Le dimanche 21 avril, l’Arche de la médiathèque est de long en large encombrée de bicyclettes, dont les mieux équipées — avec sacoches et paquets volumineux — viennent de Castres, la ville de départ du Cycloretour1, le 13 avril dernier, qui a fini sa course à pédales à Toulouse en quatre étapes dans des villages marquant le tracé de l’autoroute 69 reliant Castres à Toulouse pour dénoncer un projet inutile et nuisible au vivant2.

Matthieu est venu en famille depuis son petit village tarnais de Saint-Sulpice-la-Pointe. Son vélo relie en traction celui de Siina, sa fillette de 6 ans, à côté sur son cyclo son autre fille, Lumi (signifie neige en finnois) 9 ans, et plus loin la maman Heini sur son deux-roues. « J’ai pas envie d’une nouvelle autoroute qui passe près de chez moi, ça va juste rajouter des voitures, en 2024 on peut faire autrement. À vélo, en train et en bus, c’est beaucoup mieux », témoigne l’artiste marionnettiste. Les quatre ont apprécié les pauses dans les différentes communes, car ils ont pu régaler le public de la magie de leur art, lui avec ses marionnettes, elle au moyen d’acrobaties aériennes.

La veille, c’est la ville de l’Union qui accueillait les cyclistes avec ses Olympiades, ses spectacles, ses ateliers et son concert de la Vespa Cougourdon Ourchestra pour terminer en beauté le périple.

Une grimpeuse, au keffieh solidaire, déploie une banderole : « Ni A69 Ni Patriarcat ZAD partout », le message est limpide comme le ciel toulousain printanier. On peut lire sur de nombreux tee-shirts la marque de fabrique de La Voie est libre.

 

Ovations pour les cyclistes qui imaginent un avenir désirable

 

Tout ce monde n’a plus qu’à traverser l’esplanade pour être joyeusement honoré, sur les ramblas jauréssiennes, où de part en part se pressent les Toulousain.e.s qui applaudissent ces résistant.e.s de la première heure, défenseur.e.s de la nature, des écureuils, des arbres ; et de la vie tout simplement.

Il y a là des syndicalistes : CGT, SUD, des militant.e.s de partis : le NPA, les Verts, des député.e.s de la France insoumise : Clémence Guetté, François Piquemal, Andrée Taurinya (Loire), Hadrien Clouet, Anne-Stembach-Terrenoir, Christophe Bex, Karen Érodi. On entend la célèbre chanson des Gilets jaunes en version adaptée : « À la terre et aux paysans, même si Delga ne veut pas, nous on est là. » La batucada de Solidaires rythme la ola de bienvenue. « Sauvons nos arbres », dit, si justement, le Groupe national de surveillance des arbres. Un groupe de jeunes, passe-montagne sur le visage à la manière des Zapatistes, déclare en banderole : « ZAD Partout ». Des dizaines de voix clament : « No Macadam ». Un calicot vise juste : « Justice sociale et environnementale ».

Sur les boulevards de la Ville rose les branches des platanes remarquables protègent les têtes des rayons du soleil, mais Laura qui porte sur sa poitrine la petite Cathy, à peine un an et un mois, est plutôt en quête de soleil, car sous la tente le matin la température était de zéro degré. Oui, cette famille a aussi pédalé depuis Castres, avec ses autres membres, Iris, 3 ans, et Pierre, le papa. « Le parcours a été super bien organisé grâce à un travail collectif, un super bon accueil à toutes les étapes », raconte Laura souriante.

Une pancarte annonce la couleur : « A69, parfum de dictature coloniale, illégalité, conflits d’intérêts, mensonges, répression ». Une autre : « L’eau pour la vie pas pour les profits » de l’association Eau Secours 31 met en évidence le pompage de la nappe phréatique illicite pour le chantier de l’A69 contribuant à la pollution des sols. Une plainte environnementale auprès du Procureur de la République est déposée depuis le 18 avril pour dénoncer les infractions à la Loi sur l’eau3. Au total, cinq recours sur le fond ont été déposés par les opposant.e.s et sont en attente de jugement.

 

« Ils ont du béton, on a la dalle »

 

« A69 ils ont du béton, on a la dalle », l’ironie des Gilets jaunes est imparable, alors même que Rémi Fraisse4 n’est pas oublié et sa mort pas pardonnée. Entièrement vêtues de rouge et de noir, silencieuses, un des porte-paroles d’Extinction rébellion explique : la couleur pourpre symbolise « le sang, la colère face à l’existence » tandis que la couleur ébène représente « l’artificialisation des terres ».

