Marqué par une joie ambiante de rires et sourires partagés, la biennale C’est pas du luxe ! , festival multiculturel aux ambitions solidaires, a pris les 22, 23 et 24 septembre derniers ses quartiers hauts en couleurs à Avignon pour ouvrir toutes les portes de la culture aux personnes en situation d’exclusion.


 

Impulsée par la Fondation Abbé Pierre, les cavaillonnais centre d’accueil Le Village et la scène nationale La Garance, et désormais co-organisé par Emmaüs France et la ville d’Avignon qui l’accueille depuis de 2 ans, la dernière édition de C’est pas du luxe ! aura autant étonné que détonné. Aussi généreux que les 800 professionnels et amateurs mobilisés sur les 3 jours, le festival propose depuis maintenant 10 ans aux personnes en situation d’exclusion de (re)prendre leurs places d’acteurs culturels, tant sur le devant de la scène que dans le public. Une occasion unique de « redonner la confiance et le goût de la vie » aux cabossés, confie Patrick Chassignet de la Fondation Abbé Pierre.

Le principe : provoquer la rencontre entre monde culturel et monde de la galère, par le biais de partenariats, stages, ateliers ou rencontres avec des professionnels de la culture et encadrés par les travailleurs sociaux des quatre coins de la France envieux de soumettre un objet artistique au comité de sélection, puis présenté au public lors du week-end patiemment préparé sur du long terme. Une proposition qui rencontre du succès au vu des soixante propositions menées par autant d’artistes et acteurs culturels, mobilisant pour ce cru 2022 un total de 800 personnes accueillies dans 33 lieux de la ville, intra et extra muros, et hébergés par des bénévoles. Côté public le succès est également au rendez-vous, avec notamment un millier de danseurs ou non-danseurs au bal chorégraphié et festif du samedi soir entre les murs de la FabricA1, et en tout près de 3 500 spectateurs à fouler les pavés d’Avignon.

 

La balade des gens joyeux

 

Le centre névralgique, c’est le square Agricol-Perdiguier bordant la principale rue de la République avignonnaise, où les spectateurs obtiennent le sésame qui ouvre les portes à 3 jours de riche programme : le bracelet vert à prix libre. Mais à bien y regarder, avec ou sans bracelet ici tout le monde est tout de suite plongé dans l’ambiance, inclus de fait dans cette bulle née de l’exclusion et faisant fi des différences, de toutes les différences. Tout est pour tout.e.s et tous les goûts : ateliers banderole porte-parole, sérigraphie sur sacs de coton, costumes issus du recyclage de filets de fruits devenus tendances avignonnaises Instagram et Tik Tok des adolescents aux couronnes fluos ; crieurs de rue qui délivrent des messages glissés dans la boîte prévue à cet effet, cabine téléphonique tirant l’oreille curieuse vers les voix touchantes, drôles et revendicatrices de Radio Galère, pancartes à messages et fonds colorés suspendues entre les arbres, exposition croisée entre deux photographes professionnel et amateur autour de la vie de la rue captée « sans clichés »… Il y en a partout !

 

Les réflexions sur le festival, libres au vent dans le square Agricole-Perdiguier. Photo Alice Béguet

 

À quelques pas de là, la populaire place des Corps Saints est décorée d’affiches aux couleurs de l’officielle, apposées au feutre noir de mots jaillis des cœurs des visiteurs invités à faire la leur, pendant que d’autres scrutent une pluralité de « Mètres carrés » imaginaires installés dans les murs de l’église. De l’autre côté de la rue de la République, c’est la prestigieuse Collection Lambert qui a ouvert gratuitement (c’est assez rare pour le souligner) ses portes à « Notre Musée », visible jusqu’au 29 janvier prochain, poignants dialogues entre les objets fétiches de résidents des Pensions de Famille de Nîmes, Montpellier, la Grande Combe, et d’usagers des associations vauclusiennes la Passerelle2 et Le Village3, et les œuvres d’artistes internationaux issus des fonds de la collection ainsi que de ceux du Mucem (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) et de l’Hôtel d’Agar4. Ailleurs, les théâtres le 11, des Halles, du Balcon, Benoît XII, de l’Entrepôt, le Cloître Saint Louis ou encore le cinéma Utopia ont ouvert portes et scènes aux comédiens, musiciens, lecteurs, films, pendant qu’à Rosemerta, centre d’accueil de familles en exil et mineurs isolés autogéré, les chorales Tous & Go et La Cloche en Chantée ont partagé avec allégresse et émotions des chansons reprises par un public conquis. Entre autres impromptus et lieux : la mobilisation est large !

