Où est le citoyen, la citoyenne ? Jusqu’ici, on pouvait dire qu’il ou elle était au moins dans la commune, à travers le vote pour ses représentants. Ces drôles d’élections municipales 2020, avec le second tour le plus long de l’histoire, ont montré que même cet échelon de proximité n’échappait plus au phénomène d’abstention massive qui touche les autres scrutins, hormis l’élection présidentielle.
L’hypertrophie d’un rendez-vous qui consiste à « choisir » un monarque présidentiel pour cinq ans vaudrait déjà condamnation de cette Ve République à bout de souffle. Elle est telle que les commentaires qui ont suivi le « remaniement ministériel » nous propulsent déjà vers la présidentielle 2022 et l’analyse de la stratégie d’Emmanuel Macron. Z’ y va, z’ y va pas ? On a envie de dire : « calmez vous, c’est dans deux ans et en attendant, laissez-nous respirer ». Avec ou sans le masque.
Face à ce niveau d’abstention, la pandémie de coronavirus est loin d’être la seule explication, même si les médias dominants l’ont véhiculée au lendemain du premier tour. On peut toujours disserter sur le bien fondé de l’organisation d’une élection le 15 mars, en pleine progression de la pandémie et à la veille d’un confinement général de la population (hormis ceux que le pouvoir a qualifié de « héros », leur rendant un hommage… essentiellement verbal). Ou souligner une nouvelle fois les incohérences, les injonctions contradictoires d’un gouvernement qui a expliqué pendant des semaines que le masque n’était pas nécessaire avant de le rendre obligatoire le lundi 20 juillet dans tous les lieux publics clos.
L’absence de rebond significatif de la participation entre les deux tours tend à prouver que le (la) Covid-19 n’est pas le seul responsable. Et lorsque Jean-Luc Mélenchon parle de « grève civique » ou « d’insurrection froide », il n’a peut être pas tout à fait tort. Le mouvement des Gilets jaunes, dans toute sa complexité, avait déjà sonné l’alarme en exprimant sa défiance envers un certain fonctionnement de la politique. Peu d’élus locaux se sont réellement « mouillés ». Quant au gouvernement, il n’ a eu pour seules réponses que l’organisation d’un « grand débat » où le président de la République a fait son show et la répression brutale, avec son cortège de mutilations et de comparutions immédiates. Dans un tel climat, pouvait-on s’attendre à ce que les électeurs-électrices se ruent vers les urnes, en particulier dans les quartiers populaires où les populations, comme à Montpellier ou Marseille, ont du s’organiser pour faire face à l’urgence alimentaire durant le confinement ?
Dans les principales villes de nos deux régions, le meilleur taux de participation est atteint par Toulouse avec 44,85% des électeurs-électrices qui ont pris part au second tour le 28 juin. À Montpellier, le taux est de 33,44%, et à Nîmes de 32,33%. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, la participation atteint seulement 31,87% à Avignon, 33,85% à Aix-en-Provence et 35,37% à Marseille. La plupart des maires n’a donc été élue que par un électeur-électrice sur trois.
Pour le professeur de Sciences politiques de Montpellier, Jean-Yves Dormagen, qui fut aussi le directeur de campagne de l’écologiste Clothilde Ollier — curieusement ralliée à Mohed Altrad au second tour — « ces municipales ont été une élection sans le peuple 1. Il y a encore quelques années, il était inimaginable d’atteindre 60% d’abstention aux Municipales », souligne le politiste pour lequel « il y a certainement eu un effet épidémie chez les plus de 60 ans qui, d’habitude, sont fortement participationnistes ». Jean-Yves Dormagen n’y voit cependant qu’un « facteur secondaire » dans la mesure où un tel niveau d’abstention avait déjà été relevé lors des législatives de 2017. Une fois le président élu, la messe est dite mais l’écrasante majorité « En marche » à l’Assemblée est un miroir déformant à plus d’un titre.