C’est une manifestation bien sportive, une gigantesque banderole accrochée en largeur entre deux platanes indique : « Pierre Fabre actionnaire Jean Terlier tu laisses faire »5. Flottent au vent deux drapeaux palestiniens pour signifier qu’on ne veut pas plus de la guerre qui détruit des vies que du bitume contre le vivant imposé au nom du “fric”. Plus on approche du monument aux morts, et plus monte et monte l’invitation tumultueuse : « Ne nous regardez pas, rejoignez-nous ! » et « No Macadam ».

Le cortège en résistance enfile les allées du résistant toulousain François Verdier puis contourne le jardin du Grand-Rond où il y a foule sur le petit pont pour immortaliser les quelques 5 000 manifestant.e.s qui disent qu’une autre voie est possible. Encore une note humoristique tenue à deux mains : « À 19 euros même le péage fait demi-tour » sur les allées Jules Guesde où le pollen des platanes répandu par le vent en fait éternuer plus d’un.e.

Au bout des allées s’érige le Palais de justice, rebaptisé sous ma plume Palais de l’injustice. Jean Olivier, du Collectif toulousain contre l’A69, remarque que le juge a tout le dossier entre ses mains et le pouvoir de faire arrêter les travaux. Un autre se félicite du très bon travail réalisé par les journalistes d’investigation de Radio France sur le dossier de l’A69 : « Conflits d’intérêts, opacité financière, etc. Dans les coulisses du projet controversé de l’A69 ».

Une jeune femme prend la parole : « Je vais avoir 18 ans, ça m’énerve ! J’espère que c’est la dernière manif’, que l’A69 ne passera pas, qu’on va gagner ! ».

Piedad Belmonte

 

Photo Éric Lerbret

Notes:

  1. En novembre 2023, l’initiative citoyenne « Une autre Voie » s’est fait connaître par le Cyclotour, un convoi d’une trentaine d’artistes, militant.e.s, cyclistes qui ont arpenté, pendant cinq jours, dans l’autre sens les territoires afin de montrer aux pouvoirs publics et aux habitant.e.s que d’autres solutions et alternatives existent et sont possibles face à une autoroute à contre-sens. Un événement festif, convivial et familial mettant en avant les mobilités douces, les interactions sociales avec un focus sur la culture via des spectacles itinérants. Donc, 2024, place au Cycloretour : loin du passage en force de l’A69, la population engage des propositions pour mieux vivre dans le bassin Castres-Mazamet et dans la vallée du Girou et de l’Agoût.
  2. Neuf jours sur un parcours de 67 kilomètres jalonné de quatre étapes dans des communes proches du tracé autoroutier et une pause un jour sur deux pour échanger sur le projet et sur la lutte, les chantiers participatifs, etc. Étape 1 : Castres-Saint-Germain, 22km. Étape 2 : Saint-Germain-Loubens, 30km. Étape 3 : Loubens-Verfeil, 20km. Étape 4 : Verfeil-L’Union, 18km. Étape 5 : L’Union-Toulouse, 7km.
  3. Trois associations ont porté plainte : Eau Secours 31, France Nature Environnement et les Amis de la Terre Midi-Pyrénées.
  4. Le jeune militant écologiste avait été tué par le tir d’une grenade offensive lancée par un officier de gendarmerie lors d’affrontements avec les forces de police (gendarmes et CRS) dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014. Les manifestant.e.s s’opposaient au barrage de Sivens dans le Tarn. Depuis, la responsabilité de l’État avait été reconnue mais pas celle des forces de l’ordre.
  5. Favorable à l’A69, le député Renaissance du Tarn, Jean Terlier, préside la commission d’enquête parlementaire sur le montage juridique et financier de l’A69. À noter que son épouse est cadre dans l’entreprise P. Fabre.
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Passée par L'Huma, et à la Marseillaise, j'ai appris le métier de journaliste dans la pratique du terrain, au contact des gens et des “anciens” journalistes. Issue d'une famille immigrée et ouvrière, habitante d'un quartier populaire de Toulouse, j'ai su dès 18 ans que je voulais donner la parole aux sans, écrire sur la réalité de nos vies, sur la réalité du monde, les injustices et les solidarités. Le Parler juste, le Dire honnête sont mon chemin