La victoire de ce rassemblement inédit a permis l’élection de la première femme maire de Marseille, Michèle Rubirola. Vainqueur en été, le « Printemps » incarne l’espoir d’un renouveau dans la deuxième ville de France mais sur fond d’abstention massive. Le plus difficile commence pour ce qui, rêvons un peu, pourrait être un laboratoire de politiques enfin audacieuses en matière d’écologie, de lutte contre les inégalités sociales et de démocratie participative.
Il a fallu six jours de suspens lié à un mode de scrutin particulier — où la liste qui recueille le plus de voix sur l’ensemble de la ville n’est pas certaine de « gouverner » la cité — pour que Michèle Rubirola, tête de liste du Printemps marseillais, se voit remettre l’écharpe tricolore des mains de Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille depuis 1995, qui ne se représentait pas. Ironie du sort, cette loi P.L.M. (pour Paris-Lyon-Marseille), de 1982 est due à Gaston Defferre, maire historique de Marseille et Ministre de l’Intérieur de François Mitterrand à l’époque. Et la droite locale a eu beau jeu de rappeler le précédent des Municipales de 1983 où Gaston Defferre, bien que minoritaire en voix, l’avait emporté devant… un certain Jean-Claude Gaudin.
Le samedi 4 juillet, des centaines de personnes s’étaient rassemblées devant l’Hôtel de ville, de 8 heures du matin jusqu’au dénouement, avec le ferme espoir que la victoire du second tour ne leur soit pas volée par un tripatouillage ou un accord d’arrière boutique qui aurait sali encore plus une vie politique mal en point. Le niveau d’abstention a atteint de tels sommets dans tout le pays (58,5%) qu’il n’était pas nécessaire de rajouter un déni démocratique à la grave crise politique que nous vivons. Une seule certitude avait cours avant la tenue de ce conseil municipal unique en son genre : le ou la maire s’apprêtait à être élu-e par ses pairs conseillers municipaux après un second tour où seuls 35,37% des Marseillais-es ont voté (32,76% au premier tour).
Si la participation a augmenté de près de 3% sur l’ensemble de la ville, le phénomène inverse s’est produit dans les 13e et 14e arrondissements (7e secteur) où le retrait du candidat du Printemps marseillais, Jérémy Bacchi (PCF), s’est traduit par une perte de 1600 électeurs et un fort taux de bulletins nuls ou blancs (11%). Une partie de l’électorat progressiste s’est probablement senti en déshérence face à un duel LR-extrême droite aux allures de « remake » du duel Christian Estrosi-Marion Maréchal-Le Pen des dernières élections régionales. « On s’est tiré une balle dans le pied » déplorait un des soutiens du « Printemps » devant la permanence de la candidate du premier secteur, Sophie Camard, au soir du 28 juin.
Le niveau d’abstention est un sacré défi, surtout pour des élu-e-s qui se réclament des valeurs de progrès social et écologique, de participation citoyenne. Là ou d’autres se satisfont finalement très bien d’un retour à une sorte de suffrage censitaire où seuls les plus aisés continuent de se rendre aux urnes, la nouvelle municipalité devra aussi prendre ce problème à bras-le-corps.
La vieille politique se meurt ?
Une forme de vieille politique est peut être en train de mourir sous nos yeux : celle de la délégation de pouvoir, des mandats à n’en plus finir assurés par la même personne, des politiciens professionnels (le plus souvent des hommes) qui n’ont qu’une très vague idée des conditions dans lesquelles se débattent nombre de leurs concitoyens… Médecin à la Sécurité sociale, peu portée à une forme d’exposition médiatique — certains lui en ont fait le reproche — qui est aussi la marque de fabrique du vieux monde politique, Michèle Rubirola est loin de cette caricature ou de ce portrait robot. Et son premier discours en tant que maire de Marseille, fait d’une émotion sans pathos, avait quelque chose de rafraîchissant.
Si la victoire du Printemps marseillais réunissant écologistes, insoumis, communistes, socialistes, Génération-s, Ensemble!, Parti de Gauche, Place publique, Nouvelle Donne, membres de collectifs citoyens… a su susciter l’enthousiasme, du soir du second tour à cette journée du samedi, ce n’est pas parce qu’il s’agirait d’alternance tranquille ou de « changement de visage » (on a vu à travers le discours macronien combien cet objectif seul constituait une escroquerie). C’est aussi parce que le projet du Printemps marseillais apparaît en rupture profonde avec les 25 ans de « gaudinisme ». Certes, il y eut la gestation difficile des listes, ou dans la dernière ligne droite l’accord avec Samia Ghali qui réclamait il n’y a pas si longtemps l’intervention de l’armée pour lutter contre le trafic de drogue. Dans une ville meurtrie où l’on entend souvent le slogan « Marseille, soulève toi » lors des manifestations du samedi, le Printemps marseillais a fait naître des espoirs.
L’élu PS Benoît Payan, désormais premier adjoint, a parlé de « majorité sociale » et de « majorité politique » qui se rejoignent enfin. Pour atteindre les trois objectifs majeurs « Marseille plus juste, plus verte, plus démocratique » le programme est ambitieux : élaborer un plan de rénovation des écoles, atteindre 25% de logements sociaux dans chaque arrondissement, créer un fond d’innovation et de création d’emplois dans des filières éco-responsables, transformer « 38 écoles prioritaires en îlots de fraîcheur dès la première année », assurer la gratuité des transports publics pour les moins de 26 ans et les « bénéficiaires de minimas sociaux », soumettre 17 millions du budget annuel des mairies de secteur au vote des citoyens, mettre en place « une concertation publique accessible et transparente systématique sur tous les grands projets »…
De l’aménagement très contesté du quartier de la Plaine par la municipalité sortante au délabrement des logements (le drame de la rue d’Aubagne avec ses huit morts en fut le symbole ultime), du scandale des punaises de lit à la pollution causée par l’engorgement automobile ou les navires de croisière, de la criminalité liée aux trafics à l’abandon des quartiers populaires, la tâche est immense. Et le chantier probablement plus difficile qu’à Strasbourg, Lyon ou Bordeaux.
Vigilances citoyennes
L’émergence des « collectifs citoyens » ces dernières années a changé la donne politique dans la deuxième ville de France. L’heure n’est plus à la « discipline de partis », à l’étouffement de la critique sous prétexte qu’elle ferait forcément « le jeu de l’adversaire ». Dans une tribune libre, des militants d’associations et de collectifs1 se situant à la fois dans l’après crise sanitaire et dans l’après Municipales plaident pour « une véritable assemblée municipale citoyenne ou siégeront à la fois les collectifs, des représentant-e-s des professions en première ligne, mais encore une part de citoyen-ne-s tiré-e-s au sort, où se retrouveront celles et ceux qui ont applaudi aux fenêtres, qui ont participé aux collectes et ont pris l’initiative d’aider leurs voisin-e-s en difficulté ». Comme pour mieux enfoncer le clou, les signataires précisent que ce « « conseil alternatif » devra être reconnu par les pouvoirs publics pour ce qu’il est : la voix de celles et ceux qui, s’ils n’ont pas fait le choix de briguer des responsabilités politiques, forment le maillage de la société sans lequel les décisions prises restent déconnectées »2.
Cette vigilance, ces attentes, ces exigences ne sont pas forcément un handicap pour le Printemps marseillais qui s’inscrit, avec les particularités de Marseille, dans la vague sociale, écologique et citoyenne ayant emporté les caciques ou leurs héritiers dans de nombreuses grandes villes du pays.
Morgan G.