Cette année, les Rencontres Déconnomiques d’Aix-en-Provence n’auront pas lieu, suite à la pandémie de la Covid-19. Lancées en 2012 pour offrir un espace de réflexion ouvert à tou.te.s, elles proposent une économie alternative, en réplique au cercle des économistes hégémonique et libéral, qui se réunit chaque année aux mêmes dates et lieu. Alors que ce dernier est également annulé dans sa conception initiale, il sera néanmoins accueilli par Radio France du 3 au 5 juillet 2020. Les Rencontres Déconnomiques ont donc choisi de travailler de leur côté, avec les médias indépendants pour permettre d’assurer un autre regard sur une économie plurielle face à la pensée unique du cercle des économistes.


 

Dans le cadre d’un partenariat avec les Rencontres déconnomiques, altermidi propose des entretiens écrits ou filmés avec des économistes, des spécialistes et autres éclaireurs hétérodoxes. Fonctionnaire territorial à la métropole d’Aix-Marseille-Provence, l’économiste Fabrice Aubert expose sa vision de la situation économique et de l’après confinement.

 

Interview

 

 

Est-ce que vous pourriez vous présenter et présenter votre champ d’étude ?

Je m’appelle Fabrice Aubert, j’ai 62 ans et je me revendique « économiste marxiste ». Je précise tout de suite les choses, et d’où je parle car je ne suis pas hypocrite et il n’y a pas d’économie neutre.

Entre la main invisible censée tout réguler d’en haut, versus libéral, et la « lutte des classes », versus Marx, on cherche la neutralité. N’ayant jamais rencontré le père Noël, le soir du 24 Décembre descendant dans la cheminée… Mais ayant appris l’Histoire, de Spartacus à 1936 (Les congés payés) et 1968 (4e semaine de congés payés), je considère que l’analyse en termes de « lutte des classes » est plus proche de la réalité. Par ailleurs, les économistes ne sont pas des « sachant » mais des « ignorants » qui racontent une histoire à dormir debout.

En tant que marxiste, mon champ d’étude est très vaste et recouvre toutes les problématiques des sociétés humaines. Sur le plan économique, je m’intéresse tant à la macro économie qu’aux questions d’entreprises et de développement local du fait de mon métier, fonctionnaire territorial. Je suis souvent considéré comme ayant un avis réfléchi sur les problématiques des métropoles.

 

Qu’est-ce qui a changé depuis le confinement, d’après vous ? Notamment en matière économique…

Rien fondamentalement. Les logiques commerciales sont de retour au premier rang. Comme si la Covid-19 n’avait pas montré les imbécilités, pour ne pas dire plus, du « libre commerce ». L’austérité va continuer à s’appliquer sur le monde du travail et les services publics. Et le robinet du financement va « ruisseler » à nouveau sur le Capital, expliquant actuellement la hausse des bourses alors que dans le même temps les  plans de destruction d’emplois continuent (Alcatel, Renault, Sanofi, Luxfer, etc.).

 

Que pensez-vous du pacte de transition écologique ? Est-on prêt ?

Rien, il faudrait l’étudier à fond et je n’ai pas eu le temps. Sans doute plein de bonnes intentions comme l’enfer en est pavé, dit-on. Mais l’acte majeur, décisif, incontournable n’y est pas. Il faut sortir du « libre échange » qui fait de chaque bien une marchandise répondant à une demande. Laquelle est construite sur la logique du profit maximum, selon la loi de « l’offre et de la demande » qui fixe un prix et ne répond en rien aux besoins des peuples. Il faut aussi rompre avec les institutions du tout marché de l’Europe, du « marché libre et non faussé » que sont les régions et les métropoles.

Ce sont des relais institutionnels territorialisés du « capitalisme mondialisé ». Il faut retrouver les racines de la démocratie de la République — communes et départements — qui furent mis au premier rang de la lutte contre la Covid-19. L’abstention massive électorale est d’abord la conséquence de ces logiques de marché qui supplantent la démocratie, le pouvoir du peuple.

 

Le confinement a un impact sur l’économie. Que pourrait-on imaginer comme perspectives ?

Deux solutions. On repart sur les mêmes objectifs et les mêmes critères qu’avant la crise — profit, rentabilité, compétitivité, libre échange. Et on se dirige vers la plus grande et grave crise écologique, sociale, économique et financière de toute l’Histoire de l’humanité.

On rompt avec les anciens critères et l’ancienne philosophie, soit le libéralisme, et on reconstruit la société sur le local avec une réponse aux besoins prioritaires : eau, nourriture, logements, santé, éducation, culture.

Alors, vu les 5 millions de chômeurs soit une situation d’une débilité profonde liée aux seuls critères du capitalisme, on fait immédiatement les 32h, la retraite à 60 ans, l’égalité salariale homme-femme absolue. On taxe les flux financiers et on refait de la monnaie, l’outil de financement commun des besoins sociaux, etc. Et là, au-delà d’une révolution ponctuelle, on « bifurque », comme le dit justement Mélenchon.

 

Qu’auriez-vous à dire sur la responsabilité des médias dans ce système ?

C’est devenu la première peau du système. Les médias dominants sont possédés à 90 % par 9 milliardaires.

Comme les médias perdent de l’argent, je ne vois pas des capitalistes, dont l’objectif est de gagner de l’argent, poursuivre le financement des journaux, sauf si en définitive, cela permet de les protéger — les milliardaires. L’argent dispensé est donc de l’argent investi dans la guerre idéologique dont l’objectif est de faire en sorte que les « citoyens » votent bien. Et pour l’instant, c’est le cas…

Ça se voit encore cette année avec la parole donnée par Radio France aux seuls économistes de marché, mise en avant juste pour justifier le système et sa reproduction.

 

Propos recueillis par H.B.

 


Malgré leur demande d’être présents sur les ondes publiques de Radio France, les Rencontres Déconnomiques n’ont pas reçu de réponse.

Les déconnomistes proposent en outre, de se mettre à l’écoute de Radio France et d’envoyer les remarques, indignations ou colères à https://deconnomistes.org/2020/06/21/operation-radio-france/ à la rubrique « Rejoindre la discussion », au bas de la page. Les Déconnomistes : https://deconnomistes.org  https://www.facebook.com/deconnomistes/


 

H.B
Journaliste de terrain, formée en linguiste, j'ai également étudié l'analyse du travail et l'économie sociale et solidaire. J'ai collaboré à différentes rédactions, recherches universitaires et travaillé dans divers domaines dont l'enseignement FLE. Ces multiples chemins ailleurs et ici, me donnent le goût de l'observation et me font aimer le monde, le langage des fleurs et ces mots d'André Chedid : «Cet apprentissage, cette humanité à laquelle on croit toujours».