L’abstention s’enracine d’élection en élection et on ferait comme avant ? Ben oui, on fait comme avant. C’est en tout cas le sentiment qui domine à l’écoute de la plupart des hommes et femmes politiques. Quant aux médias auxquels les citoyens ont le plus souvent accès (les différentes chaînes de télévision), ils se montrent plus soucieux de casting, de têtes d’affiche, de personnalisation à outrance que d’explications sur les attributions des communes, des communautés d’agglomérations ou des métropoles. Sans parler de l’Union européenne dont le rôle est encore moins connu et vu uniquement sous l’angle du duopole nationalistes/libéraux.
Selon Jean-Yves Dormagen, « ce sont les inégalités sociales de politisation qui expliquent les différences de participation électorale que l’on observe à chaque élection. Cette dépolitisation ne peut être compensée que par des campagnes de haute intensité et une forte médiatisation. Or ce scrutin [celui des Municipales, Ndlr] a probablement été l’un des moins médiatisés de toute l’histoire électorale. Les médias « mainstream », tout spécialement les grandes chaînes généralistes en ont très peu parlé ». À ce constat qui paraît globalement juste, on pourrait cependant objecter que dans une ville comme Marseille, ni la « campagne de haute intensité », ni la « forte médiatisation » n’ont manqué.
Et si la désaffection que subissent les différents rendez-vous électoraux avaient davantage à voir avec une exigence de clarté, de cohérence, d’honnêteté politique qui n’est pas satisfaite actuellement ou avec le sentiment que personne ne peut réellement agir contre les crises économiques, à répétition depuis les années 1970 ?
Communes, »agglos », métropoles : drôle de triptyque
En matière de clarté pour les citoyens-citoyennes, on n’est pas certain que la nouvelle organisation territoriale communes-communautés d’agglomération-métropoles (dans certains cas)-départements, facilite vraiment les choses. L’émergence des métropoles a été farouchement défendue par les milieux patronaux et les libéraux de tout poil (ils ne sont pas tous membres de partis classés à droite) qui, eux-mêmes, dénonçaient le « mille feuille territorial ». Moralité : ils ont ajouté un échelon entre les « agglos » et le département. Et les métropoles apparaissent de plus en plus comme des machines à dépolitiser, à gommer les différentes options au profit d’une gestion technocratique.
À Aix-Marseille-Provence, métropole née en 2016, si les six présidents de « conseils de territoire » sont de fait vice-présidents de la métropole, la récente élection au sein de la structure a confié la présidence à Martine Vassal, reconduite avec 145 voix alors qu’elle n’est pas maire. Mieux, elle a été battue dans « son » propre secteur à Marseille. En même temps, le Printemps marseillais, vainqueur des élections municipales le 28 juin n’a aucune vice-présidence.
L’articulation ville de Marseille-métropole s’annonce compliquée à saisir pour les citoyens… et difficile à gérer pour la nouvelle équipe municipale. En effet, nombre de leviers majeurs pour mettre en œuvre sa politique (transports urbains avec les bus et le métro, traitement des déchets, logement, urbanisme, etc.) sont en fait des outils de la métropole.
« Les prérogatives et l’orientation politique (de la métropole) s’opposent de fait au vote des Marseillais-ses qui ont validé quelques jours auparavant les options présentées par le Printemps. On pense en premier lieu aux projets de transports en commun comme l’extension du métro ou la construction ou le rééquilibrage territorial des logements sociaux », écrit Alain Barlatier 2.
Dans l’intercommunalité du « Grand Avignon » (tout le monde n’a pas la chance d’avoir une « métropole »), la présidence n’est pas revenue à Cécile Helle, (étiquetée Divers gauche) réélue maire de la ville-centre, mais au maire de la petite commune voisine de Vedène, élu avec l’accord tacite du Rassemblement national qui n’a pas présenté de candidat.
Pour résumer : dans le Vaucluse, une maire de la plus importante commune qui n’est pas présidente du « Grand Avignon », dans les Bouches-du-Rhône, une « même pas maire » présidente d’une métropole gigantesque qui déborde sur le Vaucluse (Pertuis) et le Var (Saint-Zacharie) avec ses 92 communes et plus d’ 1 800 000 habitants. Comprenne qui pourra…mais la perte des électeurs a peut-être quelque chose à voir avec l’art de les perdre (désorienter).
Morgan G.