mission pour Gaza
Photo Brigitte Challande

UNE MISSION POUR GAZA


Le 30 Septembre 2023 quatre personnes ont pris l’avion à Marignane pour Le Caire, le 1er Octobre 2023 trois personnes l’ont pris à Paris pour la même destination. Ces 7 personnes, des solidaires, un député La France Insoumise et son assistante parlementaire, vont ouvrir une fenêtre sur Gaza, permettant d’en débattre au Parlement et de témoigner une solidarité active auprès des Gazaoui·e·s. Le 2 Octobre la mission se trouve bloquée au Caire, le 7 Octobre les troupes du Hamas franchissent la frontière israélienne …


09 Octobre 2023

 

Les informations de destruction pleuvent nuit et jour et la détresse se lit sur le visage de notre ami. Nous n’arrivons plus à penser tant la situation est difficile.

Le quartier de Shujaya à l’Est de Gaza ville a été rasé par les bombardements des avions qui volent en formation, tout ce qui est à l’Est du côté de la frontière avec Israël a été évacué et au cours de la journée nous apprendrons que même les beaux quartiers, dont celui de Rimal au centre de Gaza, ont été attaqués ainsi que les universités. La population de Gaza n’a plus que les écoles de l’UNRWA pour se réfugier. Plus de 700 mort.e.s palestinien.ne.s, 1 000 maisons anéanties, plus aucun moyen de communication, le bombardement des camps, des ambulances, des mosquées, plus de 25 familles intégralement effacées du registre de l’état civil.

Le porte-parole de l’armée israélienne a annoncé que plus de 1 000 tonnes de bombes ont été lâchées sur Gaza. Cette avalanche de destruction pose une question fondamentale : que pouvons nous faire, nous le mouvement de solidarité à la Palestine ? Mettre des drapeaux palestiniens à toutes les fenêtres d’un immeuble d’habitations comme à Sevran, rétablir une parole juste sur les évènements ? Ce questionnement aboutira à une autre interrogation de la part de notre ami palestinien : « Est-ce que tout le monde a le même droit de vivre libre, comment concevoir l’égalité entre les êtres humains, et pourquoi en sommes-nous arrivés là ? » (Abu Amir)1.

Écrasé.e.s par la succession de ces massacres, nous avons attendu la venue d’Abu Jamal mokhtar — un chef traditionnel d’une grande famille qui sert d’intermédiaire avec les autorités et règle les conflits à l’intérieur de la famille au sens large — de la ville de Khuza’a où se trouvent les projets des paysans. Il a réussi à passer la frontière qui était ouverte, au péril de sa vie, accompagné par son fils qui ne savait pas lui non plus s’ils parviendraient vivants à Rafah — du côté égyptien de nombreuses ambulances attendent à la sortie du poste frontière. Deux heures avant de prendre le taxi pour l’aéroport, nous nous sommes retrouvé.e.s ensemble dans l’antichambre de l’hôtel avec beaucoup d’émotion ; Abu Jamal mokhtar nous apprenait la mort d’un de ses jeunes fils le premier jour de l’attaque.

C’est dans le détail qu’il nous a raconté l’initiative de résistance menée par le Hamas.

Personne ne savait ce qui allait se passer dans chaque zone le long de la frontière. Les combattants ont choisi 30 résistants qui pourraient passer à travers les 22 trous effectués dans la barrière de séparation entre la bande de Gaza et Israël. Avant, pendant trois heures, des hackers de Gaza formés à cet effet ont brouillé les satellites israéliens, en attaquant d’abord les compteurs électriques. Dans ce laps de temps, les résistants ont placé des bombes à l’intérieur des tours de contrôle tueuses le long de la barrière, leur permettant d’entrer. Ils ont ouvert des portes en brisant le grillage, ont avancé, les civils ont suivi et se sont dirigés vers les premières colonies pour faire des prisonnier.ière.s. Cela a été beaucoup plus facile qu’ils ne pensaient, ils n’avaient pas prévu d’aller aussi loin, l’idée consistant seulement à passer et revenir. Mais vue la simplicité de leur incursion, 1 500 résistants sont entrés dans les colonies. En une heure 22 colonies et 3 commissariats étaient maîtrisés. La faiblesse de la défense des Israéliens leur a permis tout aussi rapidement d’atteindre la première grande ville israélienne bédouine, Rahat. Deux résistants ont poursuivi mais ont été arrêtés, un a été tué. Actuellement la résistance ne contrôle plus Erez, et si elle domine encore les colonies c’est parce qu’elles regorgent de prisonniers. Le coût pour Israël de la destruction de la barrière se chiffre à 110 millions de dollars car le matériel, les caméras et la technologie de surveillance des Palestinien.ne.s sont très chers. Finalement avec le travail des hackers, il a suffit de très peu de personnes pour détruire cette technologie toute puissante.

