Un master II en poche, deux amies de 24 ans se retrouvent “volontaires” en service civique. . Il transparaît au travers de leurs échanges une conscience et une maturité criante, et pourtant inhabituelle aux oreilles de leurs aînés — bien souvent sourdes… Au fil de la conversation chez l’une d’entre elles, altermidi interroge leur vécu en prenant le parti de laisser libre cours à leur dialogue.
Sur le sujet « vivre sa jeunesse », la conversation se décline en plusieurs thèmes au travers desquels ces jeunes femmes en prise avec des désirs individuels et des aspirations collectives, parfois indépendamment, souvent de concert, se racontent …
L’intransigeance des termes
Rencontrez-vous des difficultés à vous faire entendre face aux dysfonctionnements de la société ?
O : Je pense qu’il y a une rupture générationnelle qui se situe au niveau des codes, des mots qui sont employés.
Les choses changent très très très vite. Aux Beaux-Arts il y avait presque que des profs’ homme qui acceptaient très mal la mise en place d’une charte par les étudiants et étudiantes contre les violences sexuelles et misogynes dans l’école. Maintenant ce sont des choses qui sont quand même beaucoup plus acquises.
S : En termes générationnels, la tendance est de se retrouver dans la position d’éduquer les personnes plus âgées. Même les femmes qui sont plus âgées, et plus rarement certaines de mon âge, ne sont pas toutes sensibilisées à ces questions. Mais en général les personnes qui sont le moins aptes à comprendre ces problèmes ce sont quand même souvent les hommes.
Concernant l’accélération du temps, quand commencez-vous à voir ce « plus de la même génération » ? Qu’est-ce qui se pose comme problème en matière d’expression ?
O : Il y a une accélération des changements due d’une part au Covid, car vivre le Covid au lycée ce n’est pas pareil que de le vivre à 23 ans, et d’autre part à l’utilisation des réseaux sociaux et des écrans ; on a grandi avec mais on a appris à les manipuler plus tard — comme de passer une heure par jour sur Facebook à 13 ans — que les jeunes de 12 ans qui passe 4 heures par jour sur TikTok. Les questions liées au genre, au sexe, à l’orientation sexuelle existaient déjà, mais je reproche une sorte d’intransigeance militante où les termes occupent plus de place que le débat de fond, bloquant ainsi le dialogue. Je n’ai pas envie de participer au débat sociétal sur ce sujet qui est beaucoup déterminé par des questions sociales, de classe, de niveau d’études.
Si sur la question des générations on peut dire qu’il y a des cloisonnements, dans quelle mesure cette réalité est-elle franchissable ? Avez-vous envie de faire le pas ?
S : On est pas totalement cloisonné : en fonction de la personnalité, de la vie, de son milieu, etc., de la personne, je développe une tolérance différente car parfois, par exemple, une personne a pu se positionner en avance sur son temps comme féministe, et bien que comparativement elle ne le soit plus du tout aujourd’hui, j’ai envie de l’encourager. Par contre, des personnes de mon âge qui tiennent des propos moins graves mais qui bénéficient d’un contexte favorable à l’éducation vont m’impatienter.
O : On mesure sa tolérance en fonction de ce que la personne a eu comme possibilité de faire, de comprendre, de ce qu’elle a vécu et dans quel contexte. Mais notre génération n’est pas la seule à avoir évolué, les personnes plus âgées profitent aussi du fait que ces questions, qui ont aussi été amenées par des personnes plus âgées que nous, remontent à la surface.
Est-ce que tous les sujets sont possibles avec des gens de n’importe quel âge ?
O : Tous les sujets sont possibles avec des gens de n’importe quel âge, mais par contre tous les sujets ne sont pas possibles avec n’importe qui.
S : Les femmes de la génération de nos parents qui divorcent vont aussi s’inspirer du contexte dans lequel leurs enfants évoluent, ou bien celles qui sont en couple vont discuter avec leur conjoint. D’autres n’ont pas l’intention de changer. L’âge n’est pas mis en cause.
O : Ces choses sont de plus en plus acceptées et de plus en plus acquises grâce à des personnes qui sont plus âgées que nous. Ces changements sociétaux s’inscrivent dans une continuité et c’est intéressant de bénéficier de leur expérience, de leur témoignage direct pour comprendre, avant que ce soit partout sur Instagram, les réseaux sociaux, la télé. On a pas du tout les mêmes termes, les mêmes clés de compréhension, mais en parlant d’une autre manière ou sous un autre angle on va être d’accord sur le sujet. Les réseaux sociaux permettent une énorme diffusion, mais c’est parce que beaucoup de personnes partagent sur le même sujet. Les réseaux sociaux te montrent ce avec quoi tu es déjà d’accord en général, par le biais d’un algorithme qui ne s’adapte pas à toi mais qui te galvanise.
Recueilli par Sophie Duvauchelle