Un master II en poche, deux amies de 24 ans se retrouvent “volontaires” en service civique. . Il transparaît au travers de leurs échanges une conscience et une maturité criante, et pourtant inhabituelle aux oreilles de leurs aînés — bien souvent sourdes… Au fil de la conversation chez l’une d’entre elles, altermidi interroge leur vécu en prenant le parti de laisser libre cours à leur dialogue.
Sur le sujet « vivre sa jeunesse », la conversation se décline en plusieurs thèmes au travers desquels ces jeunes femmes en prise avec des désirs individuels et des aspirations collectives, parfois indépendamment, souvent de concert, se racontent …
Séduction n’est pas consentement
Le monde de la nuit est-il plus occupé par les hommes ?
S : Ça dépend, mais en tout cas ce qui est sûr c’est qu’il est moins sécurisant pour les femmes que pour les hommes. Quand on te dit qu’il y a des soirées gratuites pour les filles dans certains endroits, c’est que c’est plus fréquenté par des hommes. Ça c’est typiquement le genre d’endroits où ne va pas. Les espaces qu’on choisit d’investir ne sont pas forcément en minorité féminins, mais globalement les gens qui sortent de chez eux la nuit, je pense, sont plus des hommes.
Pensez-vous qu’il y a une manière différente de faire la fête entre les hommes et les femmes ?
O : Oui, de manière générale. Mais je pense qu’il y a des milieux qui sont un peu plus sensibilisés aux questions du féminisme, de la déconstruction que d’autres, ce qui fait que potentiellement ça va être moins séparé, enfin je veux dire moins genré.
S : Il y a quand même beaucoup de garçons qui sortent pour rencontrer une fille le soir, alors qu’il y a beaucoup de filles qui sortent juste pour sortir. Et aussi, même si c’est complètement en train de changer, un garçon qui est complètement “défoncé” c’est quand même plus accepté qu’une fille.
O : Surtout, c’est un peu déconseillé quand t’es une fille.
Est-ce que les femmes et les hommes ne recherchent pas la même chose ?
O : Je n’en sais rien parce que je ne suis pas un homme, je ne sais pas en fait. Mais ce que tu dis pour moi ça rejoint plutôt la question de la séduction, des manières de désirer et de chercher à relationner. Et aussi des rôles qui sont pré-attribués dans les relations hétérosexuelles où tu vas avoir des clichés ou des stéréotypes où le garçon est sensé aller vers la fille et la fille est sensée accepter ou refuser et du coup, peut moins faire ce geste de “aller vers”.
S : Je pense que ça a vraiment changé, je vois aussi des filles qui abordent directement des gars. Statistiquement surtout, tu vas plus être abordée quand t’es une fille. Quand tu sors, tu passes aussi dans un mode de séduction, malgré tout, que ce soit amical, amoureux. C’est peut-être pour ça que je disais au début qu’il y a une différence dans ma manière de faire la fête quand je suis avec quelqu’un ou pas, parce que ce mode de séduction est plus ou moins assumé, et tout le monde le sait. Vu que là c’est dédié au fait de relationner, et qui plus est, souvent de manière très détendue, t’es quand même dans un mode de séduction plus amical, ça va être une image positive que tu cherches à renvoyer à l’extérieur mais en mettant des limites plus hautes.
Par rapport au risque nocturne et le danger “masculin”, y a t-il des solidarités naturelles entre filles ? Et au-delà du risque, est-ce une solidarité qui s’exerce dans le respect de chacune et de chacun ?
O : C’est une solidarité qui est fondée sur une proximité amicale plutôt qu’une réaction face au risque. Pour moi c’est juste logique : si on aime une personne et que la personne est en danger on réagit. C’est une question qui est très compliquée parce que de toute manière la mise en danger n’est pas que dans le monde de la nuit face à des inconnus. C’est aussi dans l’entourage direct. Malheureusement, presque toutes les filles de mon entourage que je connais et dont je suis proche ont vécu des agressions et ont appris à se protéger toutes seules. Du coup, on va pas se mettre en danger.
S : Moi je considère que je suis assez sensibilisée à ces questions et que j’y fais attention, beaucoup quand même. Même quand on est en soirée et que je vois un “mec” qui arrive et qui commence à se coller à une fille en dansant, très rapidement je suis en mode : « tu peux te décaler, genre elle n’a pas envie ». J’essaie d’évaluer la situation mais je suis quand même apte à intervenir assez rapidement, que je connaisse ou non la fille.
O : Je me rappelle, j’étais allée à Amsterdam faire la fête pour le nouvel an. C’était vraiment super safe, y avait pas du tout de personne, justement un peu lourde. Vers la fin de la soirée y a un garçon qui a commencé à être un peu lourd avec ma copine. Je crois que cinq minutes après, le “mec” était dehors, en dehors de la fête. Alors que là, en France tu vas voir un vigile, tu lui dis qu’il y a un “mec” qui t’a proposé un verre trois fois, il va rien faire. On a pas l’habitude de ça, on a même pas ce réflexe. À Amsterdam le vigile est venu de lui-même parce que les personnes n’ont pas le droit d’insister lourdement, c’est pas possible. Les conséquences sont rapides et directes.
S : Si tu vas VOIR un gars de la sécurité, il va quand même intervenir en réalité. Mais encore faut-il le trouver, être dans l’état…
O : Si un “mec” t’aborde lourdement tu t’en débarrasses toute seule. S’il commence à t’agresser, là tu vas voir la sécurité. Mais y a quand même un gap [décalage profond, ndlr] entre les deux.
S : Et c’est vrai que ça arrive très souvent. Parce qu’il arrive qu’une personne fasse “chier” toutes les filles toute la soirée, et ça dure longtemps avant que quelqu’un intervienne.
En fait ce n’est pas très différent de notre génération…
O : Peut-être que les garçons sont un peu plus sensibilisés. J’ai l’impression que c’est en train de changer très très vite quand même. Que beaucoup de garçons de 19 ou 20 ans sont bien plus éveillés sur ces questions-là que les garçons de notre âge à 18-19 ans. Ils ont grandi avec toutes ces questions-là, alors que nous un peu, mais pas tant que ça en fait.
Recueilli par Sophie Duvauchelle