C’est la première fois depuis 1948 qu’il y a autant de victimes civiles israéliennes malgré la puissance de leur armée, mais ce qu’Israël fait vivre à la population de Gaza et de la Cisjordanie va durer pendant des semaines au dire d’Abu Jamal — le siège de Gaza a commencé dans toute son horreur.

Désespéré, il nous raconte la destruction des terres cultivées, la perte de la récolte de cette année, l’impossibilité pour les paysans qui ne peuvent se déplacer de continuer à s’occuper de la pépinière qui va mourir cette année. La terre est ravagée mais « ils peuvent détruire tout ce qu’ils veulent nous finirons par gagner ! », persiste Abu Jamal. Nous partageons ensemble le zaatar2 et les tomates des cultures de Khuza’a avant de sauter dans un taxi, bouleversé.e.s par ce que l’avenir réserve.

Brigitte Challande


Notes:

  1. Abu Amir est le correspondant français de l Union Juive Française pour la Paix à Gaza coordinateur des projets paysans soutenus par cette association. Le 9/10/23 il est l’auteur de la déclaration suivante : Avant hier matin, le monde s’est réveillé avec la nouvelle de l’entrée de la résistance palestinienne dans les colonies entourant Gaza. Le monde a dénoncé cet acte et accusé directement les Palestiniens de terrorisme sans réfléchir aux raisons qui ont conduit à cette situation. Nous sommes des gens qui ont toujours été des amoureux pacifiques de la vie et de la paix. Mais l’occupation israélienne ne nous a laissé aucune place pour la vie, et ils n’ont respecté aucun accord ou traité. Ils ont continué à confisquer des terres, depuis 1948 à aujourd’hui, et à tuer tout ce qui est palestinien. Ils ont assiégé plus de 2,5 millions de Palestiniens depuis 2006 et ont fait de la bande de Gaza une immense prison. Des familles entières retirées du registre d’état civil pendant des années à cause du bombardement des maisons sans avertissement. Les Palestiniens n’ont pas cherché la guerre, mais les Israéliens n’ont laissé aucune chance aux Palestiniens de vivre. Les Palestiniens ont appelé à tant de reprises le monde à arrêter l’agression d’Israël et à briser le blocus de la bande de Gaza. Mais le monde était sourd et muet il tournait le dos aux Palestiniens, indifférents à leurs souffrances. Ce qui s’est passé aujourd’hui devait être attendu, sachant l’injustice envers les Palestiniens et la marginalisation continue de leur société. La communauté internationale est ainsi principalement responsable de l’effusion de ce sang des deux côtés. La communauté internationale doit mesurer les conséquences de ce qui est en train de se passer, et changer sa stratégie pro-Israël.
  2. Le za’atar désigne l’hysope (plante condimentaire) en Palestine, en Israël, au Liban, en Syrie et en Jordanie.
Brigitte Challende
Brigitte Challande est au départ infirmière de secteur psychiatrique, puis psychologue clinicienne et enfin administratrice culturelle, mais surtout activiste ; tout un parcours professionnel où elle n’a cessé de s’insérer dans les fissures et les failles de l’institution pour la malmener et tenter de la transformer. Longtemps à l’hôpital de la Colombière où elle a créé l’association «  Les Murs d’ Aurelle» lieu de pratiques artistiques où plus de 200 artistes sont intervenus pendant plus de 20 ans. Puis dans des missions politiques en Cisjordanie et à Gaza en Palestine. Parallèlement elle a mis en acte sa réflexion dans des pratiques et l’écriture d’ouvrages collectifs. Plusieurs Actes de colloque questionnant l’art et la folie ( Art à bord / Personne Autre/ Autre Abord / Personne d’Art et les Rencontres de l’Expérience Sensible aux éditions du Champ Social) «  Gens de Gaza » aux éditions Riveneuve. Sa rencontre avec la presse indépendante lui a permis d’écrire pour le Poing et maintenant pour Altermidi.