EELV aborde les élections municipales des 15 et 22 mars avec des ambitions, surtout dans nombre de  grandes villes. Fort d’un très bon score aux Européennes de 2019 (plus de 13% pour la liste conduite par Yannick Jadot ) qui réaffirme la poussée des préoccupations écologiques, le parti écolo bénéficie d’un contexte favorable. À tel point qu’EELV a décidé de faire « cavalier seul » dans des villes comme Montpellier (Occitanie) où trois listes se réclament de l’écologie, Marseille ou Aix-en-Provence (Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur).

Le succès de la liste EELV aux dernières élections européennes (un scrutin qui lui est souvent favorable)  a-t-il donné des ailes à un parti qui a connu une histoire plutôt tumultueuse, faite de hauts et de bas…comme bien d’autres formations ? Aux yeux de ses dirigeant.e.s, il justifie en tout cas la stratégie d’autonomie mise en oeuvre dans de nombreuses grandes villes (Paris, Nantes, Rennes, Lille, Lyon, ou Perpignan pour ce qui concerne nos régions). Au risque de la tentation hégémonique qui fut longtemps l’apanage du PS…, lequel n’en a plus les moyens aujourd’hui. Comme le souligne son porte-parole Alain Coulombel, EELV entend ne plus jouer le rôle de supplétifs du PS (1). Reste à savoir s’il s’agit de dépasser le PS par la droite ou par la gauche. Ce ne sont pas les propos de Yannick Jadot jugeant au fond l’écologie compatible avec le système capitaliste qui sont de nature à clarifier les choses. Certes, me direz-vous, avec les Municipales, l’objectif n’est pas de dépasser le capitalisme mais de faire avancer le schmilblick localement en agissant sur les transports, l’urbanisme, l’agriculture… Ce qui ne serait déjà pas si mal.

À Marseille, ville où l’on aurait bien besoin d’en faire avancer pas mal, de schmilblicks, Sébastien Barles, qui fut naguère engagé dans des démarches avec d’autres formations de gauche, mène une liste EELV autonome qui a fait le choix de ne pas rejoindre le Printemps marseillais dont la liste est pourtant conduite par… une écologiste, Michèle Rubirola. Le coup de canif porté à la démarche unitaire est tel que la perspective de voir l’héritière du système Gaudin, Martine Vassal (présidente LR à la fois de la Métropole et du Conseil départemental) lui succéder à la mairie paraît de plus en plus probable. Certes, l’art du pronostic est aussi délicat en politique qu’en football mais voir la droite (elle-même divisée au premier tour) l’emporter une nouvelle fois ne serait pas le moindre des paradoxes dans une ville en ébullition. En effet, de multiples formes de lutte ont marqué Marseille ces dernières années. Outre les « classiques » cortèges syndicaux qui réunissent des dizaines de milliers (voire plus)  de manifestants venus de tout le département lors des grands mouvements (contre la Loi Travail en 2016, pour la défense des retraites depuis le 5 décembre 2019…), l’émergence du Collectif du 5 novembre après le drame de la rue d’Aubagne qui a fait huit morts en novembre 2018 ou le combat pour le quartier de La Plaine dessinent un autre visage de la deuxième ville de France.

Si Martine Vassal l’emportait au soir du 22 mars, cela aurait les allures d’une victoire par défaut, probablement liée à un fort taux d’abstention dans une cité où certains quartiers sont en déshérence. Lors des élections municipales de 2014, le taux d’abstention au premier tour était de 46,4% ! Et comme il ne faut pas confondre paysage électoral et paysage politique, cela traduirait une nouvelle fois une distorsion importante entre le potentiel de contestation et de créativité existant dans cette ville qui aime à se penser comme « rebelle », et l’aspect institutionnel. Soit, au niveau local, le modèle en cours à l’Assemblée nationale où l’écrasante majorité LREM est un miroir déformant, sans aucune mesure avec l’audience réelle du libéralisme économique décomplexé et arrogant qui caractérise la « macronie ».

Les jeux ne sont évidemment pas faits et tout dépendra de la capacité d’EELV et du Printemps marseillais (liste rassemblant France insoumise, PCF, PS et citoyens) à mobiliser les électeurs et électrices potentiels et à apparaître comme de véritables alternatives au « système ». Dans le cas contraire, il ne restera plus à tous ceux qui veulent bousculer cette ville dans un sens plus égalitaire et plus écologique qu’à déplorer une nouvelle occasion gâchée.

Chez la voisine, Aix-en-Provence, malgré les efforts de la liste Aix en partage pour rassembler un large spectre (Gilets jaunes, Nouvelle Donne, PS, Génération-s, PCF, Ensemble, France insoumise…), EELV (Yannick Jadot en tête) a choisi de soutenir Philippe Sassoon… pourtant suppléant de la députée LREM, Anne-Laurence Petel, également candidate aux municipales.

 

Montpellier, Toulouse : des configurations bien différentes

 

 À Montpellier, le paysage électoral laisse pour le moins perplexe : pas moins de trois listes se réclament de l’écologie. Pressentie dans un premier temps, Clothilde Ollier s’est vue refuser l’investiture d’EELV pour cause de « trop grande proximité » avec la France insoumise… avant que le Tribunal de Bobigny ne désavoue la décision des instances nationales d’EELV. Clothilde Ollier qui avait déjà  choisi de se maintenir malgré tout, avec une liste dénommée Ecologie en commun, se trouve aujourd’hui confortée. Elle fera face à la concurrence de la liste « officielle » d’EELV conduite par Coralie Mantion à Ecologie pour tous de Jean-Louis Roumégas, « vieux briscard » de l’écologie « made in 34 ». Comprenne qui pourra mais avec tout ça, si Montpellier ne devient pas une « ville verte », c’est à désespérer. Quant à la FI, elle apporte son soutien à liste citoyenne « Nous sommes », conduite par Alenka Doulain.

La « capitale » de l’Occitanie, Toulouse, se singularise par l’absence de liste EELV. Mais Antoine Maurice — élu écologiste d’opposition au maire LR sortant, Jean-Luc Moudenc  qui a reçu le soutien de LREM — conduit la liste citoyenne « L’Archipel ». Le tout avec 12 listes en présence et une configuration marquée par  un certain embouteillage à gauche. L’ancien maire socialiste Pierre Cohen défend les couleurs de Génération.s, le PS, auquel le PCF  a préféré se rallier, est représenté par Nadia Pellefigue, vice-présidente du Conseil régional. Le NPA (Pauline Salingue), Lutte  ouvrière (Malena Adrada) et le Parti Ouvrier Indépendant (Julian Mendez-Gonzalez) sont également sur la ligne de départ du premier tour. 

De ce bref tour d’horizon de quelques grandes villes de Provence ou d’Occitanie, il apparaît que la clarté et la cohérence ne sont pas ce qui saute aux yeux. Mais reconnaissons que ce n’est pas une exclusivité « verte ». Plus que jamais, les stratégies à géométrie variable, parfois revendiquées comme telles, vont marquer ces élections municipales. Le phénomène touche aussi le PCF et la France insoumise. Faut-il y voir une nouvelle illustration de la crise des partis et mouvements ou, version plus positive, l’expression de la spécificité de ces élections qui permettent encore quelques marges de manoeuvre locales ? Selon le GIEC, 50 à 70% des leviers pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre et le dérèglement climatique relèveraient de l’échelon local.

Morgan G.


(1) Politis n°1589, du 6 au 12 février 2020.


 

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"