Ce qui semblait si urgent hier l’est tout à coup beaucoup moins pour cause de coronavirus : saisi d’une frénésie de « réformes », au point de couper court au débat à l’Assemblée nationale à coup de 49-3, le pouvoir vient de mettre le pied sur le frein sur cette question comme sur la « réforme » de l’assurance chômage qui est reportée. Un signe positif ou une simple parenthèse avant que les affaires reprennent comme avant, alors que le « changement de paradigme » paraît  plus nécessaire que jamais ? 

On a cru rêver en entendant le Ministre de l’économie, Bruno Le Maire, plaider pour la relocalisation de certaines activités.  Et le mot « nationalisation » lui même n’est plus tabou. On pourrait en rire si la situation n’était pas si grave… Conversion subite comme Paul Claudel derrière le pilier de Notre-Dame ? Les gouvernants seraient-ils prêts à changer de « logiciel »? Ne rêvons pas : Nicolas Sarkozy nous avait fait le coup de la « moralisation du capitalisme » après la crise de 2008. Et il y a encore quelques jours, la secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’économie sus-cité, Agnès Pannier-Runacher, jugeait que c’était « plutôt le moment de faire de bonnes affaires en bourse« . De quoi rassurer les Gilets jaunes et tous ceux qui ont battu le pavé durant des mois pour sauver les retraites. Pendant le Covid-19, les affaires continuent.

Après avoir traité l’opposition de gauche de tous les noms, l’accusant d’obstruction systématique, les macronistes en appellent désormais à l’union nationale. Le Président en vient à tenir des propos à l’opposé de la politique qu’il mène depuis bientôt trois ans, redécouvrant même les vertus de « l’Etat providence ». Faudrait-il lui rappeler que les conquis sociaux ne doivent rien à la Providence mais tout aux luttes menées par les générations précédentes ?. L’hommage appuyé rendu aux professionnels de santé (combien d’infirmières parmi elles qui, il y a peu, respiraient le doux parfum des lacrymogènes en manif ?)  fera-t-il oublier les décennies de mise à mal de l’Hôpital public ? Il n’est certes pas le seul responsable car depuis la loi Bachelot la même logique est à l’oeuvre. 

« Guerre », « défaitisme » : les mots n’ont plus de sens

Le ton martial utilisé par Emmanuel Macron durant son allocution du lundi 16 mars ne présage rien de bon. Personne ne nie la nécessité absolue de la lutte contre cette satanée pandémie mais était-il obligé d’employer sept fois l’expression « nous sommes en guerre »?. Certains diront que ce n’est pas l’essentiel, qu’il ne s’agit que d’une question de forme mais un certain Victor Hugo pensait que « la forme, c’est du fond qui remonte à la surface ». On peut sortir d’une crise sanitaire par le haut (le renouveau des services publics, la solidarité, l’entraide dont il existe déjà de multiples exemples) mais aussi toucher le fond. On pariera ici sur le premier terme de l’alternative, en songeant à celles et ceux qui, en France après l’Espagne, saluent tous les soirs à 20h, les professionnels de santé. Mais il n’est pas certain que le positif l’emporte quand nous verrons le bout du tunnel et la victoire contre la maladie.

Certains signes sont inquiétants, même s’ils jouissent d’un relatif consensus : alors que la première semaine de confinement, effective depuis le mardi 17 mars à midi, n’est pas encore achevée, des maires font de la surenchère en décrétant le couvre-feu, à Béziers, Perpignan, Istres, Marignane, Nice…Rappelons que c’était une « revendication » de Marine Le Pen. Si certains personnes se montrent quelque peu irresponsables en ne respectant pas les consignes, au risque de mettre eux-mêmes et les autres en danger, les images fournies par les médias régionaux montrent plutôt des rues et des avenues désertes un peu partout. 

