Le mouvement No Tav lancé dans les années 1990 proteste ce week-end contre la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin, jugée néfaste pour l’environnement.


 

 

Le mouvement « No Tav »1 se bat depuis 1991 contre le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin. Ses opposants considèrent que ce projet est trop polluant et trop coûteux. Ils manifestent les 17 et 18 juin en vallée de Maurienne (Savoie). Le dossier suscite un regain de tensions entre partisans et opposants alors que le ministère français des Transports a commencé à chiffrer le coût des 150 kilomètres de voies d’accès au tunnel en cours de creusement sous les Alpes.

La manifestation, annoncée de longue date par une dizaine d’organisations dont les Soulèvements de la Terre — un mouvement vis-à-vis duquel Gérald Darmanin avait évoqué son souhait de dissolution — entend dénoncer les impacts écologiques, notamment sur la ressource en eau, de ce chantier « ferroviaire titanesque, impliquant le forage de 260 kilomètres de galeries à travers les massifs alpins », souligne l’Express.

 

 

Vieux de plusieurs décennies, le projet de LGV Lyon-Turin vise à réduire les transports de marchandises en camion au profit du rail et à diviser par deux le temps de trajet pour les passagers, en mettant Turin à deux heures de Lyon.

« No Tav » est né dans la vallée alpine de Suse, la partie occidentale du Piémont, à l’ouest de Turin, en Italie. Ce mouvement de contestation spontanée, proche de la mouvance autonome, s’était levé à la suite des premières réunions publiques sur le projet ferroviaire controversé. « Ce mouvement a ceci de particulièrement intéressant que, du fait de sa géographie, la “dimension villageoise” du territoire y est devenue un facteur d’auto-organisation locale », analyse le chercheur Julien Allavena dans son livre L’hypothèse autonome, paru aux éditions Amsterdam.

Depuis la signature du traité franco-italien, en 2001, qui proposait de construire une ligne ferroviaire à « grand gabarit » pour ouvrir le Piémont à l’Europe, les protestataires n’ont cessé de s’ingénier à empêcher le début des travaux.

 

Erri De Luca à la sortie du tribunal-de Turin le 19 octobre 2015.

 

Le mouvement « No Tav » est notamment soutenu par l’écrivain italien Erri de Luca. Poursuivi en 2015 par la justice italienne pour « incitation à la délinquance » l’écrivain avait redit sa conviction2 avec courage, compte tenu que le procureur avait requis huit mois de prison ferme. Rappelant qu’il était poursuivi « au nom d’une loi datant de 1930 » [à l’époque de l’Italie fasciste], et répétant presque mot pour mot les propos qui lui valaient d’être jugé : « La ligne prétendument à grande vitesse en val de Suse doit être freinée, entravée, donc sabotée pour la défense de la santé, du sol, de l’air, de l’eau d’une communauté menacée. » 

« Le délit n’est pas constitué », a expliqué la juge au cours de la dernière audience de ce procès symbolique, sous les vivats et les cris de joie des partisans de l’auteur qui est ressorti libre. Près de dix ans plus tard, le contexte politico-économique et l’état de la nature ont évolué et le rapport de force se cristallise.

 

Notes:

  1. TAV : Treno alta velocita en italien, l’équivalent du TGV français.
  2. Erri de Luca s’en explique dans son essai La parole contraire publié chez Gallimard. « Je revendique le droit d’utiliser le verbe “saboter” selon le bon vouloir de la langue italienne. Son emploi ne se réduit pas au sens de dégradation matérielle, comme le prétendent les procureurs de cette affaire. Par exemple : une grève, en particulier de type sauvage, sans préavis, sabote la production d’un établissement ou d’un service. Un soldat qui exécute mal un ordre le sabote. Un obstructionnisme parlementaire contre un projet de loi le sabote. Les négligences, volontaires ou non, sabotent. L’accusation portée contre moi sabote mon droit constitutionnel de parole contraire. Le verbe “saboter” a une très large application dans le sens figuré et coïncide avec le sens d’“entraver”. Les procureurs exigent que le verbe “saboter” ait un seul sens. Au nom de la langue italienne et de la raison, je refuse la limitation de sens. Il suffisait de consulter le dictionnaire pour archiver la plainte sans queue ni tête d’une société étrangère. J’accepte volontiers une condamnation pénale, mais pas une réduction de vocabulaire. »