Au pas de course, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi visant à protéger le « secret des affaires ». La loi a étendu ce « secret » au-delà du strict cadre commercial, menaçant journalistes et lanceurs d’alerte, et donc la liberté d’informer.
Mardi 27 mars, alors que s’ouvrait à Luxembourg le procès en appel d’Antoine Deltour à la suite de l’affaire des LuxLeaks, l’Assemblée nationale commençait à débattre de la proposition de loi concernant le « secret des affaires ». Hasard du calendrier ou coïncidence ironique ?
Quoi qu’il en soit, le gouvernement a décidé de passer en force sur une proposition controversée. Sa tactique ? Jouer la carte de la « procédure accélérée ». Sous prétexte de rapidité et d’efficacité, la proposition de loi aura été débattue et votée une seule fois, mercredi 28 mars, à l’Assemblée nationale, par 46 voix contre 20. Le Sénat, mi-avril, n’en parlera que durant une unique session. Contrairement aux propositions de loi ordinaires, il n’y aura pas de navette parlementaire entre les deux Chambres.
Julie Pecheur, de l’association Pollinis, en pointe de la lutte contre cette loi, raconte les conséquences de cette procédure accélérée chez les législateurs : « Nous avons eu très peu de temps pour alerter les parlementaires. D’autant que certains sénateurs découvrent seulement maintenant l’existence de ce projet. » La rapidité d’exécution de la manœuvre évite, comme le constate amèrement Julie Pecheur, de « lancer un grand débat public ». Interrogé par Reporterre, le député France insoumise François Ruffin, porteur de plusieurs amendements, note deux changements mineurs par rapport à la première version, toutefois insuffisants : « Parmi les dérogations qui permettent d’alerter, on a réussi à introduire la cause environnementale. La nouvelle version accepte aussi de condamner les entreprises qui pratiquent les procédures-bâillons [les procès intentés par de grands groupes à des associations ou des lanceurs d’alerte pour taire tout débat ] à des amendes. En revanche, l’optimisation fiscale et le financement du terrorisme ne feront pas partie des dérogations… »
« Une directive européenne, c’est comme si la parole de Dieu leur était donnée ! »
Comme son nom complet l’indique, la « proposition de loi portant transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites » tire son origine d’une directive de l’Union européenne. Parue en 2016, elle avait une première fois fait son apparition dans la législation française cette année-là, avant qu’une forte mobilisation des journalistes et des citoyens, conduite notamment par Élise Lucet, fît reculer le gouvernement. En conséquence, l’Union européenne repoussa la date limite d’application en France au 9 juin 2018.
Toutefois, comme le rappelle Julie Pecheur, la directive européenne « concernait strictement le cadre de la concurrence commerciale, dans le but de lutter contre le piratage de données et l’espionnage industriel », alors que dans l’état actuel, elle s’étend aux canaux d’information que sont les journalistes, lanceurs d’alerte, associations et scientifiques. Les protestations des députés La République en marche (LREM), emmenés par Raphaël Gauvain, qui jurent qu’ils n’ont pas d’autre choix que d’appliquer la directive, fait rire François Ruffin : « Une directive européenne, c’est comme si la parole de Dieu leur était donnée ! » Car celle-ci doit s’appliquer « dans son esprit, et non dans sa lettre », selon la responsable de Pollinis. En d’autres termes : le caractère flou du texte de loi n’a rien d’accidentel, et vise spécifiquement le droit à l’information.
Maxime Lerolle
Source : Reporterre 29 mars 2018