Un master II en poche, deux amies de 24 ans se retrouvent “volontaires” en service civique. . Il transparaît au travers de leurs échanges une conscience et une maturité criante, et pourtant inhabituelle aux oreilles de leurs aînés — bien souvent sourdes… Au fil de la conversation chez l’une d’entre elles, altermidi interroge leur vécu en prenant le parti de laisser libre cours à leur dialogue.
Sur le sujet « vivre sa jeunesse », la conversation se décline en plusieurs thèmes au travers desquels ces jeunes femmes en prise avec des désirs individuels et des aspirations collectives, parfois indépendamment, souvent de concert, se racontent …
Le fragile équilibre entre liberté et limites
Dans les espaces festifs, comment envisagez-vous ou vivez-vous le rapport à la liberté ?
O : Les espaces de fête sont des espaces de liberté, mais c’est vraiment à double tranchant dans le sens où si tout le monde à la liberté de faire n’importe quoi, il y a des personnes qui peuvent faire du mal à d’autres personnes, ne pas respecter les limites. Je pense que c’est vraiment quelque chose qui est à double tranchant et c’est ça qui est aussi hyper intéressant dans le monde de la fête. Ça devrait être que positif, ça serait beaucoup mieux, mais en fait c’est… c’est là qu’on tombe dans des côtés très sombres parce que c’est démultiplié par la perte de limites. Mais la frontière entre les deux est tellement fine… Et même dans les milieux qui se veulent les plus respectueux c’est un problème qui n’arrive pas à être réglé.
Il y aurait une frontière si fine qu’on pourrait franchir ou par dessus laquelle on pourrait basculer rapidement ?
O : C’est juste terrible qu’il y ait des agressions la nuit. Mais par contre quand on pense, de soi à soi-même, jusqu’à quel point c’est bien de faire la fête, quand on respecte les personnes qui nous entourent… Nous, on va même jusqu’ : à quel point c’est bien de faire la fête ? Quand est-ce que ça devient excessif ? Qu’est-ce que ça nous apporte ? Qu’est-ce qu’on va investir ? Qu’est-ce qu’on donne là-dedans ? Toutes ces questions-là sont à double tranchant, et ça c’est intéressant par contre, je trouve.
S : C’est aussi une manière de « se modeler », c’est-à-dire qu’effectivement c’est une liberté que tu t’accordes, où tu fais tomber des limites. Si c’est la nuit et que t’es dans cette disposition tu vas parler à quelqu’un à qui tu n’aurais jamais adressé la parole, ça t’aurait trop gênée. En même temps, moi je sais que j’essaie de ne pas non plus totalement me perdre. Je me dis : « ah ben j’ai un sac à main, je rentrerai avec mon sac à main ; ah ben j’ai une amie je rentrerai avec mon amie ». Des trucs comme ça, quand même, que t’es obligée de poser à l’avance et te rappeler de temps en temps. Et du coup ça te permet aussi de te distancer des gens qui commencent à être dans les limites qui ne sont pas les tiennes, où tu te dis : « ok, lui il a posé ses limites ailleurs donc je suis plus méfiante ».
O : Ça arrive presqu’à tout le monde de dépasser les limites qu’il s’était imposées dans le cadre de la fête, mais tu cherches même un peu ça en réalité. C’est là où c’est super important d’être attentif aux uns et aux autres. On ne sais pas ce sur quoi on va tomber en réalité.
Vous faites émerger les questions des limites, de la mesure, celle de veiller à soi et aux autres. Peut-on envisager la liberté autrement que par tous les possibles ?
O : Évidemment être libre ça veut pas dire être libre de faire n’importe quoi parce que sinon on est pas libre, on fait juste n’importe quoi. C’est très compliqué, je pense que c’est un point d’équilibre qu’on cherche tout le temps entre ce qu’on peut faire et ce qu’on a envie de faire, et ce qu’on a la liberté de ne pas faire ou d’imposer.
S : Il s’agit plus de savoir ce qu’on veut, ce qu’on ne veut pas et ce qu’on ne sais pas. Ça jongle un peu tout le temps entre les trois et il n’y a pas vraiment de : moi ma liberté c’est ça et c’est pas ça… enfin sinon ce serait vraiment chaotique. Il y a ce que j’ai envie de faire, ce que je n’ai pas envie de faire, qui changent en fonction de mes mood, et ce que j’ignore avoir envie ou ne pas avoir envie ou qui ne dépend pas de moi. Pour moi il n’y a pas la liberté, la mienne et puis celle de l’autre. Pour chacun il y a ces trois facteurs avec lesquels on jongle, et ça crée des choses ensemble. Je dirais aussi qu’en ce qui concerne « ce que tu veux, ce que tu ne veux pas et ce que tu ne sais pas », ce sont des choses qui évoluent. Quand j’avais 14 ans je savais moins ce que je voulais et ce que je ne voulais pas, et je ne savais pas beaucoup de choses. Et ça a des conséquences. Aujourd’hui quand même je le sais plus. Et je pense que dans 20 ans je le saurai plus encore. Ce sera peut-être un problème de trop savoir, mais c’est quand même une réalité aussi.
O : C’est une question d’équilibre. Mais jusqu’à un certain point, je trouve que c’est plutôt une liberté d’avoir des limites et de se donner le droit de ne pas faire certaines choses, de refuser certaines expériences, certains espaces. Il y a ce qu’on a envie de faire et ce qu’on a pas envie de faire, et il y a ce qu’on a le droit de faire et ce qu’on a pas le droit de faire. Ce sont des questions de rapport humain et ce qu’on estime juste de faire, de morale en fait.
Est-ce que tu le lies à l’âge ?
O : C’était une chose que je n’étais pas capable de faire quand j’étais plus jeune… moins.
S : C’est peut-être lié aussi au fait que le monde de la nuit est plus occupé par les hommes aussi et ils sont quand même…
Recueilli par Sophie Duvauchelle