Un master II en poche, deux amies de 24 ans se retrouvent “volontaires” en service civique. . Il transparaît au travers de leurs échanges une conscience et une maturité criante, et pourtant inhabituelle aux oreilles de leurs aînés — bien souvent sourdes… Au fil de la conversation chez l’une d’entre elles, altermidi interroge leur vécu en prenant le parti de laisser libre cours à leur dialogue.
Sur le sujet « vivre sa jeunesse », la conversation se décline en plusieurs thèmes au travers desquels ces jeunes femmes en prise avec des désirs individuels et des aspirations collectives, parfois indépendamment, souvent de concert, se racontent …
Du dogme de la performance appliqué aux jeunes
(et aux valeurs qu’ils défendent)
Pensez-vous que votre génération prend plus soin d’elle-même ?
S : J’ai l’impression que la morale prend une place collective et individuelle plus importante globalement. Par rapport à la consommation de cigarettes, d’alcool. Même la santé de son corps, le fait d’aller à la salle, de faire du sport…
O : Mais ça pour nous c’est devenu une question de marketing. On sait que parmi tous les livres qui sont publiés, le type de livre le plus rentable, c’est le livre de développement personnel.
Le développement personnel, ça date d’il y a longtemps déjà.
O : Oui mais là c’est devenu quelque chose de très… L’amour de soi-même, le respect de soi, enfin tout ça, quoi. Ça implique d’être individualiste.
S : La plupart des influenceurs y participent. Si tout le monde est en train de faire attention à soi, ça implique d’être positif, tu es sensé être plus ouvert au monde extérieur de manière bienveillante.
O : Pour moi, c’est un truc qui participe de la société de consommation où on doit prendre soin de nous. Et s’aimer soi-même ça passe par des modes de consommation qui sont bien particuliers.
S : Sous couvert peut-être d’être moins extrême, ça conduit à des extrêmes pas possibles, dans le sens où, j’avais vu par exemple que pour faire plus attention à soi, la tendance générale maintenant était de moins en moins faire la fête chez les jeunes. C’est grave, parce que faire la fête c’est surtout un moment propice à la sociabilité et au bien-être normalement. Mais en même temps c’est vrai, tu vois, si pour ton bien-être tu ne dois pas fumer, tu ne dois pas boire, tu dois faire attention à ton corps, le lendemain matin il faut que tu ailles à la salle de sport, que tu travailles et que ton objectif c’est d’être riche, tu ne vas passer toutes tes soirées à dépenser des sous et à te bourrer la gueule, tu vois. Sinon le lendemain tu ne vas rien faire, tu ne seras pas productif.
O : En fait ça a été récupéré pour des questions de productivité, ça encourage ça. On est productif, on prend soin de soi pour être efficace, performant, atteindre ses objectifs.
S : Je pense que de base ça a du bon de faire plus attention à soi et aux autres, d’être plus respectueux, d’avoir de la morale, sauf que certains messages sont tellement détournés qu’ils s’inversent. À force d’être pollué par les réseaux sociaux et les autres personnes qui t’en parlent, ça devient malsain.
O : Ça devient une forme d’anxiété et de culpabilité de pas être performant, de pas faire ce qui est sensé être le mieux pour toi, enfin ce qui est considéré comme étant bon pour toi, de pas chercher à atteindre des objectifs, de faire des choses qui sont considérées comme néfastes pour ton corps, pour toi, pour ton avenir… c’est hyper individualiste.
C’est ce que vous ressentez vis-à-vis des plus jeunes ?
O : Dans certains milieux militants, qui sont investis par des plus jeunes, mais pas que, même la question de la morale est de plus en plus présente, parce que les débats se déroulent à un niveau où vraiment on va chercher à déterminer ce qui est bien, ce qui n’est pas bien, ce qui peut être fait, ce qui ne peut pas être fait, et reprocher aux personnes de ne pas faire comme elles sont sensées faire selon des règles morales qui sont bien précises. Même beaucoup dans les milieux féministes, et par rapport à l’écologie, ce sont des modes d’appréhension empreint de culpabilisation, je trouve. Ce sont des dogmes, et ça c’est un gros problème.
S : En fait le problème aussi c’est que tu t’imposes personnellement beaucoup de choses — c’est pas toi qui te les impose à la base, j’ai l’impression que c’est d’autres gens qui t’imposent ça —, j’ai l’impression qu’au bout d’un moment tu finis par imposer la même chose aux autres personnes autour de toi. Du coup, au final, très vite t’es dans le camp ou t’es pas dans le camp.
O : Oui il y a une forme de conformisme, presque, en fait. Peut-être que c’est nous aussi.
Entrer dans la vie active, dans le marché de l’emploi comme on l’appelle, ou le système du marché, suppose d’être performant pour assurer son avenir…
O : Nous on est pas trop dans ce type d’approche.
S : À noter aussi qu’à notre âge on est à un moment assez étrange où il y a des gens qui sont encore très en mode festif et open à plein de choses, et il y en a qui commencent déjà à avoir des lourdes responsabilités. C’est aussi un moment où il y en a qui pensent à acheter leur logement, ou à avoir des enfants, ou qui en ont, et d’autres non.
O : La somme des contraintes qu’on s’impose ne dépend pas exclusivement de la somme des responsabilités qu’on a. Je pense qu’il y a des personnes qui ont beaucoup de responsabilités mais qui peuvent continuer à faire la fête de temps en temps, à avoir un rapport un peu détendu à tout ça et à chercher à aller vers l’extérieur, même si elles ont beaucoup de responsabilités et de contraintes qui leur viennent de l’extérieur. Par contre je pense qu’il y a des personnes qui n’ont aucune responsabilité et qui s’imposent des quantités de contraintes, juste parce que ça c’est bien, ça c’est pas bien, il faut être comme ça, pas comme ça.
S : Le fait d’être en couple par exemple peut amener à certaines contraintes et responsabilités. Il faut tout le temps être dans le compromis. Ou vous partez sur des bases où vous êtes totalement similaires, ou bien vous devez être dans la négociation, vous mettre d’accord, etc. Autour de moi je vois que très facilement les gens n’en ont pas envie. Du coup les couples ont du mal à perdurer, pour mille et une raisons. Est-ce le nombre de contraintes extérieures pesant sur les épaules qui font que les gens ont souvent du mal à en gérer plus dans l’intimité, ou est-ce à cause de l’individualisme qui fait barrière à l’enrichissement mutuel, qu’on n’arrive plus à gérer notre vie avec la différence ?
Recueilli par Sophie Duvauchelle