Un master II en poche, deux amies de 24 ans se retrouvent “volontaires” en service civique. . Il transparaît au travers de leurs échanges une conscience et une maturité criante, et pourtant inhabituelle aux oreilles de leurs aînés — bien souvent sourdes… Au fil de la conversation chez l’une d’entre elles, altermidi interroge leur vécu en prenant le parti de laisser libre cours à leur dialogue.
Sur le sujet « vivre sa jeunesse », la conversation se décline en plusieurs thèmes au travers desquels ces jeunes femmes en prise avec des désirs individuels et des aspirations collectives, parfois indépendamment, souvent de concert, se racontent …
L’autoritarisme face à la dépolitisation
Comment percevez-vous le contexte politique dans lequel vous évoluez ?
O : Une dégradation. On n’a pas vu beaucoup de beaux contextes politiques depuis qu’on est nées, ni de beaux modèles non plus. J’ai quand même l’impression que globalement ça s’empire, d’année en année.
S : J’ai l’impression d’avoir toujours évolué dans des milieux critiques où les questions de justice sociale, d’inégalité sont hyper importantes, et je suis grave d’accord. Mais en même temps, je ne suis pas historienne, mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu un jour une société vraiment égalitaire quelque part. Ce qui m’inquiète surtout c’est la dépolitisation globale. À la fac les gens étaient très politisés, contrairement à leur sortie où ils deviennent indifférents, évitent le sujet, voire ont des pensées de vieux cons alors qu’ils sont jeunes. Je veux dire que des fois j’ai l’impression de passer pour quelqu’un qui essaie de rameuter les foules ce qui n’est pas du tout mon cas.
O : La plupart des personnes avec qui j’étais aux Beaux-Arts étaient d’accord avec moi ou alors plus radicales. J’étais presque gênée parfois par le fait qu’il y avait un discours politique extrêmement radical et des très hautes exigences à ce niveau-là, avec pas forcément beaucoup d’actions derrière et une forme d’intransigeance assez oppressante, mais après quand je suis sortie j’ai été choquée de voir à quel point toutes ces idées-là n’étaient pas acquises dans le monde réel. Après, je fais vraiment la différence entre les personnes qui par exemple n’ont pas forcément eu le temps ou la possibilité dans leur vie de beaucoup s’intéresser à des questions politiques, et du coup qui sont juste pas éduquées sur ces questions-là, et les personnes qui auraient pu le faire mais qui ont quand même gardé des idées de vieux cons juste par pure flemme…
S : Ouais mais des fois il y a un non-niveau d’empathie qui est grave, en fait. Par exemple, ben typiquement la guerre : tu questionne un Français moyen, il te dit « mais c’est pas mon problème ». Je veux dire que même si tu ne t’y intéresses pas on ne te demande pas de suivre tout ce qui se passe tous les jours, mais répondre c’est pas mon problème, là y a un souci quand même. Avoir envie d’en discuter ou de s’informer si l’occasion s’y prête en tout cas.
Vous évoquez la question des idées politiques et des positionnements, qu’en est-il vis-à-vis du système ?
O : Malheureusement ce qu’on peut observer ces derniers temps c’est potentiellement un système politique qui devient de plus en plus autoritaire et de moins en moins démocratique et ça c’est un gros problème. Et puis aussi, à côté de ça, un basculement dans le sens où, quand on étaient petites, la gauche c’était le PS et la droite c’était le RPR puis l’UMP, maintenant ça fait quand même deux mandats et bientôt un troisième qu’on a plus de gauche. Le leader de la seule gauche qui tienne tient quand même des propos super problématiques par certains côtés, et à côté de ça on a l’extrême droite et Renaissance qui se présente comme quelque chose de libéral et centriste, mais qui en fait a des comportements extrêmement autoritaires et pas du tout démocratiques. Du coup c’est pas très encourageant, quoi.
S : En réalité c’est représentatif des gens qui sont d’accord et tiennent des propos extrêmes, et on ne sais plus si ça vient d’au-dessus ou si ça vient d’en-dessous. C’est devenu normal de dire n’importe quoi ou de tenir des propos hyper violents. Beaucoup de personnes sont extrêmes et disent que ce qu’il veulent c’est du changement. C’est pas trop le contenu qui les intéresse, ce qui les intéresse c’est de renverser les choses et de créer du chaos pour que ça change.
Quand passez-vous de vos propres opinions à la participation à l’opinion publique ?
S : Je ne vais pas forcément me démener pour participer à des actions citoyennes, je ne vais pas être initiatrice d’un mouvement, mais si il y a une manifestation qui se présente, je peux participer. On est trop entourés d’extrêmes, c’est-à-dire que par exemple dans une manifestation, soit tu peux potentiellement te faire agresser ou avoir peur des autorités, soit les manifestants sont aussi violents et tu ne peux pas non plus être totalement serein de l’autre côté. Moi en tout cas le degré ascendant de violence me perturbe. Surtout que dans tous les cas, en général c’est inefficace. J’estime qu’au niveau politique j’ai une incidence dans mes conversations et mes échanges avec mon environnement qui peut être assez large et varié, du coup j’essaie de ne pas rester dans un entre-soi, et j’aime bien discuter de ça.
O : J’ai des idées assez tranchées et assez claires sur pas mal de choses. Après je me sens un peu désinvestie et désimpliquée de la vie politique réelle parce que je n’ai pas l’impression de pouvoir avoir un impact. C’est très difficile de faire changer des personnes d’avis, et que ce soient des sujets plus liés au féminisme ou des sujets vraiment politiques, je n’ai pas envie d’éduquer des personnes.
S : Au contraire, je constate au final que tout est politique et je le rappelle aux gens qui, j’ai l’impression, l’ont complètement oublié. Ils parlent de leurs problèmes comme s’ils étaient les seuls à vivre ça ou comme si ça tombait du ciel, mais ils ne conscientisent pas. Quelquefois j’aime bien leur dire : « ça c’est une conséquence de ça, fait les liens, quoi, parce comme ça, déjà t’en a conscience et tu fais les choses en connaissance de cause, et tu poses les problèmes au bon endroit aussi. »
O : J’aimerais peut-être faire du bénévolat.
S : Je vois pas le rapport entre le fait de ne pas être payé et faire quelque chose de politique.
O : Pour moi, aider des personnes à obtenir ce dont elles ont besoin pour vivre normalement, c’est politique, c’est concret.
S : Toi t’as envie d’une action concrète, où t’es active immédiatement.
O : Ouais !
Recueilli par Sophie Duvauchelle