La grève des salariés de Radio France a été massivement suivie mardi. 75% des salariés tous métiers confondus ont répondu à l’appel de l’intersyndicale (CFDT, CGT, FO, SNJ, SUD, Unsa) pour contester un nouveau plan d’économies prévoyant environ 300 suppressions de postes qui vise, selon les syndicats, à « détruire la radio publique ».

L’action concernait également le réseau France Bleu en région où 37 des 44 antennes ont débrayé. Cette grève qui a concerné près de 2 000 salariés dont beaucoup n’avaient pas fait grève depuis longtemps — 85% des chefs de services ont suivi le mouvement — est particulièrement significative. A Paris, plus de 500 salariés se sont réunis en assemblée générale, ce 18 juin dans l »agora de la Maison de la Radio, où ils ont exprimé leur incompréhension et leur colère. Les autres activités du groupe ont été également affectées, avec 85% de choristes en grèves. le concert de l’orchestre philharmonique prévue dans la soirée a été annulé.

Cette détermination ne vient pas de nulle part, elle s’inscrit dans la continuité d’une première vague de suppression d’emploi qui avait été à l’origine du mouvement social en 2015. Alors que Radio-France affiche d’excellents résultats d’audiences et a retrouvé son équilibre financier depuis deux ans (l’entreprise publique a dégagé 7 millions d’excédent en 2018), le plan annoncé début juin par la présidente du groupe, Sibyle Veil, vise à anticiper la baisse de la contribution de l’Etat (moins 20 millions d’euros sur quatre ans). Il programme 60 millions d’euros d’économies, d’ici à 2022.

Plan de départ volontaire contesté

La fourchette des suppressions d’emplois est comprise entre 270 et 390 postes soit 10% du personnel pour l’hypothèse haute. Elle suit notamment la recommandation de la Cour des comptes qui décrivait en janvier la renégociation du temps de travail comme un « chantier prioritaire ». Les propositions pour la préservation de l’emploi avancées par la direction invitent le personnel en CDI à concéder 7 à 12 jours de congés pour économiser 5 millions d’euros. Elles sont dénoncées par les syndicats comme : « un marché de dupe. Cela reviendrait à répercuter les suppressions sur les CDD et contribuerait à accentuer la précarisation des personnels, sans compter la détérioration évidente des relations internes », indique Lionel Thompson pour le SNJ-CGT. A Radio France, Les syndicats demandent « le retrait de ce plan dangereux et destructeur » ainsi qu’un « effectif et des moyens nécessaires pour remplir nos missions de service public ». Ils se méfient de l’attitude de Sibyle Veil qui avait déjà mené un large programme de restructurations à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, il y a quelques années.

 

Assemblée générale des salariés en grève de Radio France,. Dr Taimaz Szirniks AFP

Analyse financière dénoncée

Le rapport d’un cabinet indépendant, (qui a fuité), mandaté par le comité social de Radio France, a qualifié les économies visées de « surdimensionnées » et estimé que Radio France pourrait s’épargner 118 suppressions de postes. Dans Médiapart, Laurent Mauduit révèle que le cabinet Tandem estime que « les projections de hausse mécanique des charges de personnel seraient moins importantes » que ne le dit la direction, s’établissant à 7,4 millions d’euros sur la période 2019-2022, au lieu des 16,1 millions évoqués par cette même direction. Le rapport démontre que Sibyle Veil joue la carte du pire. « Les économies sur la masse salariale de 25 millions d’euros envisagés dans le projet pourraient s’avérer nettement surdimensionnées : le nombre de suppressions de postes pourrait être aménagé en conséquence ».

Si la direction de Radio France a contesté ce rapport, évoquant une « méthodologie erronée », suite à l’ampleur du mouvement de grève, la directrice des Opérations et des finances de Radio France, Marie Message, a assuré que des explications et des chiffres supplémentaires seraient donnés aujourd’hui par la direction en conseil central (1). Et qu’un nouvel expert indépendant serait mandaté.

Destruction du service public de l’info

A travers cet « appel du 18 juin », les syndicats de Radio France ont envoyé un « coup de semonce » : « L’indépendance éditoriale de cette maison, la qualité et la richesse de ses contenus produits exclusivement en interne, le rayonnement de ses formations musicales ainsi que l’excellence de sa proximité en région ne peuvent s’accommoder d’économies drastiques et d’une course déraisonnable aux ressources propres », affirme l’intersyndicale.

Avant son départ, le PDG de l’époque Mathieu Gallet confiait déjà « on est à l’os », ce nouveau plan d’économies drastiques de 50 millions d’euros à Radio France s’inscrit clairement dans la volonté politique du chef de l’Etat de démanteler le service public de l’info, pour le plus grand bonheur des groupes de médias privés qui ont contribué à son élection. Il est à mettre en regard avec la suppression annoncée de Soir 3, l’une des émissions phares d’information de France 3. « La suppression annoncée du Soir 3, la seule édition de France 3 qui accueille chaque soir un invité, voire deux le week-end, porte un sérieux coup de canif à notre mission de service public. Car le public dans ce projet est tout simplement ignoré et méprisé. Alors que le Soir 3 obtient depuis le début de l’année des records d’audience (jusqu’à 1,6 million en avril), le projet de la direction propose de nous couper du public de France 3 », dénoncent pour leur part les trois syndicats (CGT, FO, CFDT) de France Télévisions qui donnent suite au débrayage de la semaine dernière en appelant à la grève demain. S’ajoute aussi à cette charge politique la suppression de France 4 sur la TNT et de France Ô.

On aura noté que le système de nomination, les profils et les méthodes de Sibyle Veil (2) et de Delphine Ernotte, PDG de France Télévisions, sont parfaitement identiques. Les deux patronnes se trouvent d’ailleurs en concurrence directe pour assurer la tête de la super holding qui verrait le jour avec la fusion de Radio France et de France télévision. Les grands perdants se sont les personnels qui ne pourront plus assurer un travail de qualité, l’indépendance éditoriale, les missions de service public, et les spectateurs et les auditeurs, c’est-à-dire les citoyens qui voient chaque jour reculer leur droit fondamental à être réellement informé.

Jean-Marie Dinh

(1) La direction de Radio France prend acte « de la mobilisation, des inquiétudes et du très fort attachement à l’audiovisuel public et à ses missions qui se sont exprimés ». Elle propose aux partenaires sociaux « de poursuivre le dialogue pour construire avec eux un équilibre entre les efforts indispensables et les perspectives apportées à l’entreprise et à ses salariés ». Le groupe veut boucler cette réforme à l’automne avant de négocier son Contrat d’objectifs avec l’Etat. Un des enjeux pour l’intersyndicale est de ne pas s’engager dans l’accord de méthode que propose la direction.

(2) « Est-ce que la mission de Sibyle Veil est de protéger Radio France, ou est-elle en charge d’une mission libérale pour détruire la radio publique et donner de l’air aux radios privées ? », questionne Manuel Houssais, représentant de la CGT.

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Après des études de lettres modernes, l’auteur a commencé ses activités professionnelles dans un institut de sondage parisien et s’est tourné rapidement vers la presse écrite : journaliste au Nouveau Méridional il a collaboré avec plusieurs journaux dont le quotidien La Marseillaise. Il a dirigé l’édition de différentes revues et a collaboré à l’écriture de réalisations audiovisuelles. Ancien Directeur de La Maison de l’Asie à Montpellier et très attentif à l’écoute du monde, il a participé à de nombreux programmes interculturels et pédagogiques notamment à Pékin. Il est l’auteur d’un dossier sur la cité impériale de Hué pour l’UNESCO ainsi que d’une étude sur l’enseignement supérieur au Vietnam. Il travaille actuellement au lancement du média citoyen interrégional altermidi.