UNE MISSION POUR GAZA


Le 30 Septembre 2023 quatre personnes ont pris l’avion à Marignane pour Le Caire, le 1er Octobre 2023 trois personnes l’ont pris à Paris pour la même destination. Ces 7 personnes, des solidaires, un député La France Insoumise et son assistante parlementaire, vont ouvrir une fenêtre sur Gaza, permettant d’en débattre au Parlement et de témoigner une solidarité active auprès des Gazaoui·e·s.


 

05 Octobre 2023

Une attente qui se transforme en une situation surréaliste

 

Photo brigitte Clallande

 

Nous devions rentrer à Gaza, nous n’avons pas pu, mais dans la nuit c’est Gaza qui est venu à nous avec l’arrivée à 6h du matin du correspondant palestinien de l’Union Juive Française pour la Paix, Abu Amir Mutasem, coordinateur des projets paysans de cette association à Gaza. Il a fait d’une pierre deux coups : prendre le statut d’accompagnateur de sa tante très malade qui devait venir au Caire se faire hospitaliser, et nous rencontrer pour nous soutenir dans notre désarroi ! Nous avons profité de sa venue pour avoir un échange en détail, principalement avec Thomas Portes, sur la situation de la société civile à Gaza aujourd’hui, les impossibles passages de la frontière et la place de la Palestine à l’Assemblée nationale française.

 

Photo Brigitte Challande

 

Tout le monde nous attendait car c’est effectivement la première fois depuis 2014 que des solidaires accompagnés d’un député pouvaient se rendre à Gaza, depuis si longtemps que le passage est fermé.

À Gaza la situation empire, ou à minima fluctue : huit heures d’électricité par jour, très peu de matériel et marchandises peuvent rentrer par le seul point de passage de Karem Abu Salem, manque de ciment, de carburant, de machines pour l’eau, de matériel pour les pêcheurs, pour les hôpitaux, de médicaments ; tout cela rentre de façon aléatoire quand les Israéliens veulent bien laisser passer. Abu Amir qui coordonne des projets paysans depuis sept ans (dont nous parlerons mieux et en détail dans un prochain article) nous explique que la situation des agriculteurs ne cesse de se dégrader et que beaucoup de personnes veulent quitter Gaza, notamment les jeunes qui partent vers la Turquie ou la Grèce…

Dans les projets paysans il y a trois axes : l’irrigation, la pépinière de légumes biologiques pour sortir d’une agriculture trop polluante, et des workshops pour les paysans où l’essentiel des ateliers se déroule autour d’un soutien psychologique pour les aider à ne pas baisser les bras et lutter contre l’envie de s’enfuir, phénomène nouveau ces dernières années. Dans les trois villages concernés par ces projets, qui totalisent 30 000 habitants, 850 jeunes se sont enfuis de Gaza récemment.

À l’écoute du récit de ces projets, Thomas Portes demande s’il est aisé d’avoir comme objectif une agriculture biologique dans une telle situation économique et sociale. La réponse est une évidence : justement dans une situation désespérée, c’est difficile mais nécessaire de donner aux consommateurs ce que chacun.e a envie de manger. Ensuite la terre est malade, l’eau est empoisonnée, on a pas le choix on ne peut plus continuer avec le « tout chimique », d’autant que le nombre de cancers a explosé à Gaza qui côtoie les terres agricoles et que les études montrent toutes une corrélation avec les traitements chimiques.

L’agriculture n’a plus le choix, elle doit faire la transition écologique, d’ailleurs ces projets sont en lien avec d’autres collectifs de paysans dans le monde, comme la Confédération paysanne par exemple.

 

 

Une grande partie de notre entretien a encore approfondi la question de la frontière, de ses modes de passages, de l’économie parallèle qu’elle engendre, de la complicité de l’Égypte avec l’occupant vis-à-vis de la situation indigne dans laquelle chaque palestinien.ne se retrouve quand la nécessité et la liberté de sortir ou de rentrer de Gaza s’impose. Normalement l’Égypte ne devrait fermer sa frontière que deux fois par an lors des fêtes religieuses, mais actuellement c’est une torture pour les palestinien.ne.s de s’y rendre. À Al Madia, devant le canal de Suez, il y a trois possibilités pour passer quand on a réussi à figurer sur la liste du droit de passage et que l’on a payé une somme aléatoire pour remonter sur la liste, sachant qu’elle est plus chère en été, son montant pouvant aller jusqu’à 1 500 dollars quand les étudiants rentrent et ressortent de Gaza lors des vacances scolaires.

 

Photo Brigitte Challande

 

La première c’est une file ininterrompue de taxis et de bus qui attendent le bac pour traverser — celui-ci peut être en panne et ne fonctionne pas la nuit. Bloqués dans cette attente, les sacs sont jetés dans le sable par terre, c’est la fouille, parfois les Égyptiens se servent, il est nécessaire d’improviser des toilettes qui n’existent pas, de se battre contre les moustiques et d’attendre pour manger. Le chauffeur du bus conseille même d’éteindre les téléphones, de les mettre au fond d’une poche pour qu’ils ne soient pas remarquables et subtilisables par les militaires lors des contrôles.

La seconde c’est un tunnel qui passe sous le canal où l’on monte dans des cars spéciaux réservés aux V.I.P. Le chemin n’est pas le même, il est bien balisé et agrémenté d’espaces d’attente organisés, il faudra payer une compagnie touristique qui appartient au maréchal Al Sissi pour être tranquille lors de sa traversée.

La troisième c’est le magnifique pont qui passe sur le canal, que seuls les militaires sont autorisés à emprunter car d’une voiture on pourrait lancer une bombe sur les pêcheurs qui sont dans le canal…

 

Photo Brigitte Challande

 

Abu Amir insiste sur le fait que bien que le problème en Palestine soit l’occupant, l’Égypte collabore avec Israël. Car l’Égypte pourrait ouvrir sa frontière 24 heures sur 24 mais préfère instaurer ce système qui soutient une véritable économie et permet de profiter des palestinien.ne.s en les humiliant. L’argument sécuritaire mis en avant par l’Égypte est partagé avec Israël, tous deux faisant sécurité commune et partageant l’expérience d’écraser les palestinien.ne.s. Abu Amir souligne que ces deux pays sont voisins, qu’il y a des mariages mixtes, explique que la colonisation fait son travail mais interroge l’aide que l’Égypte apporte à Israël. « C’est trop facile d’excuser les complices, on ne peut plus passer sous silence tout ce qui se passe et accepter d’être traités comme des animaux. C’est aussi grâce à une frontière fermée que le blocus tient, Israël pousse l’Égypte à ne pas donner d’autorisation pour ne pas avoir de témoins à Gaza et à la frontière. »

À la fin de notre échange — au cours duquel une petite musique qui monte en Europe et en France est évoquée, celle consistant à être qualifié d’antisémite dès que l’on critique Israël —, Abu Amir nous propose d’être plus malins et de rééquilibrer cette situation en affirmant que deux peuples peuvent vivre en paix !

Notre entrevue se conclue par la détermination d’entrer rapidement à Gaza pour acter le processus que nous avons entamé et ouvrir la voie pour d’autres missions.

Par ailleurs, à son retour Thomas Portes compte bien faire son travail de parlementaire pour que Gaza puisse aussi entrer au Parlement.

 

Brigitte Challande


 

Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.