Et que dire de la communication de ministres qui fait réellement douter d’une conversion possible de leur part?  Alors que les alertes syndicales sur la possible mise en danger de salarié-e-s travaillant dans des secteurs non vitaux (Amazon et bien d’autres) se multiplient, la Ministre du travail Muriel Pénicaud y va de son couplet sur LCI, en pointant du doigt le CAPEB,  syndicat des artisans du bâtiment : « lorsqu’un syndicat patronal dit aux entreprises d’arrêter d’aller bosser, cela s’appelle du défaitisme ». A quand la cour martiale pour ces « défaitistes »? 

On comprend que le député FI Adrien Quatennens réclame une liste claire des activités indispensables. Tous les pays européens touchés par la maladie n’ont d’ailleurs pas la même définition de celles-ci. 

Bifurcation vers un autre monde ou surveillance généralisée ? 

A la communication gouvernementale, souvent chaotique (hormis Edouard Philippe le lundi 23 mars, il faut le reconnaître), il est permis de préférer  d’autres réflexions. Celles qui essaient de tirer d’autres leçons de cette crise sanitaire qui ne remet pas seulement en cause notre quotidien en nous privant  d’écoles, de cinéma, de spectacles, de médiathèque, de rassemblements, de librairies, de restaurants…A l’image de la journaliste Sonia Shah, dans Le Monde diplomatique (1) qui remarque que « s’il est primordial d’élucider ce mystère (celui de l’origine animale du virus, Ndlr), de telles spéculations nous empêchent de voir que notre vulnérabilité croissante face aux pandémies a une cause plus profonde:la destruction accélérée des habitats ». Ceux des animaux en l’occurrence. Pour Sonia Shah, « avec la déforestation, l’urbanisation et l’industrialisation effrénées, nous avons offert à ces microbes des moyens d’arriver jusqu’au corps humain et de s’adapter ».  Après le VIH, le choléra (notamment à Haïti), le SRAS (2002-2003), le Covid-19 est le dernier en date d’une longue liste.

En quelques semaines, il a gagné la planète entière, à tel point que l’Italie voisine est devenue le foyer le plus important. Ne serait-il pas temps de remettre enfin en cause une certaine forme de mondialisation?. Des intellectuels, des syndicalistes, des femmes et des hommes politiques s’époumonent en ce sens depuis des années. A l’image de l’universitaire toulousaine Géneviève Azam, militante d’ATTAC : « cela fait quarante ans que nous sommes sous un régime de globalisation économique absolument forcené avec l’intensification des échanges lointains, de la concurrence et des délocalisations. Un chiffre qu’on a donné est très parlant : 80% des principes actifs des médicaments sont importés de Chine et d’Inde contre 20% il y a trente ans » (2).

Le constat est analogue chez Sonia Shah : « aux États-Unis, les efforts de l’administration Trump pour affranchir les industries extractives et l’ensemble des activités industrielles de toute réglementation ne pourront manquer d’aggraver la perte des habitats, favorisant le transfert microbien des animaux aux humains ».

La forme d’État d’exception que nous vivons nous permettra-t-elle d’enclencher une grande bifurcation vers un autre monde ou est-elle le signe avant-coureur de l’état de surveillance planétaire que les citoyens-citoyennes du monde seront condamnés à vivre demain? La réponse nous appartient aussi. Et au-delà des frontières que l’on ferme.

Morgan G.

 


(1) Sonia Shah : « Contre les pandémies, l’écologie » , Le Monde diplomatique, mars 2020

(2) Politis, 12 mars 2020.


 

JF-Arnichand Aka Morgan
"Journaliste durant 25 ans dans la Presse Quotidienne Régionale et sociologue de formation. Se pose tous les matins la question "Où va-t-on ?". S'intéresse particulièrement aux questions sociales, culturelles, au travail et à l'éducation. A part ça, amateur de musiques, de cinéma, de football (personne n'est parfait)...et toujours émerveillé par la lumière méditerranéenne"