Invités au Festival du Roman Noir de Frontignan, le couple de sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon évoquent leur travail commun avec l’auteur de bande dessinée Étienne Lécroart. Le FIRN leur a consacré une exposition conçue par Raphaële Perret qui fait état de trente ans de travail sur les vraies causes de nos malheurs : les super riches !
Comme personne ne veut plus bronzer idiot mais que les conditions climatiques nous astreignent aux choix des quelques neurones qu’il nous revient de faire fonctionner pendant et après la canicule, nous vous conseillons cet été la lecture des BD sociologiques des Pinçon Charlot. C’est précis, rigoureux et drôle. Voilà une expérience de lecture qui éveille en nous le goût de comprendre les mœurs et coutumes des oligarques, tout en s’amusant.
« On a souffert des auteurs qui étaient impénétrables, avoue Michel Pinçon, la BD permet de rendre accessible notre travail universitaire. Notre but est de diversifier notre public afin de diffuser au mieux nos recherches. C’est important de concerner davantage de monde pour faire face ». Bref, nul besoin d’avoir recours à l’ardeur intellectuelle ou au pathétisme pour percevoir le drame qui nous afflige. Sans brusquer sa paresse naturelle, on peut décrypter ainsi la complexité des rituels grands bourgeois.
On savait que pour bien vivre il suffit d’être très riche. Mais pas si simple, cette condition s’entretient. Il importe de se donner entièrement à son rôle. Par exemple, si je te pince la cuisse, tu cris oh là là ! Si je parle d’argent tu souris et te confonds avec le mur qui est dans ton dos. Ce n’est pas donné à tout le monde, il y a plein de règles de vie à ne pas oublier : fuir le bruit de la foule, savoir réciter quelques mots de bienvenue adaptés aux invités du jour, avoir un faible pour les valses viennoises, se montrer avenant et compréhensif… Et tout cela chacun selon ses moyens, ce qui entraîne une joyeuse disparité.
Voyage dans l’espace social du 16e
Les Pinçons ont expérimenté les visites ethnographiques dans les quartiers riches. En se promenant dans les cinémas, les magasins, les cafés, ils ont vécu une véritable expérience existentielle qui permet des prises de conscience. En mars 2016, les sociologues sont les témoins d’un déchaînement de violence de la part d’habitants du XVIe arrondissement de Paris suite à la présentation du projet d’installation d’un centre d’hébergement de sans-abri. Ce que relate la BD Panique dans le 16e ! qui dévoile cette violence de classe.
« La ville de Paris avait une réunion près du Jardin d’Acclimatation pour informer les habitants du quartier et leur décrire le projet, se souvient Michel Pinçon. Des adjoints de la maire de Paris étaient là pour présenter les vingt logements que comprennent les deux bâtiments démontables en bordure du périphérique. Les gens présents sur place, environ trois cents personnes, se sont mis a invectiver la maire qui était présente. Les injures fusaient, c’était oralement très violent, injurieux et décalé par rapport à la vie quotidienne de ces milieux qui sont habituellement si révérencieux. À partir de là, il y a eu des manifestations et des sabotages du processus de construction dont deux tentatives d’incendie. Les habitants étaient très mobilisés, cela a faillit mal tourner à plusieurs reprises avec les personnes impliquées dans le soutien au projet ».
Cette classe sociale est prête à tout pour garder la mainmise sur ce qu’elle considère comme son territoire mais pour une fois l’histoire finit bien, la mobilisation a échoué. La ville de Paris a affirmé la continuation du projet. Sous bonne garde, il a été mené comme convenu. « Cette expérience nous a permis d’observer la conduite extraordinairement négative des habitants par rapport au respect, au sérieux, à la dimension caritative même que l’on pouvait attribuer aux habitants de ses immeubles. C’est aussi intéressant de constater que les puissants ont le droit de faire quasiment ce qu’ils veulent pour empêcher la réalisation d’un projet public ».
