actuelle pour le responsable syndical, « c’est d’interdire le sous-effectif et d’embaucher 1 500 personnes ». « À l’hôpital, il doit toujours y avoir un volet de réserve comme on avait avant 1996. Ici, on a tout arrêté pour ne traiter que le Covid-19, on a 2,5 mois de retard sur certaines pathologies chroniques (diabètes, hépatites). La continuité des soins est une obligation dans le statut hospitalier mais elle n’a pas été assurée à cause du manque de lits, de personnels, de structures et de matériels : masques, lunettes, charlottes, surblouses, tests, au XXIème siècle, c’est vraiment ahurissant ! », dénonce Julien Terrié. qui fustige aussi le rabotage sur le temps de l’enseignement et celui de la recherche, car il y a à peine du personnel pour s’occuper des soins après deux décennies de saignées budgétaires.

Le syndicaliste résume la situation : « 100 000 suppressions d’emplois dans les hôpitaux de France, dont 1 500 au CHU de Toulouse. La génération actuelle n’accepte plus les conditions de travail dégradées, les bas salaires et les petites retraites, l’hôpital connaît une grande crise de vocation, quel intérêt un jeune a-t-il à y entrer ? Ceux et celles qui n’ont pas encore démissionné refusent de choisir entre les patients. Moins de 20 minutes pour s’occuper d’un patient, c’est juste impossible on n’a plus le temps, du coup on choisit à qui on va tenir la main. ça nous use ! On n’est pas rentré à l’hôpital pour faire ce genre de choix ».

Le gouvernement veut aller très vite parce qu’il sait que les personnels n’arrêteront pas tous le travail. Le 16 juin verra-t-il dans les rues de Toulouse et partout en France un raz-de-marée blanc, accompagné de rouge, mauve, jaune et vert, déferler dans les rues de Toulouse ?

 

Piedad Belmonte

 

Manifestation du personnel des urgences, devant le CHU de Purpan à Toulouse, le 11 octobre 2019. Photo DR

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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin