L’arrivée à l’épicerie de Sainte-Croix-de-Quintillargues1 ne s’est pas faite dans la discrétion prévue, car les clients attendaient. C’est que le moment était d’importance, il s’agissait de faire ses adieux à Maxime Runfola, l’épicier qui, depuis 2010, a su créer avec de petits moyens un de ces lieux comme on les aime, un de ces endroits qui jouent un rôle fondamental dans la vie d’un village.


 

Tout d’abord, les témoignages. Ce que signalent les chalands, parmi les bienfaits, c’était le lien social chaleureux qui venait en priorité, avec bien sûr la commodité, celle d’avoir près de chez soi le lieu où on peut trouver bien des choses en évitant d’utiliser son véhicule. Le bar sur place, les plats cuisinés, le tabac, le journal, les champignons en saison, les vins de pays et tout le reste. Des gens très reconnaissants nous ont fait part du carré de ciel bleu que représentait pour eux cet établissement, créé progressivement par une famille besogneuse.

C’est que ce n’était pas gagné, le local étant petit et le stationnement presque impossible. Qui aurait pensé pouvoir imaginer que l’Orkys2, nom donné à cette épicerie de village, allait pouvoir réussir ce pari hasardeux ? Pour mieux comprendre, après les handicaps, présentons les atouts : le local se trouve sur une voie de passage, au centre du village, en face d’une magnifique église romane, l’église de l’Exaltation-de-la-Sainte-Croix datant au bas mot du XIe siècle ; mais aussi, outre cette position centrale, il se trouve dans un village de près de mille habitants, distant de plusieurs kilomètres du premier supermarché. Une place d’arrêt-minute a été aménage devant le commerce, ainsi qu’une terrasse au pied de l’église. La balle était lancée…

Si Maxime Runfola cesse son activité, c’est tout simplement parce qu’a sonné pour lui l’heure de la retraite, bien méritée, mais qui pourrait être une grande perte pour le village. Nous le rencontrons.

 

« Notre épicerie a trouvé sa place »

 

Maxime Runfola. Photo Thierry Arcaix

 

Maxime Runfola, comment s’est construite votre carrière ?

Mon histoire est la suivante : j’étais fonctionnaire civil, au niveau de la gestion des ressources humaines pour le ministère de la Défense. Mais mon poste a été délocalisé de Montpellier à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan3, dans le nord-est du Morbihan. C’était loin, ma femme travaillait à Montpellier, ma fille avait déjà ouvert l’épicerie à Sainte-Croix-de-Quintillargues en 2007. J’ai donc choisi de démissionner et de travailler avec ma fille, qui elle s’est arrêtée en 2010 pour, entre autres, pouvoir se consacrer à ses enfants.

 

Comment expliquez-vous votre réussite ?

Notre épicerie a trouvé sa place, elle a réussi à se maintenir et à fidéliser une clientèle. Peu à peu, nous avons gagné de nouveaux clients car le village s’agrandissait. Le passage augmentait également avec des gens issus des villages alentour qui eux aussi se développaient. L’année dernière, une boulangerie s’est ouverte sur la place, à deux pas. Au départ, je craignais la concurrence car je vendais un peu de pain, des viennoiseries. C’est le contraire qui s’est produit, car la boulangerie a attiré une clientèle plus large qui a fait progresser notre chiffre d’affaires. Ses clients en profitaient pour passer chez nous et réciproquement.

 

Pouvez-vous nous décrire la diversité des services que vous proposiez ?