Les travaux de Monique et Michel ont démontré que la classe des super riches est très solidaire. Mieux, ils nous font comprendre que cette curiosité à l’égard d’un monde si éloigné est nécessaire. « Les gens doivent être à l’affût de cette consanguinité, de cette opacité, de la délinquance financière. Nos lecteurs doivent se servir de notre travail pour organiser une « vigilance oligarchique » : montrer aux puissants que leur pouvoir n’est pas éternel, empêcher ce sentiment d’impunité qu’ils ont aujourd’hui en sachant que personne n’ira mettre son nez dans leurs opérations financières totalement opaques », explique Monique Pinçon-Charlot.
« C’est une première pour nous, et nous sommes honorés et très heureux de participer au Festival international de romans noirs de Frontignan. Ce que nous faisons c’est de la sociologie désenchantée, de la sociologie noire. La réalité dépasse la fiction. Les auteurs de romans noirs sont dans la fiction tout en étant pas si loin que ça de la réalité, mais nous c’est encore plus fort puisqu’on colle à la réalité et on se dit : Ah non mais c’est pas possible, c’est un roman… »
Comprendre l’évasion fiscale
La BD Les riches au tribunal, sous-titré L’affaire Cahuzac et l’évasion fiscale est le fruit d’un travail d’équipe qui s’est concrétisé au fil des nombreuses audiences du procès Cahuzac. « C’est une dynamique à trois qui n’est pas de la sociologie plus du dessin, qui n’est pas du dessin plus de la sociologie, qui est une expérience créative extraordinaire », indique Monique. Au court du procès suivi par les trois membres de l’équipe, Étienne Lécroart prenait des photos pour documenter ses futurs dessins, tandis que les Pinçon-Charlot tenaient un journal d’enquête.
« On ne connait pas le mécanisme et on a un peu tendance à le fuir, explique le dessinateur Étienne Lécroart. Ça paraît compliqué. Faire le livre a été l’occasion de découvrir par moi-même ce qui se passe. En lisant, on comprend comment fonctionnent les paradis fiscaux et le blanchiment, à partir du cas Cahuzac. On retrouve cela le plus clairement possible en images dans la BD. Le livre suit le procès, il y a un naïf et on lui explique. Le système judiciaire français, je le connaissais sans le connaître, Monique m’a fait découvrir sont fonctionnement, c’est vraiment une justice de classe. Il n’y a pas d’autre mot. On juge de manière complètement différente les gens selon s’ils sont puissants ou pas ».
Au court du procès, le témoignage des banquiers suisses a démontré que tout le monde était au courant de l’existence des comptes de Cahuzac, au moins depuis l’année 2000. Cela n’offusqua personne pour une raison simple, la fraude est généralisée au sein de cette classe sociale.
L’histoire bégaye
L’ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée, actuellement Président de la République, est arrivé directement de la banque d’affaires Rothschild. Sous Nicolas Sarkozy, ce poste était occupé par François Pérol qui venait aussi de chez Rothschild. « Les banques Lazard et Rothschild sont comme des ministères bis. Elles conseillent en permanence le ministre de l’Économie et des Finances. La mission de constituer la Banque publique d’investissement (BPI) a été confiée par le gouvernement à la banque Lazard… », a dénoncé le couple de sociologues dans La Violence des riches. Aujourd’hui, avec Emmanuel Macron aux manettes, les intérêts spécifiques des oligarques, des dominants, des riches, deviennent chaque jour davantage l’intérêt général.
« Jérôme Cahuzac est l’arbre qui cache la forêt, affirme Monique Pinçon-Charlot. Il faut rappeler que, sans la fraude fiscale des plus riches, il n’y aurait pas de déficit public en France. Avec ce livre on montre aussi, comme l’a fait Eva Joly dans un premier temps, que désormais l’argent du blanchiment de la drogue, l’argent du blanchiment du crime mafieux, de la prostitution, de la fraude fiscale, de toute la délinquance en col blanc, tous les canaux de transmission se rejoignent. Ce sont les même canaux financiers. Est-ce que vous comprenez ? Si vous n’avez pas compris, prenez la BD… ».
À lire d’urgence donc, et tordez-vous de douleur s’il le faut, mais restez discret, la bonne éducation recommande de ne jamais rire aux éclats.
Jean-Marie Dinh
Panique dans le 16e ! Éditions La ville brûle 16 €
Les riches au tribunal Éditions du Seuil-Delcourt 18,95 €
La Violence des riches Éditions La Découverte 11 €