Dans une décision troublante, le tribunal de commerce a condamné en référé le site d’information en ligne Reflets à cesser de publier des informations sur le groupe Altice. Cette décision de justice est une atteinte à la liberté d’informer et à la liberté de la presse.


 

Le site Reflets.info1 a publié une série d’articles en se basant sur une fuite massive de documents du groupe Altice2 mis en ligne par des hackers. Le groupe de Patrick Drahi avait demandé en référé devant le tribunal de commerce leur suppression ainsi que l’interdiction pour les journalistes d’écrire à nouveau sur ce sujet. Il vient d’obtenir gain de cause. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une décision qui entérine le contournement du droit de la presse en appliquant à des articles non encore parus la loi sur le secret des affaires. Nous publions ci-dessous le communiqué du syndicat national des journalistes CGT faisant suite au délibéré du tribunal de commerce de Nanterre à l’encontre du site Reflets.info.

 


 

Communiqué du SNJ-CGT

Ainsi, la justice peut ordonner à un titre de presse « de ne pas publier […] de nouvelles informations » et le condamner à verser 4 500 euros de frais de justice, alors même qu’elle reconnaît qu’il n’a rien commis de répréhensible… C’est ce que vient de faire le tribunal de commerce de Nanterre à l’encontre du site Reflets.info, accusé par le groupe Altice de viol du secret des affaires.

Reflets.info, qui se définit comme un « journal d’investigation en ligne et d’information-hacking », a publié en septembre une série d’articles (voir ici), portant notamment sur le train de vie de Patrick Drahi, patron d’Altice (SFR, BFM, RMC…) et de sa famille.

On y apprend ainsi qu’en juin, Patrick Drahi a volé seul dans un jet privé pouvant accueillir 18 personnes, pour une facture de 69 300 €. Reflets.info fait état de « tableaux d’artistes célèbres (Picasso, Chagall, Delacroix, Kandinsky, Dubuffet, Giacometti, la liste est très longue), des voitures de luxe en pagaille, des voyages en jets privés à gogo, des maisons, des appartements, des donations aux enfants en centaines de millions, des paiements d’un montant astronomique alloués à certains collaborateurs… » Il écrit également que « Lina, la femme de Patrick Drahi, s’est offert chez Sotheby’s un diamant de 5,29 carats pour 2,2 millions de francs suisses ».

Ces articles se basent sur des données récupérées par le groupe de hackers Hive3, qui en a publié une partie, après le refus d’Altice de payer une rançon.

L’ordonnance du tribunal de commerce (lire ici) souligne à raison que Reflets.info « n’est pas l’auteur du piratage » et que les informations publiées « relèvent éventuellement de la vie privée » de Patrick Drahi mais « certainement pas du “secret des affaires” au sens de la loi ». En revanche, le tribunal estime que de possibles nouvelles parutions, à partir de ces données, font courir un « dommage imminent » au groupe, pour justifier son interdiction de nouvelles parutions.

Le SNJ-CGT dénonce ni plus ni moins un acte de censure.

« L’effet voulu, c’est-à-dire un procès-bâillon pour faire taire les journalistes, est atteint. D’une part, ce procès nous coûte une fortune au regard de notre chiffre d’affaires annuel. D’autre part, nous ne pouvons plus exercer notre métier : informer les citoyens à propos de sujets d’intérêt général, afin qu’ils puissent exercer leur libre arbitre », écrit Reflets.info dans un communiqué (lire ici).

Les milliardaires patrons de presse ont décidément un problème avec le droit d’informer et d’être informé. On sait que Vincent Bolloré est également adepte des procédures bâillons (lire notre communiqué du 11 février 2021 “Bolloré perd son procès contre Mediapart”) et que Bernard Arnault a fait espionner les équipes du journal Fakir (lire la tribune du 17 février 2022, co-signée par le SNJ-CGT).

On peut également citer les poursuites en diffamation d’Avisa Partners4 contre Arrêt sur Images, Mediapart et Reflets.info — d’autres médias ont été mis en demeure —, pour avoir enquêté sur cette « société d’intelligence économique et de cybersécurité », qui fournit à la presse et à des blogs des articles et des tribunes bidon, pour défendre les intérêts de ses clients, même les moins recommandables.

Ces pratiques doivent cesser.

Voilà d’ailleurs un sujet en or pour les États généraux du droit à l’information, qu’Emmanuel Macron et le ministère de la Culture comptent lancer en novembre.

 

Notes:

  1. Reflets.info est un site web d’information et d’investigation sur le numérique et la sécurité des systèmes d’information, fondé en 2009 par un journaliste et un hacker.
  2. Altice France regroupe des activités télécoms, au travers de SFR, et médias avec des chaînes de télévisions, de radios et des titres de presse.
  3. Hive a été découvert pour la première fois en juin 2021. Il est distribué dans un modèle Ransomware-as-a-service (RaaS) [ou logiciel de rançon en tant que service] qui permet aux attaquants qui ne souhaitent pas développer l’outil malveillant, de l’utiliser comme ils le souhaitent, en échange d’une somme de l’argent (généralement sous la forme d’un abonnement ou d’un achat direct) versé à son développeur. Il s’agit d’un véritable programme d’affiliation utilisant diverses méthodes de compromis initiales.
  4. Avisa Partners est un groupe français de conseil spécialisée dans l’e-réputation, la cybersécurité, l’intelligence économique, l’investigation et les relations publiques.