 

« Faut rigoler avant que le ciel nous tombe sur la tête »

 

Trois jours c’est presque trop court pour profiter de l’ensemble des propositions artistiques et des instants de partage d’œuvres, d’idées et de témoignages de ceux dont les voix sont englouties sous les flots meurtriers de l’exclusion sociale. Hors du temps et de ses considérations politiques froides, ici on peut le dire, la dignité pourtant inaliénable aux droits humains fondamentaux a été récupérée : on se fait considérer pour autre chose que pour les cicatrices de vie qui clouent au bitume, on se lâche, on s’essaye à ce que d’ordinaire on s’interdit, on se regarde dans les yeux puis dans la même direction, on souffle, on s’enrichit, et on profite avec force de l’opportunité rare d’interruption temporaire de la soumission d’accès aux arts et à la fête aux seuls moyens financiers. On se réapproprie le droit d’être quelqu’un d’estimable, en somme.

Photographes et cadreurs professionnels pour visuellement couvrir l’événement, journalistes qui participent de leurs plumes à l’élaboration du billet-résumé de la veille, capteurs des sons qui font le festival, chacun.e aura apporté l’énergie qu’il peut à ce projet de dépassement des stéréotypes cloisonnant de la pauvreté. Ne serait-ce qu’être là aura été suffisant à faire, le temps d’un week-end, société autant qu’Humanité. Une expérience hors du commun et du temps obscur d’une France aux 4,1 millions de mal-logés (rapport annuel Fondation Abbé Pierre), pour rebattre et redistribuer les places bien inégalitairement attribuées et ouvrir une fenêtre de possibles et d’espoir de cruciale solidarité, nécessaire aux sombres aujourd’hui et lendemains climatiquement et socialement promis à la violence.

Alice Béguet

 

 

Encart de présentation de l’exposition « Notre musée », à la Collection Lambert. Photo Alice Béguet

 

Un atelier sérigraphie, chacun.e repart avec le sac de toile qu’il a encré. Photo 1 Alice Béguet

Notes:

  1. La FabricA est un lieu de répétition, de résidence pour les artistes, et une salle de spectacle.
  2. L’Association Passerelle à Avignon accueille et accompagne avec humanité des hommes et des femmes en difficulté vers une meilleure autononomie, visant ainsi à améliorer de façon durable leur situation personnelle et professionnelle.
  3. L’association Le Village à Cavaillon gère une résidence sociale, un chantier d’insertion, un accueil de jour, un accueil immédiat et une référence RSA.
  4. L »anti-musée » abrite une incroyable collection, fruit de plus de 27 ans de recherches assidues et de sauvetages de trésors voués à l’oubli ou à la destruction. Unique en son genre, cet hôtel particulier propose de découvrir des objets d’archéologie, d’ethnologie, d’art contemporain, avec de nombreuses interventions d’artistes.
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Rédactrice passionnée de culture. De la gastronomie, qu'elle exerce au travers de son deuxième métier de cheffe et qu'elle traitera à l'écrit dans les pages du Figaro (ponctuellement) ainsi que sur son blog de critique, la Tambouille d'Alice, aux arts sonores et visuels, jusqu'au théâtre sur lequel la rédactrice sans carte de presse a écrit nombre de critiques dans le cadre du Festival d'Avignon durant quelques années de piges au Dauphiné Libéré. Curieuse des parcours et modes de vie de tous les êtres vivants, inquiète des inexorables défis climatiques et sociaux, soucieuse d'en relayer des solutions citoyennes.