Depuis le début, nous avons ouvert un bar en licence III (uniquement les boissons ne dépassant pas 18°). À l’intérieur, nous étions contraints au niveau de l’espace, donc nous avons installé une terrasse à l’extérieur. Certes, nous sommes tributaires de la météo, nous avons une clientèle très variée qui outre les habitués locaux, compte les cyclistes, les touristes, les randonneurs. Il y a ici un club de VTT4 qui vient tous les dimanches à midi se retrouver sur la terrasse. Tout de suite, nous nous sommes diversifiés, avec des plats préparés, un dépôt pressing, bien utilisé, notamment par la Mairie et l’école publique, nous vendons le journal le dimanche, du tabac (nous sommes rattachés au bureau de tabac de Saint-Mathieu-de-Tréviers). Le mercredi, nous mettons à disposition un panier bio, ce qui était intéressant pour nous en termes de gestion des stocks car les clients commandent à l’avance. Cela limite les quantités de fruits et légumes que nous gardons en rayon et réduit nos pertes. En général, nous avons toujours privilégié le bio et les producteurs locaux, le vin, les bières, le fromage, les viandes, etc.

 

Il y a eu cette redoutable époque du COVID. Comment l’avez-vous vécue ?

La période du COVID a été très favorable à notre commerce, mais l’embellie est vite retombée dès que les gens ont pu retourner dans les grandes surfaces. Toutefois, cette période a contribué à nous faire connaître. Hors période COVID, nous avons créé de petits événements festifs, avec des artistes en tous genres, des soirées jeux pour la Saint Patrick, ou autour du beaujolais nouveau et bien d’autres occasions. C’est qu’après les confinements il y avait une grande attente de la population, et dans tous les cas, ce genre de manifestation nous a permis une fois de plus de faire découvrir notre boutique à de nouvelles personnes. En quinze ans d’existence, nous n’avons connu aucun problème de sécurité. Si, une fois une tentative de cambriolage et une autre fois le vol d’une bouteille d’alcool, mais bon.

 

Quelles sont les raisons de votre départ ?

Donc, je prends ma retraite, légitimement, à 62 ans. C’est que je souhaite pouvoir me consacrer à ma famille. Mon épouse est déjà en retraite et avec les horaires que nous pratiquons, l’ouverture le samedi et le dimanche, il nous est impossible de partir en week-end. Je voudrais aussi reprendre le militantisme au sein du parti communiste, ce que je n’ai plus eu le temps de faire. Je suis aussi un pêcheur en eau douce, qui traque les carnassiers (sandre, brochet, silure, perche). J’adore ramasser des champignons et je veux aussi me remettre à la lecture car avec mon métier, le soir j’étais trop fatigué.

 

Serez-vous remplacé ?

Si je cesse l’activité ce samedi 29 octobre 2022, la boutique continuera, car la municipalité a lancé un appel à candidatures auprès d’éventuels repreneurs et il y a des réponses. Son choix devrait être annoncé bientôt. À ce propos, je voudrais remercier la Mairie pour son soutien, car il a permis l’existence de ce lieu qui a satisfait beaucoup de monde dans le contexte difficile que nous traversons. Un pot de départ sera bientôt organisé. Je souhaite par avance la bienvenue et la réussite à ceux qui me succéderont !

Thierry Arcaix

 

1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Sainte-Croix-de-Quintillargues
2 https://www.epicerie-lorkys.fr/
3 https://www.defense.gouv.fr/terre/nos-unites/niveau-divisionnaire/commandement-rh-formation/academie-militaire-saint-cyr-coetquidan-amscc
4 https://vttstecroix34.jimdofree.com/

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Thierry Arcaix a d’abord été instituteur. Titulaire d’une maîtrise en sciences et techniques du patrimoine et d’un master 2 en sciences de l’information et de la communication, il est maintenant docteur en sociologie après avoir soutenu en 2012 une thèse portant sur le quartier de Figuerolles à Montpellier. Depuis 2005, il signe une chronique hebdomadaire consacrée au patrimoine dans le quotidien La Marseillaise et depuis 2020, il est aussi correspondant Midi Libre à Claret. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dans des genres très divers (histoire, sociologie, policier, conte pour enfants) et anime des conférences consacrées à l’histoire locale et à la sociologie.