Un scénario captivant qui remplit d’émotions et touche au plus profond.


 

La petite Salomé qui vit en France retrouve chaque été le village familial perché dans les montagnes au Nord-Est du Portugal. Les vacances débutent dans l’insouciance, mais un matin, sa grand-mère adorée meurt subitement. Avant son décès, elle lui transmet le don de communiquer avec les esprits et l’alerte sur les risques de cette relation avec l’invisible. La petite fille, brisée par la douleur, se trouve confrontée à sa part d’ombre, à son désir de vengeance et de rétablir justice, habitée par sa grand-mère Avo qui lui dicte sa conduite.

 

Le film aborde subtilement, avec des notes d’humour, tout un panel de sujets, la perte douloureuse de la mère, de la grand-mère, pilier de la famille, les règlements de compte autour des obsèques, les jalousies liées à l’argent, l’opulence de ceux qui ont immigré qui tranche avec les difficultés à vivre décemment de ceux restés au pays, les relations de voisinage, les croyances archaïques…

Comme l’explique la réalisatrice franco-portugaise Cristèle Alves Meira, la place du spiritisme, qui existe encore aujourd’hui, questionne sur les rapports humains, familiaux, plus particulièrement sur le sujet des femmes. Est abordée la relation extra-conjugale et l’homosexualité féminine par une approche très fine… Le fils aveugle, le voyant philosophe et sage, qui voit tout du monde visible et invisible, résume en une phrase : «  Toute femme qui à un moment fait part de trop d’indépendance sera traitée de sorcière. »

Car dans ce film, la petite Salomé, 9 ans, n’est pas la petite fille sage, docile que l’on souhaiterait qu’elle soit. Possédée par l’esprit de l’ancêtre chérie, elle réclame un recueillement et une sépulture à la hauteur de l’amour qu’elle lui porte. Elle s’exprime, se jette par terre silencieuse, dans la chemise de sa grand-mère, choisit de quitter discrètement les affrontements familiaux en jetant un regard méprisant aux adultes qui ne veulent pas l’entendre, pour revenir vers eux, après que tout a pris feu, réunissant le clan, tendre pacificatrice, récompensée par la pluie soudaine et bienfaitrice.

 

Le regard de l’enfant sur le monde des adultes

 

L’enfant se plonge naturellement dans le lien avec l’imaginaire et l’onirisme sans le forcer, indique Cristèle Alves Meira. On ne juge pas Salomé, on accepte ses croyances, jusqu’à comprendre ses réactions douloureuses, irrationnelles, en opposition aux excès brutaux et indécents des adultes en sa présence à côté de sa grand-mère décédée.

Les personnages sont hauts en couleurs, à fleur de peau, bouillants de vie, d’humanité ou de violence liée à l’ignorance et aux rancœurs tenaces qui se transmettent de génération en génération. On relève également la figuration du chien de la grand-mère, rejeté par tous après son décès, qui, en accompagnant la petite, confirme l’incarnation de sa maîtresse, l’âme vive : « J’ai cherché dans le film à être dans cette énergie, cette excentricité, cette façon de parler, ces corps qui n’ont pas peur de se toucher, de s’agresser, de s’allonger au sol ; le chien permet d’être dans cette vie là, dans le mouvement… »

Ce témoignage fort de l’expression excessive, très méditerranéenne, s’exprime sur un rythme musical qui nous accompagne tout le long, faisant vibrer les temps forts, flamenco, chants religieux, tambours…

Lorsque le film finit, la salle reste silencieuse, comme ensorcelée avant qu’un clap des mains nous sorte de l’envoûtement : une salve d’applaudissements pour ce premier long-métrage, qui devait être initialement appelé « Bruxa » (sorcière).

Sasha Verlei

 

 


Cristèle Alves Meira, qui a vécu dans ce village, s’est inspirée d’éléments de son histoire marquée par des disputes familiales autour de sa grand-mère restée deux ans sans sépulture. Ces éléments ont généré chez elle un vrai sentiment d’injustice. « C’est avec ce sentiment-là que j’ai voulu écrire ce film. Toute la partie médiumnité est inspirée d’un jeune anthropologue, Georges Diaz, qui avait sa grand-mère au Portugal qui était médium […] j’ai pu lire son mémoire, c’était très beau, son point de vue de petit garçon. […] Sur la part autobiographique, je me rappelle ce mélange d’histoires qui font peur, mais en même temps la sorcellerie fascine. […] C’est ma relation à ces paysages, à ces visages, à ce village que je connais intimement, j’ouvre une porte sur ma part intime, mais tout ce que vit Salomé je ne l’ai pas vécu, c’est écrit comme une fable, c’est un conte... » À voir absolument.

Alma viva, en salle à partir du 15 mars 2023
Production : Gaëlle Mareschi, Pedro Borges, Raquel Morte, Sébastien Delloye
Scénario : Cristèle Alves Meira, Laurent Lunetta
Interprètes : Lua Michel, Ana Padrão, Jacqueline Corado, Catherine Salée, Duarte Pina
Image : Rui Poças
Montage : Pierre Deschamps
Musique : Amine Bouhafa
Son : Amaury Arboun, Ingrid Simon, Philippe Charbonnel

Cristèle Alves Meira

« Née en 1983 à Montreuil, de parents portugais, comédienne de formation, elle est d’abord metteuse en scène de théâtre. En 2007, elle réalise un premier documentaire au Cap-Vert, Som & Morabeza, où elle pose la question de l’immigration dans les milieux lusophones en Afrique, puis en 2010 Born in Luanda, tourné en Angola. Suivent deux fictions courtes tournées au Portugal dans le village de sa mère, dans la région du Tras-os-Montes : Sol branco (2014) et Champ de vipères (2016), sélectionnés et primés dans plusieurs festivals. Son dernier film court, Invisible Héros, a été présenté à la Semaine de la Critique 2019. Cristèle réalise Tchau-Tchau, un dernier court-métrage et sortira Alma Viva son premier long-métrage en salles en 2023. »

Sasha Verlei journaliste
Journaliste, Sasha Verlei a de ce métier une vision à la Camus, « un engagement marqué par une passion pour la liberté et la justice ». D’une famille majoritairement composée de femmes libres, engagées et tolérantes, d’un grand-père de gauche, résistant, appelé dès 1944 à contribuer au gouvernement transitoire, également influencée par le parcours atypique de son père, elle a été imprégnée de ces valeurs depuis sa plus tendre enfance. Sa plume se lève, témoin et exutoire d’un vécu, certes, mais surtout, elle est l’outil de son combat pour dénoncer les injustices au sein de notre société sans jamais perdre de vue que le respect de la vie et de l’humain sont l’essentiel.