L’Occitanie réclame la libération des prisonniers politiques catalans

Une motion adoptée par la la majorité du Conseil régional ouvre une petite brèche dans le mur d’indifférence que l’Europe oppose au sort des leaders indépendantistes dont le procès est en cours

La question nationale catalane recèle bien des aspects qui heurtent le sens commun, et sont particulièrement difficiles à faire saisir dans le contexte français, saturé de jacobinisme. Ainsi faut-il rappeler que le mouvement indépendantiste catalan est dominé par des forces de gauche. Ou noter que Barcelone aura été, voici trois ans, dans l’indifférence médiatique internationale, la seule ville du continent à voir défiler six cent mille personnes en faveur de l’accueil des réfugiés. Relever que le premier geste en tant que président de la Catalogne, de Quim Torra, le jour de son investiture, a été une visite dans une structure d’accueil de migrants.

Rien de cela ne suffit à établir que la Catalogne est un saint pays ; mais à tout le moins que sa question nationale ne saurait se réduire à l’hydre du repli identitaire. Rajoutons encore un point à cette liste : peut-être parce que poussée par l’espoir de dépasser le cadre étatique espagnol qui la contraint, la population catalane est, parmi celles du continent, l’une des plus favorables au processus de construction européenne. Mais peut-être vaudrait-il mieux écrire « était ». Au passé. Car la désillusion y est immense, depuis que les autorités des divers Etats et instances européens se sont unanimement rangés sur une ligne de soutien inconditionnel à leurs collègues de Madrid. Comme on le sait, l’observance des Droits de l’Homme est à géométrie variable.

Dans un tel contexte, le vœu récemment adopté par le Conseil régional d’Occitanie détonne. Il ouvre une petite brèche, rejoignant une récente motion dans le même sens, de quarante sénateurs français trans-partidaire, ou encore les rejets par les justices belge et allemande des demandes d’extradition du président catalan en exil, Carles Puigdemont. Toutes les composantes de la majorité de gauche de l’assemblée occitane ont adopté un vœu dont le titre est très clair, se prononçant « pour la libération des prisonniers politiques catalans ».

Certes les élus occitans se gardent de se prononcer pour ou contre l’indépendance de la Catalogne. Quant à leur positionnement, ils se prévalent des les liens tissés entre Occitanie et Catalogne dans le cadre d’une Eurorégion, mais aussi, plus généralement, de « l’intensité des échanges économiques, universitaires, sociaux ou culturels, dictés à la fois par l’Histoire et par la Géographie ».

Or, tandis que plusieurs responsables catalans sont aujourd’hui réfugiés à l’étranger, onze autres comparaissent devant le Tribunal suprême espagnol, pour répondre de l’organisation du référendum du 1er octobre 2017, puis de la déclaration d’indépendance du 27 octobre suivant, conformémant aux résultats obtenus. On compte parmi eux le très populaire Oriol Jonqueras, ex vice-président de Catalogne, l’ex-présidente du Parlement de Catalogne, Carme Forcadell. Ou encore, deux leaders extrêmement populaires d’organisations de la société civile, Jordi Cuixart et Jordi Sanchez.

Leur procès fleuve s’est ouvert le 12 février dernier, mais pourrait connaître une accélération car les instances dirigeantes espagnoles souhaitent qu’il n’interfère pas avec les prochaines élections générales anticipées au 28 avril. Il faut d’ailleurs remarquer que le dernier sondage dans cette perspective laisse pronostiquer un nouveau renforcement du camp indépendantiste en Catalogne, désormais très nettement majoritaire après ne l’avoir été que sur un fil. Cette tendance serait tout aussi nette si un scrutin seulement régional était organisé.

Les charges pesant sur les détenus catalans sont extrêmement lourdes, puisque, outre les malversations – de présumés recours budgétaires pour organiser la consultation que les autorités espagnoles avaient interdite – également la sédition, le motif de rébellion a été retenu. Tant et si bien que les peines encourues vont jusqu’à vingt-cinq années de réclusion. La rébellion suppose le recours à la violence dans l’action contre l’ordre constitutionnel.

D’où des auditions aussi fastidieuses que surréalistes, où soixante-dix policiers viennent exposer leurs blessures au cours de leurs opérations très violentes visant à empêcher les opérations de vote le jour même du scrutin, au terme desquelles, plus de mille citoyens catalans firent constater leurs blessures. Plus de deux millions de Catalans s’étaient effectivement rendus aux urnes malgré l’oukase madrilène, en organisant sur place des formes de résistance passive, conformes aux instructions non-violentes largement partagées par toutes les instances citoyennes impliquées, à l’instar des propres autorités catalanes.

 

Régionoccitanie / prisonniers catalans
Voeu-Région Occitanie prisonniers catalans-

Cf texte complet en encadré

La motion adoptée par le conseil régional occitan relève comment les dites autorités, démocratiquement élues, n’ont fait qu’appliquer le programme pour lequel elles étaient mandatées : soit, précisément, la tenue de cette consultation. Il est également relevé que 80 % des citoyens catalans se disent depuis longtemps favorables à cette issue référendaire, à l’instar de ce qui a pu s’appliquer dans une parfaite sérénité en Écosse ou au Québec. Ce pourcentage signifie qu’une majorité des anti-indépendantistes eux-mêmes, se prononce en faveur de cette procédure, pour enfin trancher une question qui empoisonne la vie civique.

Faut-il rappeler que le 21 décembre 2017, deux mois après le référendum, les élections régionales par lesquelles le Partido Popular (droite conservatrice) espérait bouleverser la donne en Catalogne, voyaient ce parti n’y remporter qu’un seul et unique siège (au parlement de Catalogne) ! C’est ce groupuscule qui néanmoins s’est arrogé l’administration d’exception de la Province, en activant l’article 155 de la Constitution espagnole pour suspendre les autorités catalanes légitimes.

Les élus occitans pointent comment le refus absolu, de longues années durant, de toute discussion par le Partido Popular, a débouché sur la radicalisation constatée au sein de la société catalane, et finalement la tentative unilatérale d’en passer par la voie référendaire. La question nationale catalane court tout au long de l’histoire moderne espagnole. Mais l’actuel conflit est né du sabotage organisé par ce même Partido Popular, via la Cour Suprême dont il contrôle l’essentiel des membres (de même que les juges du Tribunal), du statut d’autonomie adopté en 2007. Il avait été approuvé à la quasi unanimité de toutes les instances possibles et imaginables de la société catalane, au terme de plusieurs années de consultations de toutes sortes.

Au vu de toutes ces données, la motion occitane estime que les accusés catalans « sont en détention préventive depuis plus d’un an, pour avoir permis que les citoyens puissent s’exprimer sur la question de l’autodétermination ». Elle argue du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » (premier article de la Charte des Nations-Unies), affirme qu’ « en Démocratie faire acte de vote non-violent est un droit et non un délit », et sur le fond « émet le souhait que les solutions politiques et démocratiques soient privilégiées aux choix judiciaires et répressifs, par le pouvoir central en Espagne à propos de la crise catalane, et qu’à ce titre les prisonniers et exilés retrouvent leur liberté pleine et entière ».

Quant à la demande de « mise en place d’un mécanisme européen de médiation » œuvrant dans ce sens, elle paraît, décidément, un vœu pieux.

Gérard Mayen

drapeau de la région Occitanie
drapeau de la région Occitanie
Catalogne, Espagne

Vœu du Conseil Régional d’Occitanie adopté en séance Plénière le 28 mars 2019

Ce vœu a été adopté par 94 voix en faveur, 46 voix contre et pas d'abstention grâce au soutien de l'ensemble des élu.es et groupes de gauche (SRC, GR, NM). Les ajouts intégrés grâce aux élu/es écologistes, régionalistes et citoyenlnes par amendement au texte de base apparaissent en vert (et en gras les passages reformulés en accord avec l'auteur du vœu, JC Se/lin et la Présidente du Conseil régional).

"Catalogne : pour la libération des prisonniers politiques catalans''

Dans le cadre de nos relations au sein de l'Eurorégion, mais aussi, plus largement, par l'intensité de nos échanges économiques, universitaires, sociaux ou culturels, dictés à la fois par !'Histoire et par la Géographie, nous, habitants d'Occitanie nous sommes concernés par ce qui se passe en Catalogne.

Depuis le 12 février 2019, se tient le procès de 9 élus, représentants politiques et associatifs catalans, emprisonnés préventivement depuis presque un an et demi pour certains d'entre eux, et ce pour leurs opinions dans l'exercice légitime des mandats qui leur ont été démocratiquement confiés par les électeurs. D'autres élus catalans, parmi les plus importanUes, ont été forcés à l'exil pour pouvoir encore faire entendre leur voix, notamment dans le cadre du renouvellement du Parlement de Catalogne, convoqué de façon anticipée par le Gouvernement espagnol pour le 21 décembre 2017, alors même que les principaux dirigeant/es de son opposition catalane étaient, de fait, empêchés d'y participer.

Ces 9 prisonniers sont accusés de rébellion et malversation et encourent jusqu'à 25 ans de prison. Cependant, pour être évoqué, le motif de "rébellion" implique en droit espagnol le recours à la violence alors que les personnes mises en cause - tout comme la population catalane - ont érigé la non-violence comme principe même de leur action. Quant aux malversations incriminées (utilisation de fonds publics pour matériel de vote), elles semblent impossibles du fait de la gestion directe par Madrid du budget catalan à cette période.

Tous les prisonniers sont accusés d'avoir participé à la réalisation d'un référendum d'autodétermination en Catalogne, le 1er octobre 2017. Or, la loi organique espagnole du 22 juin 2005 a retiré de son code pénal le délit d'organisation ou de promotion d'un scrutin. Dans toute Démocratie, nul ne peut être inquiété pour un acte qui n'était pas condamnable au moment où il a été commis.

La décision du référendum faisait suite à de longues années de déni de dialogue par le pouvoir central sur des demandes du Gouvernement et du Parlement catalan, en particulier sur le nouveau statut d'autonomie. Ce statut qui avait été approuvé par les plus hautes instances catalanes et espagnoles en 2007 n'a cessé d'être remis en cause par le PP, Partido Popular, depuis 2010, le vidant de sa substance et provoquant une crise sans précédent. Le pouvoir central a également interdit la consultation référendaire. Qu'ils aient été pour ou contre l'indépendance, 80°/o des citoyens catalans voulaient voter pour légitimer l'une ou l'autre des options. La tenue de cette consultation faisait partie du mandat pour lequel avaient été élus leurs représentants aujourd'hui emprisonnés. Ceux-ci sont donc en détention préventive depuis plus d'un an, pour avoir permis que les citoyens puissent s'exprimer sur la question de l'autodétermination.

Il ne s'agit pas ici de se prononcer pour ou contre l'indépendance de la Catalogne, nous n'avons aucune légitimité à le faire. Pour autant1 appartenant à la même Eurorégion que la région catalane, nous ne pouvons donc en tant que Région Occitanie nous détourner de ce qu'il se passe en Catalogne.

Au nom de la Démocratie, le Conseil Régional réuni en Assemblée Plénière ce jour:

  • Réaffirme son plein soutien au respect des Droits fondamentaux, en tous lieux et toutes circonstances ;
  • Rappelle que l'ensemble des pays de l'Union Européenne, dont l'Espagne, ont fait leur la Charte des Nations Unies qui met en exergue dès son article premier le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ;
  • Affirme qu'en Démocratie faire acte de vote non violent est un droit et non un délit
  • Salue le sang-froid et la solidarité dont ont fait preuve la population catalane et ses représentants malgré les provocations et les violences ;
  • Émet le souhait que les solutions politiques et démocratiques soient privilégiées aux choix judiciaires et répressifs, par le pouvoir central en Espagne à propos de la crise catalane, et qu'à ce titre les prisonniers et exilés retrouvent leur liberté pleine et entière ;
  • Demande qu'un mécanisme de médiation soit rapidement mis en place au niveau européen en vue de dégager les voies et moyens de restaurer une vie pleinement démocratique en Catalogne.
 

Conseil Régional Occitanie

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Gérard Mayen (né en1956) est journaliste, critique de danse, auteur. Il est titulaire d'un master 2 du département d'études en danse de l'université Paris 8 Saint-Denis-Vincennes. Il est praticien diplômé de la méthode Feldenkrais. Outre des chroniques de presse très régulières, la participation à divers ouvrages collectifs, la conduite de mission d'études, la préparation et la tenue de conférences et séminaires, Gérard Mayen a publié : De marche en danse dans la pièce Déroutes de Mathilde Monnier (L'Harmattan, 2004), Danseurs contemporains du Burkina Faso (L'Harmattan, 2005), Un pas de deux France-Amérique – 30 années d'invention du danseur contemporain au CNDC d'Angers(L'Entretemps, 2014) G. Mayen a longtemps contribué à Midi Libre et publie maintenant de nombreux articles pour"Le Poing", Lokko.fr ... et Altermidi.