Le quartier Figuerolles sous le regard d’un de ses habitants sociologue. Qu’est-ce qui s’y est passé de plus, ou de moins, ou de mieux, ou de pire ? À en croire quelques témoins, répartis sur l’ensemble du territoire de ce quartier historique de Montpellier, quelques éléments sont à retenir.
Le quartier Figuerolles à Montpellier est un curieux mélange de genres. En effet, il est composé d’une population hétérogène en raison d’un habitat très varié sur un espace relativement restreint (un kilomètre de long sur cinq cent mètres de large). Maisons vigneronnes, immeubles haussmanniens, cités, résidences, villas. Neuf et ancien, confortable et sommaire se mélangent ainsi à l’envie. La population qui y réside, rappelons-le, sur un petit espace, est donc très différente (composée de propriétaires, locataires, squatters), en fonction de ses revenus et de ses appartenances, de ses choix de vie et de ses engagements.
Pas vraiment mélangée, mais plutôt juxtaposée, dans le sens où les habitants et leurs relations s’organisent en communautés d’émotions qui partagent des intérêts ou des objectifs communs, groupe que l’on nomme aussi en sociologie des tribus. Ainsi, les valeurs internes à chaque groupe restent à peu près stables et les échanges, non conflictuels en majorité, se limitent à l’essentiel, celui qui ne pose pas de problème, c’est à dire à l’économique (commerces, emploi et services). Un équilibre se crée ainsi, les problèmes sont bien connus et nommés, des solutions au vivre ensemble sont trouvées et acceptées à des termes plus ou moins longs (parking, ordures, nuisances sonores, etc.), une identité commune à minima existe, même si elle reste limitée à ceux qui résident sur place suffisamment longtemps pour la percevoir.
Survint alors cette crise que nous traversons, cette pandémie. Un événement qui, à Figuerolles comme partout ailleurs, bouleverse la vie quotidienne et ses habitudes comportementales. Une distanciation sociale rigoureuse à respecter, des mouvements de panique successifs qui se sont traduits bien sûr au niveau de l’achat de masques et de gel hydro alcoolique et aussi en ce qui concerne l’approvisionnement alimentaire, ont provoqué les pénuries que l’on sait. Mais alors, qu’est-ce qui est spécifique à ce quartier montpelliérain ? Qu’est-ce qui s’y est passé de plus, ou de moins, ou de mieux, ou de pire ?
Pour répondre avec des arguments de comparaison, il faudrait savoir ce qui se passe partout ailleurs, vous en conviendrez, et malgré une avalanche de messages issus des médias officiels, force est de constater que nous ne disposons pas de sources fiables d’informations. En ce qui concerne le quartier de Figuerolles, seuls des témoignages de personnes représentatives, recueillis avec la rigueur qu’impose la sociologie, peuvent nous documenter. Que déclarent ces témoins ?
Tout d’abord et en majorité, ils signalent le respect du confinement, ensuite minoritairement, mais avec regret les attitudes irresponsables. Bien sûr, si les attitudes négatives sont minoritaires, elles sont dangereuses pour tous. Vente de drogue et de tabac de contrebande, rassemblements surprenants par leur incongruité (anniversaire, apéritif de quartier), enfants et adolescents livrés à eux-mêmes à l’extérieur. Les attitudes responsables elles ne manquent pas : courses pour les anciens et les personnes handicapées, distributions alimentaires à destination des plus miséreux, nombreuses initiatives d’entraide.
Alors, à en croire nos témoins, répartis sur l’ensemble du territoire de ce quartier, quelques éléments sont à retenir. Tout d’abord en ce qui concerne ceux qui respectent le confinement, très anxieux, stockant les produits dès que possible, sur la logique du « moins il y en a plus j’en veux » (riz, pâtes, œufs, papier hygiénique, farine, etc.). La peur de l’autre est toujours présente : un de nos témoins nous raconte s’être fait sévèrement réprimander par une dame qu’il n’avait pas vue derrière lui à la supérette de la place Leroy Beaulieu et qui l’accusait de ne pas respecter la distance de sécurité. Du côté des irresponsables, il y a d’une part la nécessité de vendre pour vivre (tabac, drogue) sans le moindre souci des éventuelles contagions, d’autre part le fait d’habiter dans des appartements exigus, invivables, et enfin le refus systématique de se soumettre à aucune règle commune. Mais il y a aussi des attitudes plus intellectualisées aboutissant à des apéritifs ou repas pris en commun, à des promenades en famille dont la dangerosité, tant pour soi que pour les autres est extrême.
La liste pourrait s’allonger, mais la remarque à faire quant à la spécificité des comportements de la population de ce quartier est que toutes ces attitudes sont voisines en termes de distance, et que tous nos témoins, de leur fenêtre ou en allant faire leurs courses, y assistent. La question que l’on peut alors se poser est celle de savoir quels effets ces observations vont avoir sur les futurs positionnements collectifs, quelle influence sur les buts, les cercles d’appartenance et les environnements relationnels ils vont ensuite déterminer.
La sociologie ne peut prédire l’avenir, toutefois il est certain qu’une volonté de changement politique et sociale semble émerger des tragiques événements que nous traversons. Pour répondre à la question que nous posions en introduction, la spécificité du quartier Figuerolles réside dans son aspect complexe qui en fait un véritable laboratoire pour tenter de comprendre comment et pourquoi notre société va se transformer, comment et pourquoi l’éducation, la santé et l’environnement devront être priorisés au travers d’un service public revu définitivement sans faille.
Thierry Arcaix
Docteur en sociologie
Voir aussi : Rubrique Montpellier, Les quartiers et le cloisonnement : La Paillade, Paul Valery,